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A
A

— C’est que… je ne sais pas quand je vais le revoir ? Il a des ennuis ?

— Plutôt oui ! La police doit venir perquisitionner chez lui !

Elle étouffa un cri sous ses deux mains nouées devant sa bouche :

— La… police ? Mon Dieu !… Qu’est-ce qu’il a fait ? Mais donnez-vous la peine d’entrer ! On ne peut pas causer de choses aussi graves dans les courants d’air.

Elle s’écarta pour lui livrer passage et il acheva de conquérir ses bonnes grâces en empruntant sagement les patins de feutre glissant sur un parquet admirablement ciré. Sur ce, elle lui offrit une chaise qu’il accepta après une brève hésitation.

— Merci, madame… mais juste un instant ! Le temps presse !

— Pouvez-vous me dire ce que la police lui veut ? Un homme si comme il faut !

— Oh, je ne pense pas que ce soit grave ! En fait, je crois sincèrement qu’il s’agit d’une erreur ! Il a été dénoncé pour recel de bijoux volés !

— Des bijoux volés ? Lui, un homme si honnête ! Un banquier !

Aldo aurait pu lui répliquer que l’un ne voisinait pas forcément avec l’autre surtout dans le cas présent, mais ce genre de propos eût été déplacé.

— Vous comprenez pourquoi il faut absolument que je l’avertisse !

— Bien sûr !

Elle hésitait. Il enfonça le clou un peu plus :

— Je me suis souvenu qu’il m’avait dit un jour que, lorsqu’il s’absentait, vous saviez où le joindre parce qu’il avait confiance en vous, épouse d’un agent de police. Mais étant donné que c’est la P.J. qui perquisitionnera demain, je comprends parfaitement dans quelle situation je vous place ! Et je ne voudrais pas vous mettre dans l’embarras.

Comme elle gardait le silence. Il reprit :

— Évidemment, s’il est loin, à Zurich, par exemple… mais je n’y crois guère ayant téléphoné là-bas après avoir constaté qu’ici on ne répondait pas. Et pas davantage à la banque, encore faudrait-il savoir où il se trouve afin de le mettre au courant. Aussi j’ai pensé…

Tout en parlant, il tirait son portefeuille pour en sortir une enveloppe préalablement timbrée assez lentement pour saisir l’éclair intéressé dans le regard de Mme Branchu. En se contentant de le poser sur la table il lui tendit l’enveloppe – qui contenait une feuille avec quelques mots ! – et poursuivit :

— … que vous accepteriez de lui faire parvenir cette lettre afin qu’il sache au moins à quoi s’attendre quand il rentrera.

Et joignant le geste à la parole, il faisait glisser du portefeuille noir estampillé à ses armes un billet dont la couleur alluma une autre étincelle. La concierge réagit alors comme il l’espérait et repoussa l’enveloppe.

— Ça n’arriverait pas à temps ! Il vaut mieux que vous la fassiez porter… ou que vous la déposiez dans la boîte, sans vous faire voir ! Il tient tellement à ce qu’il n’y ait que moi dans la confidence…

— Mais… votre mari ?

Elle eut un mouvement proche de l’effroi :

— Oh, surtout pas ! Ça me ferait trop d’histoires !… Il déteste ce pauvre M. Gaspard ! Comme si ça avait du bon sens ! Quelqu’un de si gentil !… Et bel homme en plus ! Alors quand je lui rends des petits services, c’est affaire entre nous et j’y mêle pas Alfred. Déjà qu’il n’est pas content que je lui fasse son ménage !

— Tiens ! Pourquoi ?

— Il dit qu’il ne voit pas pourquoi M. Gaspard n’embauche pas un valet ou une bonne, qu’il est assez riche pour ça.

— Il n’a peut-être pas tout à fait tort ?

— Oui, mais faut comprendre ! C’est pas qu’il y ait beaucoup de choses précieuses chez lui comme chez lady Liamura ou chez le général, mais il y a des papiers importants qui pourraient intéresser ses concurrents.

— Il en a donc ?

— Oh oui ! Le pauvre ! Il est dans la banque vous savez ? Alors il a besoin de quelqu’un de confiance.

— C’est naturel ! compatit Aldo qui avait eu du mal à ne pas rire quand elle avait plaint Grindel d’être banquier. Puis il ajouta : Au moins vous fait-il des petits cadeaux ?

— C’est sûr ! Il m’apporte parfois des fleurs, ou des chocolats ! C’est mon péché mignon !

