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— Je ne doute pas que cet exercice d’archéologie ne soit d’une grande utilité, répondit Mme de Sommières avec un rien de sécheresse, mais je crains que nous n’ayons à résoudre un problème beaucoup plus grave. Un coup de chance a permis à Marie-Angéline de rencontrer sans en être remarquée le pseudo-César Borgia. Racontez, Adalbert ! Vous êtes plus doué que moi.

— Ça va si mal que ça, Amélie ? s’inquiéta le professeur. C’est vrai que vous avez une mine de déterrée !

C’était la dernière chose à dire : les yeux toujours si verts flamboyèrent :

— Si vous me sortez ça chaque fois que nous nous voyons, Hubert, on ne se verra plus du tout ! Je me demande même si…

— Allons, allons ! Ne vous fâchez pas ! J’ai simplement peur que vous ne dépassiez les limites de vos forces ! Et maintenant je me tais. Allez-y, mon garçon ! lança-t-il à son ancien élève.

— Merci, professeur ! Mais quand vous saurez ce qu’a été le voyage de nos deux vaillantes associées, vous comprendrez qu’à une lassitude réelle se joint une véritable angoisse touchant l’avenir de Morosini et de son épouse…

Il relata alors la suite de mauvaises surprises que Zurich avait réservées aux deux voyageuses depuis l’accueil décourageant de Lisa, l’incident des roses pour en venir à l’incroyable rencontre de Gaspard Grindel avec celui dont on ne savait plus très bien comment il s’appelait.

— Afin que vous n’ignoriez rien du point où nous en sommes, j’ajouterai qu’en passant par Paris, ces dames ont rencontré le commissaire Langlois, qu’il en sait autant que nous à cette heure et qu’il a sans doute pris déjà des dispositions. Dont l’une, primordiale, est de faire surveiller l’hôtel de Mme de Sommières dès qu’Aldo y sera rentré. Et ce sera samedi prochain !

— Vous l’avez vu ce matin, Amélie ? Vous lui avez raconté tout ça ?

— Bien sûr que non, explosa Marie-Angéline qui n’aimait pas garder le silence trop longtemps. Il a eu droit à une version expurgée mais il m’étonnerait que l’on en reste là longtemps. Dès qu’il se sentira d’aplomb, Aldo, tel qu’on le connaît, va vouloir s’en mêler et ça ne va pas être une mince affaire que de l’obliger à se tenir tranquille. Évidemment nous ferons de notre mieux…

— … mais vous aurez tout de même besoin d’aide, fit Adalbert, et ce rôle me revient… Encore que j’aie grande envie d’aller moi aussi me balader en Suisse…

— Si c’est pour tenter de convaincre Lisa, vous perdrez votre temps, mon garçon ! Je suis persuadée qu’elle se méfiera de vous plus encore que de moi ! soupira Mme de Sommières.

— Ce n’est pas elle que je voudrais voir, c’est l’auteur de ses jours ! C’est invraisemblable qu’il ait jugé bon de filer à Londres juste après que sa fille fut rentrée au bercail. Cela ne lui ressemble pas ! Et moi j’aimerais savoir ce qu’il pense de cette histoire ! Sans vouloir dénigrer le travail auquel vont se livrer les policiers, il me répondra à moi plus facilement qu’à eux…

— Surtout qu’en Suisse, les argousins vont avoir besoin d’un tas d’autorisations, déclara Hubert. C’est, je crois, l’un des rares pays d’Europe qui n’adhère pas vraiment à Interpol ! Mais pour ce qui est de surveiller Morosini, je vous offre bien volontiers mon aide…

Wishbone vida son verre de vouvray – qui était en train de devenir sa boisson préférée – et leva la main comme s’il s’agissait de voter :

— Moi aussi ! dit-il enthousiaste. Et je donne tous les dollars pour acheter complices, espions, maisons pour surveiller…

— Des tueurs aussi ? ironisa Marie-Angéline.

Mais il ne plaisantait pas.

— Si nécessaire on avait, oui aussi ! C’est moi la cause de tout le malheur je veux réparer !

— Vous n’avez pas envie de revoir votre cher Texas ? insinua doucement Mme de Sommières en trouvant un sourire pour ce charmant bonhomme que tous avaient adopté.

