Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Vous seul comptez pour moi... et vous refusez de le comprendre.

Elle avait glissé ses bras au cou d'Arnaud et se collait à lui, éperdue d'amour, possédée d'un violent désir de faire passer dans son sang, à lui, la fièvre qui la brûlait. Il se défendait mal, avec des mains tremblantes qui ne demandaient qu'à étreindre. Elle se haussa sur la pointe des pieds pour tenter de toucher de ses lèvres celles du jeune homme. Mais il détourna la tête et, emporté par une brusque colère, l'arracha de lui si rudement qu'elle alla heurter de son dos le mur d'enceinte.

Je vous ai déjà dit cent fois de me laisser tranquille, siffla-t-il entre ses dents serrées. Oui, par deux fois j'ai perdu la tête, par deux fois le désir que j'ai de vous l'a emporté. Mais je me le suis reproché comme un crime... un crime, entendez-vous, envers l'ombre de mon frère. Car cela, vous l'oubliez trop facilement. J'avais un frère, souvenez-vous... un frère que j'adorais et que les vôtres ont tué, massacré comme-ils n'auraient pas osé massacrer une bête de boucherie...

Déchirant, inattendu, un sanglot monta dans la gorge du capitaine, brisant sa voix qui s'enroua.

— Vous ne savez pas ce qu'il était, mon frère Michel, continua-t-il d'un ton de douleur qui bouleversa Catherine. L'archange saint Michel n'était pas plus beau que lui, ni plus vaillant, ni plus courtois. Pour le gamin émerveillé que j'étais alors, une espèce de petit paysan toujours crasseux, toujours couvert de poussière, il était plus qu'un frère : l'image pure, lumineuse de tout ce que j'admirais, de tout ce que j'aimais : il était la chevalerie, la foi, la jeunesse, l'honneur même de notre maison. Quand je le voyais passer dans le village, sur son grand cheval blanc, avec ses cheveux que le soleil faisait briller, je sentais tout mon cœur bondir vers lui. Je l'aimais, je crois bien, plus que tout au monde. Il était... il était Michel, c'est-à-dire l'unique. Vous ne pouvez pas comprendre...

— Mais si..., fit Catherine doucement. Je l'ai vu, je...

Ces simples petits mots, si innocents, suffirent à déchaîner la fureur d'Arnaud. Ses deux poings crispés appliquèrent Catherine contre la muraille tandis qu'il avançait sur elle un visage tordu de colère.

Qu'avez-vous vu ? Ce que les vôtres en ont fait ? Une loque humaine, sanglante, sur laquelle vos bouchers se sont acharnés. Il avait cherché refuge dans la cave d'un de vos maudits Legoix et on l'a livré, assassiné, dépecé...

Ah, tu l'as vu, dis-tu ? As-tu vu aussi l'atroce chose qu'avec l'un de mes oncles je suis allé dépendre, en secret, la nuit, à Montfaucon ? Un corps sans tête que l'on avait pendu par les aisselles à des chaînes rouillées. La tête, elle, était dans un sac de cuir pendu à côté... une tête, cette abominable bouillie noire ! Et tu viens me parler de ton amour !... Et tu ne comprends pas que, quand tu prononces ce mot-là, j'ai envie de t'étrangler ! Si tu n'étais pas une femme, il y a longtemps que je t'aurais tuée...

— Si vous n'y êtes pas parvenu, ce n'est pas votre faute, s'écria Catherine en qui les images évoquées venaient de réveiller le souvenir des heures affreuses vécues jadis. Vous avez tout fait pour me livrer au bourreau.

— Et je ne le regrette pas. Et je recommencerais demain si l'occasion m'en était donnée.

Des larmes brûlantes montèrent aux yeux de Catherine, roulèrent sur ses joues.

— Ne vous gênez pas, alors. Tuez-moi. Vous avez une épée au côté, ce sera si vite fait ! Ce sera mieux que votre injustice. Pourquoi ne voulez-vous pas entendre ce que je puis dire sur la mort de votre frère ? Je jure que...

Une clameur qui monta soudain, à l'intérieur de la cité royale, l'interrompit. Au-delà de la porte fortifiée, on criait, on courait et, en même temps, une grande lueur rouge illumina le ciel par-dessus le rempart. Arnaud lâcha Catherine.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.

— On dirait un incendie. Venez voir !...

