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C'est tout ce que je peux t'offrir ! Mais auras- tu le courage et la force de te laisser glisser jusqu'au bas de la tour ? D'ici je surveillerai la corde et assurerai ta descente. Une fois que tu seras en bas, je remonterai le filin et le rapporterai là où je l'ai pris. En contournant le château, vers l'est, tu trouveras un champ que tu descendras, ensuite tu pourras t'en aller vers ton amour, si c'est là le destin que tu as choisi.

Catherine se raidit contre l'espèce d'angoisse qui montait en elle.

— Ce destin, il y a longtemps que tu me l'as prédit, Sara. Mais je croyais que tu m'aimais assez pour le suivre avec moi. Tu me laisses partir seule, toi

? Que t'a-t-il donc fait, ce routier, pour que tu le choisisses ?

— Rien... et si je le pouvais, je partirais avec toi. Mais il s'est pris pour moi d'un caprice si vif qu'il a juré d'écorcher vif le frère Étienne si je cherchais à m'échapper. Je ne veux pas que le bon moine meure pour moi. Je reste. Mais, dès que nous pourrons nous échapper tous deux, tu sais bien que j'irai te rejoindre. Pars maintenant. Je donnerais beaucoup pour avoir le droit de te suivre, Catherine, même si tu ne me crois pas.

Brusquement, vaincue par l'émotion, la jeune femme se jeta dans les bras de sa vieille amie.

— Si, je te crois ! Pardonne-moi, Sara. Je suis folle, je crois bien, depuis que je sais où le retrouver, lui.

— Alors, il faut tenter ta chance. Voilà trois pièces d'argent que j'ai pu trouver dans l'escarcelle de Fortépice. Quand tu auras atteint la grande rivière de Loire que tu trouveras immanquablement en marchant toujours vers l'occident, tu pourras peut-être payer un batelier qui te fera descendre jusqu'à Orléans...

Mais Catherine, d'un geste vif, repoussa les pièces offertes.

— Non, Sara ! Quand Fortépice s'apercevra que tu l'as volé, il te tuera.

Sara se mit à rire silencieusement. Elle avait, soudain, retrouvé toute sa gaieté d'autrefois.

— Je ne crois pas ! Je lui dirai... tiens, tout juste ce que je vais lui dire pour expliquer ta fuite, inexplicable en apparence : que tu es une sorcière et que tu as le pouvoir de te dissoudre dans l'air. Je dirai encore que, si je ne l'ai pas averti plus tôt, c'est parce que j'avais peur de toi.

— Que ne le lui as-tu dit à notre arrivée ? soupira Catherine.

— Sa réaction n'eût certainement pas été la même. Il est terriblement crédule et superstitieux. Si je lui avais dit cela plus tôt, il se serait dépêché de faire entasser aux pieds des murs de ce château une grande quantité de bois et de te ligoter dessus quitte à manger sa viande crue pendant deux jours en attendant d'avoir renouvelé sa provision de bois. Mais, assez parlé !

Faisons vite ! Il faut que je retourne auprès de lui au cas où il s'éveillerait.

C'est cela le danger pour l'instant...

D'un geste presque brutal, elle attira Catherine à elle et posa un baiser sur son front.

— Que Dieu te garde, ma petite ! murmura-t-elle d'une voix que l'émotion faisait trembler, et qu'il t'amène en lieu sûr auprès de celui que tu as choisi d'aimer...

Puis elle se dirigea vers la fenêtre pour voir si rien de suspect ne se montrait au-dehors. Tandis qu'elle se penchait sur l'appui de pierre, Catherine arrachait une large bande au bas de sa robe trop longue pour avoir la liberté de ses mouvements.

— Si seulement tu avais pu me procurer un costume d'homme ! soupira-t-elle.

En nous prenant les nôtres, Fortépice savait ce qu'il faisait ! Je me vois mal prendre la fuite dans ce fleuve de satin jaune, fit Sara en agitant ses absurdes manches. Toi, avec cette robe en mauvais état et ce surcot de laine, tu n'auras pas froid et tu passeras inaperçue. Tout de même, j'ai pu récupérer quelque chose de ton équipement ; ceci...