— Si, mais pas maintenant ! Quand tout sera dans l’ordre, j’achète un yacht et j’emmène tout le monde visiter. En ce moment c’est moi qui visite Touraine ! Magnifique pays ! Peut-être acheter un château et forêt de chênes pour le… gui ? C’est bien ça, Hubert ? acheva-t-il avec un large sourire à l’adresse de son hôte qui, lui, s’empourpra brusquement sous l’œil incrédule de Mme de Sommières et de Plan-Crépin qui ne put retenir un :

— Je rêve ! Professeur, vous avez entamé les approches pour l’embrigader dans… Ouille !

Elle n’alla pas plus loin. Adalbert lui avait à moitié écrasé un pied sous la table. Et se hâtait de reprendre :

— Nous nous éloignons de notre sujet ! Dans l’instant présent il s’agit d’assurer à Morosini une convalescence aussi paisible que possible et, pendant ce temps, tenter de recoller de notre mieux les morceaux de son ménage. Pour ce qui est de l’immédiat on le ramène à Paris et on laisse faire Langlois et ses hommes. C’est lui qui m’avertira quand je pourrai me rendre à Zurich pour causer avec Moritz Kledermann. On pourrait faire plus de mal que de bien.

— À présent qu’Aldo va vers sa guérison, je ne vous cache pas que mon souci principal est Lisa. En la voyant, dans cette clinique où, selon moi, elle n’avait pas à être j’ai eu l’impression d’avoir devant moi une autre femme. Le sort de son mari lui est indifférent. Son seul point sensible c’est le fait qu’elle ne pourra plus avoir d’enfants. Elle se sent humiliée, blessée…

— Étant donné qu’elle en a déjà trois à son actif et qu’elle rejette son époux, elle ne devrait pas en être affectée, remarqua le professeur… ou serait-ce qu’elle souhaite en avoir un d’un autre… époux ?

— Hubert ! s’indigna la marquise. Vous ne la connaissez même pas et vous émettez une idée… insultante à son encontre ! Et je viens de vous dire que je n’avais pas reconnu la femme à qui je vouais jusqu’à présent une affection quasi maternelle…

— Et vous attribuez ce changement à la clinique ? reprit Adalbert. Il est naturel que vous ayez eu un choc en apprenant qu’elle avait atterri chez… Je ne dirai pas les fous mais ça y ressemble fichtrement. Ce qu’il faudrait savoir c’est si on l’a mise là parce qu’elle en avait besoin après ce quelle a vécu… ou si c’est dans une intention malveillante, pour qu’elle y perde au fur et à mesure la raison… et cela me paraît tout de même un peu gros à quelques centaines de mètres du domicile paternel ! C’est pourquoi il faut à tout prix que j’obtienne un entretien avec Kledermann !

— Vous avez sans doute raison mais avouez que découvrir une collusion entre le cousin Gaspard et l’assassin de la Croix-Haute donne à réfléchir.

Plan-Crépin toussota pour s’éclaircir la voix puis avança :

— Et si, au lieu de tourner en rond, on allait voir un peu du côté de Vienne ? Personne jusqu’ici n’a seulement fait allusion à Mme von Adlerstein, la grand-mère de Lisa chez qui les enfants se trouvent ! Si elle a réellement besoin d’un soutien solide c’est chez elle et auprès de ses mioches qu’elle devrait être !

— C’est très juste ! admit Adalbert. C’est même curieux que la vieille dame ne se soit pas encore manifestée. Les journaux français ne sont pas interdits de séjour à Vienne ! Il faut reconnaître qu’ils ont été relativement discrets grâce à Langlois, j’imagine. Aucun n’a fait ses gros titres du « drame de la Croix-Haute ». On a seulement signalé que les pseudo-Borgia avaient fait sauter le château avant de prendre la fuite mais qu’on avait pu libérer leurs prisonniers. Il est très possible que la comtesse ne sache rien… surtout si elle n’est pas dans son palais viennois mais à Rudolfskrone, son château d’Ischl.

— Pour l’instant, coupa Mme de Sommières, je crois qu’il ne faut pas la déranger. Elle n’ignore pas, lorsqu’on lui confie les enfants, qu’il s’agit surtout de les mettre sous la protection de ses résidences qui sont de véritables forteresses intérieures. Il est probable que son gendre se soit chargé de la tenir au courant puisque c’est lui qui a payé la rançon, et se rendre auprès d’elle maintenant équivaudrait peut-être à la désigner comme prochaine cible. On avisera plus tard, en accord avec Langlois, et c’est moi qui m’en chargerai.

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