— Il aurait dû me le dire : je vous en aurais apporté… mais je pense que ce modeste remerciement vous permettra d’en acheter.

Le billet tentateur avait glissé doucement du portefeuille. Après quoi il reprit l’enveloppe et jeta un coup d’œil à sa montre :

— Il se fait tard et si vous pouviez avoir la gentillesse d’inscrire l’adresse…

En même temps il lui tendait son stylo qu’elle prit avec révérence :

— C’est que je n’ai pas le certificat d’études et j’écris très mal…

— Cela ne fait rien. Il est préférable que ce soit votre écriture ! Moi je ne suis jamais venu et vous ne m’avez pas vu.

Elle leva les yeux au plafond pour mieux rassembler ses souvenirs sans doute et s’appliqua à écrire.

— Voilà ! C’est M. Rolf Schurr (elle épela), Les Bruyères blanches… avenue de la Belle-Gabrielle à Nogent. Je ne sais plus si c’est 60 ou 94… C’est un vieux serviteur de son père qui l’a connu enfant et qui l’aime comme son fils. Le monsieur s’est marié sur le tard à une Française qui est morte en lui laissant un petit héritage. Ah… J’allais oublier ! À côté du nom il faut écrire deux lettres majuscules : PG. Ça veut dire que c’est pour lui !

— Je ne vous remercierai jamais assez ! Lui non plus d’ailleurs, commenta-t-il avec un rien d’ironie qu’il se reprocha aussitôt. Cette femme était peut-être la seule de tout le quartier qui aimât Grindel mais elle était sincère, allant même jusqu’à risquer le mécontentement d’un époux qu’elle semblait par ailleurs révérer ! Voyant qu’elle guettait la pendule, il se leva.

— Il est temps que je vous laisse. M. Branchu ne va peut-être pas tarder à rentrer ?

— Non… C’est à peu près son heure !

— Vous auriez dû me mettre à la porte ! Encore merci, madame Branchu ! J’espère avoir le plaisir de vous revoir un jour prochain…

— Est-ce que… vous pourriez me donner des nouvelles ? demanda-t-elle.

Cette brave femme s’inquiétait vraiment pour son locataire préféré.

— J’essaierai de vous en faire parvenir mais il se peut que Gaspard aille à l’étranger et que je le suive… Je ferai de mon mieux !

Il prit la main qu’elle n’osait pas lui tendre et sans aller jusqu’à l’effleurer de ses lèvres s’inclina dessus ce qui la fit rosir de plaisir… Puis, prenant son chapeau il s’esquiva avec la légèreté d’un elfe et rejoignit Adalbert qui tuait le temps en fumant comme une cheminée d’usine. Heureusement il faisait doux et les glaces étaient baissées.

— Ah, enfin ! C’était plutôt long !

— Je sais mais cela en valait la peine. Mme Branchu s’est autant dire confessée à moi !

— Ton charme irrésistible, n’est-ce pas ?

— Je préférerais mon air honnête ! Et figure-toi que j’en ai un peu honte. Cette pauvre femme est tout bêtement amoureuse de Grindel. Ce qui n’est pas le cas à l’égard de son époux qu’elle semble redouter. Elle me croit le meilleur ami de son idole et…

— Qui n’est pas la tienne alors laisse tomber tes états d’âme et raconte !

Ce qui fut vite fait. Vint la conclusion :

— Tu connais Nogent-sur-Marne, toi ?

— Encore assez ! Mais pas tout si ce n’est que c’est un coin agréable où on va danser le dimanche dans les guinguettes fleuries au bord de la Marne au son de l’accordéon en buvant du vin blanc et en mangeant une friture ! C’est là qu’habite… ?

— La boîte aux lettres de Grindel… et j’aimerais y aller ce soir.

— Moi itou ! Solution ! on passe chez moi et on interroge Théobald ! Il a les plans des banlieues de Paris grâce à l’Almanach du facteur que les PTT éditent pour les vœux de fin d’année. Il y en a en général de plusieurs villes… et comme nous savons être généreux chez nous…

— Vu ! Démarre !

Mais le majordome-factotum d’Adalbert n’eut pas besoin de se plonger dans de longues recherches :

— Je connais très bien Nogent. J’avais un oncle là-bas et quand on était petits mon frère et moi, on allait souvent à la pêche avec mon père. L’oncle avait un bateau sur la Marne.

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