De son corsage, Sara sortit la dague à poignée d'acier que Catherine portait en quittant Châteauvillain et l'offrit sur sa main ouverte. La jeune femme s'en saisit avec une vraie joie et la fourra, chaude encore de Sara, dans son propre corsage. Après quoi, les deux femmes s'embrassèrent tendrement.

— Rejoins-moi vite ! pria Catherine en s'efforçant de sourire. Tu sais bien que sans toi je suis perdue !

— Nous nous retrouverons ! promit Sara. J'en suis certaine. Vite, maintenant !...

Le vide qui s'ouvrait au-dessous d'elle serra le cœur de Catherine. Quand elle était enfant, elle avait mainte et mainte fois, avec Landry, pratiqué la descente ou même la montée à la corde lisse, dans les chantiers de la Cité.

Ce n'était alors qu'un jeu mais, avec les années écoulées, saurait-elle encore ?

Au-dehors, l'obscurité était totale et Catherine obligea son imagination à faire silence. Elle ne voulait pas se représenter le gouffre ouvert sous ses pieds et qu'elle avait tellement contemplé dans la journée. Elle fit un rapide signe de croix, marmotta une brève prière et enjamba la fenêtre ; saisit la corde. Le regard angoissé de Sara fut la dernière chose qu'elle vit avant de fermer les yeux. Heureusement, le vent était faible et la corde ne balançait qu'à peine. Ses mains s'agrippèrent fortement au chanvre rugueux. Le poids de son corps lui parut extrême quand elle se laissa pendre dans le vide. Puis, elle enroula la corde autour de sa jambe droite et commença à glisser vers le bas de la tour... Les choses se passaient moins mal qu'elle n'avait craint.

Instinctivement elle retrouvait les anciens gestes qu'elle croyait oubliés. La descente se poursuivait, régulière, assez facile. Seules ses mains, au contact rude de la corde, commençaient à souffrir mais Catherine ne pouvait plus reculer. Pour voir où elle en était, elle ouvrit les yeux. La fenêtre faiblement éclairée était déjà loin au-dessus d'elle. La silhouette penchée de Sara s'y découpait en noir. Catherine eut l'impression de vivre un cauchemar. Les yeux ouverts, elle avait davantage la sensation du danger, d'être suspendue entre ciel et terre. Si elle lâchait, elle se romprait immanquablement le cou sur l'entablement rocheux du château. La voix de Sara lui parvint, faible, prudente, mais chargée d'angoisse.

— Courage ! Ça va ?

— Oui, fit Catherine, mais sa propre voix ne fut qu'un souffle.

Ses mains brûlaient intolérablement, pourtant Catherine accéléra la descente, talonnée maintenant par la peur de ne pas tenir jusqu'au bout. Elle avait l'impression que les muscles de ses épaules allaient se déchirer. Un moment, le cœur et le souffle lui manquèrent. Elle crut qu'elle allait tout lâcher. La peur monta en elle, s'enfla comme un vent d'orage, une peur toute nue, primitive de petite fille perdue dans le noir. De toutes ses forces, elle appela à son secours le souvenir d'Arnaud, espérant y puiser un réconfort, mais l'épreuve physique était trop forte pour elle. Chaque mouvement était une souffrance. Catherine tremblait maintenant dans toutes les fibres de son être. Son cœur cognait, ses membres s'engourdissaient sous l'étreinte d'une invincible fatigue. Ses mains arrachées lui faisaient endurer une vraie torture. Épuisée, elle lâcha tout !

La chute fut brève. Heureusement pour Catherine, le bas de la muraille était proche. Elle en fut quitte pour un choc un peu rude qui l'étourdit un instant mais pas suffisamment pour qu'elle perdît connaissance. À cet endroit, le roc était couvert d'un fourré qui lui fit maintes égratignures mais aida puissamment à amortir son arrivée au sol. Elle se releva, non sans d'autres écorchures, puis, songeant à Sara qui attendait là-haut, tira trois fois sur la corde qui, vivement, remonta. Toujours dans son buisson, Catherine vit Sara quitter la fenêtre. Puis tout s'éteignit...

De sa chambre, Catherine avait suffisamment examiné le paysage au cours de cette journée pour l'avoir maintenant très présent à la mémoire.

Tâtant la muraille de la main, elle contourna le château comme Sara le lui avait conseillé, trouva le champ en pente et le dévala aussi vite qu'elle put.

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