D'un commun accord, ils se mirent à courir, franchirent la porte et remontèrent vers l'endroit d'où partaient les cris. Au bout de la rue, Catherine vit de hautes flammes bondir à travers les fenêtres brisées d'une maison d'où partaient des cris et chancela.

— Mais... c'est ma maison ! fit-elle d'une voix blanche. C'est ma maison qui brûle !

— Qu'est-ce que vous dites ? s'écria Arnaud en saisissant sa main. C'est là que vous habitez ?

— Oui... Mon Dieu et Sara ! Sara ! Sara ! Elle dormait quand je suis partie.

Comme une folle elle se mit à courir vers la maison incendiée. Construite tout en bois comme beaucoup de ses voisines, elle flambait comme un fagot.

La rue était pleine de gens qui, déjà, faisaient la chaîne avec des seaux de cuir remplis d'eau. Mais ce n'était guère efficace et, dans l'intérieur de la maison, on entendait des cris, des appels.

— Mon Dieu ! gémit Catherine en se tordant les mains de désespoir. Sara est prise dans les flammes ! Elle va mourir !

Des larmes jaillirent de ses yeux. Elle oubliait à cette minute tout ce qui n'était pas sa vieille amie en danger. Mais comment Sara pourrait-elle sortir de ce brasier ? Sur le fond des flammes, Catherine vit une silhouette échevelée qui se découpait en noir et qui appelait à l'aide.

— Je vais essayer de la tirer de là, fit Arnaud brusquement. Ne bougez pas !

Vivement il débouclait le ceinturon qui supportait son épée, arrachait son pourpoint, sa chemise, ne gardant que ses chausses collantes qui n'offriraient guère de prise au feu. Catherine, les yeux agrandis, le vit courir vers la maison incendiée, écarter la foule puis, après s'être fait inonder d'un seau d'eau renversé sur sa tête, il s'engouffra dans les flots de fumée que vomissait la porte. La foule, interdite tout à coup, avait fait silence et Catherine s'était laissée glisser à genoux près d'un montoir à chevaux, priant de tout son cœur.

Sous le capuchon pointu du toit encore entier, le feu ronflait avec un bruit terrifiant. On entendait crépiter les boiseries, s'effondrer les poutres et les meubles. Un temps qui parut interminable à Catherine s'écoula. Aucun cri ne se faisait plus entendre.

— Il n'a pas dû pouvoir passer, fit une voix auprès d'elle. L'escalier vient de s'effondrer ! Sûrement, il n'y a plus personne de vivant dans cet enfer...

Le toit, maintenant, s'écroulait dans une gerbe d'étincelles. Juste à cet instant, Arnaud jaillit de la maison portant dans ses bras un corps inerte. Une clameur de victoire salua sa sortie. Catherine se releva, courut à lui.

— Vous êtes vivant ! Dieu soit béni !

Il était, en effet, bien vivant et, Sara évanouie dans les bras, riait comme un enfant, heureux d'avoir réussi son sauvetage. Quelques égratignures marquaient sa peau brune et ses cheveux étaient un peu roussis mais, à part cela, il était indemne. Il déposa Sara sur un banc et quelques femmes s'empressèrent autour d'elle. En même temps, on accourait du château.

Catherine reconnut Mme de Gaucourt. Elle arrivait à toutes jambes, ses longues robes relevées à deux mains, une troupe de valets et de servantes galopant sur ses talons. Elle apprit à Catherine que la reine Yolande l'envoyait et désirait que Catherine avec sa servante fussent ramenées et logées au château.

— Vous n'avez vraiment pas de chance, ma chère ! soupira-t-elle en s'épongeant le front. C'est à croire que le destin s'acharne sur vous !

Arnaud qui s'était écarté pour remettre chemise et pourpoint se rapprocha:

— Où devez-vous loger Madame de Brazey ? demanda-t-il à la surintendante de la maison de la reine.

— Dans le cabinet de la tourelle qui jouxte la chambre de Madame Yolande. La reine désire que Madame de Brazey reste sous son contrôle.

Le jeune homme approuva d'un signe de tête mais le pli qui s'était creusé depuis un moment entre ses épais sourcils noirs ne s'effaçait pas. Tandis que Mme de Gaucourt penchée sur Sara, toujours sans connaissance, lui bassinait les tempes avec de l'eau de la reine de Hongrie, il tira Catherine à part :

91
{"b":"155314","o":1}