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— N'aie pas peur, je ne te veux aucun mal...

Il vint à elle et, aussi aisément que si elle n'avait rien pesé, l'enleva dans ses bras, l'emportant en courant vers la chambre. Catherine vit que des larmes inondaient son visage... Il la déposa sur le lit mais ne la lâcha pas. Au contraire, il l'emprisonna étroitement contre sa poitrine.

— Écoute... murmura-t-il haletant... et n'oublie jamais ce que je vais te dire : je t'aime plus que tout, plus que ma vie, plus que le salut de mon âme...

et plus que mes États. Si tu l'exigeais, j'abdiquerais demain pour te garder, toi ! Que m'importe après tout un héritier ! Je vais ordonner à Van Eyck de demeurer... je ne me marierai pas. Je ne veux pas te perdre, tu m'entends... je n'accepterai jamais de te perdre ! Si tu veux que je te laisse partir, demain matin, tu vas me jurer de revenir...

— Philippe, gémit Catherine, il s'agit de mon enfant, de notre enfant.

— Qu'importe ! Jure que tu me reviendras, quoi qu'il advienne, dès que tu seras rassurée. Jure-le, sinon je te donne ma parole de chevalier que tu ne quitteras pas cette ville. Je t'enfermerai plutôt...

Il ne se possédait plus. Ses doigts minces et durs meurtrissaient la jeune femme qu'il écrasait sous son poids. Son souffle brûlait les lèvres de sa prisonnière éperdue et ses larmes roulaient de ses joues à celles de Catherine.

Jamais elle ne l'avait vu dans un pareil état. Il tremblait de tous ses membres et, brusquement, il lui rappela Garin à la seule minute où le désir avait eu raison de lui. Garin aussi avait eu cette expression de faim douloureuse, cette intense imploration de tout l'être.

— Jure, Catherine, jure sur ta vie que tu reviendras, souffla-t-il, mi-implorant mi-impérieux. Ou alors dis-moi que tu ne m'as jamais aimé...

Contre sa poitrine, Catherine sentait le cœur de Philippe battre à un rythme affolé. Elle se sentait à la fois lasse et pleine de pitié. Et puis, à son insu, elle était encore sensible à la passion de ce prince qui, auprès d'elle, n'était plus qu'un homme follement épris. Elle capitula.

— Je te jure, murmura-t-elle enfin... je reviendrai dès que le petit sera guéri...

L'effet fut immédiat. Elle le sentit se détendre peu à peu. Sa gratitude lui fit mal. Il s'agenouilla devant elle, baisa ses mains, ses pieds.

— Non, Philippe, pria-t-elle. Je t'en supplie, lève- toi.

Il obéit, la reprit dans ses bras et s'empara de ses lèvres. Peu à peu, sous la chaleur du baiser, Catherine sentit fondre sa volonté, les quelques velléités de résistance qui lui restaient encore. Philippe semblait, tout à coup, avoir retrouvé le pouvoir magique qui, si longtemps, avait enchaîné Catherine à lui.

Tard dans la nuit, tandis que Philippe, harassé, s'endormait enfin, la tête sur la poitrine de la jeune femme qu'il tenait toujours étroitement embrassée, elle demeura les yeux grands ouverts dans l'obscurité de la chambre où le feu se mourait. Elle était dans cet état de semi-conscience qui permet à l'esprit de s'échapper et de percer, par intuition, le voile de l'avenir. Jamais encore Philippe ne l'avait aimée comme cette nuit. Il semblait ne pouvoir se rassasier d'elle. De toutes les heures d'amour vécues auprès de lui, celles-ci avaient été les plus belles et les plus ardentes. Pourquoi fallait-il que Catherine eût le sentiment instinctif qu'elles étaient les dernières, alors même qu'elle avait juré de revenir ?

Sa joue reposait contre les courts cheveux blonds de Philippe. Elle tourna légèrement la tête pour le regarder. Il dormait comme un enfant, avec une expression boudeuse de gamin puni qui l'attendrit plus que les traces visibles laissées sur ses traits durs par la violence de sa passion. Tout doucement, pour ne pas l'éveiller, elle posa ses lèvres sur sa tempe, là où la peau plus fine laisse voir le battement du sang. Puis, sans pouvoir s'en empêcher, elle se mit à pleurer parce qu'elle avait l'impression qu'à cette minute elle l'aimait comme jamais encore elle ne l'avait fait.

La sentant remuer, Philippe resserra inconsciemment son étreinte.

Craignant qu'il ne s'éveillât, Catherine ne bougea plus. L'aube viendrait bien assez vite où il faudrait le chasser, se séparer. Pour combien de temps ?

Confusément, Catherine sentait qu'elle n'appartenait plus à cet homme, à cette demeure. Elle était déjà sur le chemin au bout duquel l'attendaient son enfant et sa vieille amie...

Lorsqu'au terme d'une route épuisante Catherine et son escorte arrivèrent en vue des tours de Châteauvillain, elle fut prise d'un sombre pressentiment.

Dans le village blotti dans une boucle de l'Aujon au pied de la motte seigneuriale, la cloche de l'église sonnait le glas et les notes lugubres s'égrenaient dans l'air froid. Là-haut, sur sa butte, le château surgissait de lourdes plaques de brume avec ses hourds de bois noir couronnant les tours formidables et les poivrières d'ardoise, vernies d'humidité, qui les coiffaient.

Par habitude, Catherine chercha, au faîte du donjon, la bannière écarlate des Châteauvillain. Mais seule, dressée entre les créneaux, une bannière noire, flasque, pendait à sa hampe.

Elle pressa son cheval sur le sentier en pente. Bien que l'on fût au plein du jour, la forteresse était étrangement silencieuse. Le pont-levis était relevé, aucun homme n'apparaissait aux créneaux... Se tournant vers le chef de l'escorte que lui avait donnée Philippe de Bourgogne, un jeune lieutenant à la barbe naissante que le moindre de ses regards faisait rougir, elle lui ordonna de faire sonner du cor pour annoncer leur approche. Elle se sentait fébrile, inquiète. L'atmosphère sinistre qui enveloppait ce village des hauts plateaux de la Marne agissait sur elle.

Le jeune chef d'escorte s'exécuta. Un homme d'armes se détacha, emboucha le cor pendu à sa ceinture. Un son prolongé, mugissant, perça la brume, monta jusqu'au chemin de ronde où, au troisième appel, une tête casquée apparut. Dans son épaisse cape trempée d'eau, Catherine frissonna, chercha instinctivement le regard de Sara qui se tenait un peu en arrière. Ce voyage lui avait paru interminable. Plusieurs fois, il avait fallu en découdre contre les bandes de routiers errants ou, simplement, contre des troupes de paysans affamés, chassés de leurs villages détruits et qui avaient pris le maquis pour survivre, se transformant peu à peu en brigands d'autant plus cruels que la faim les poussait plus que l'appât du gain. En ces circonstances, Catherine avait regretté que Jacques de Roussay, son escorteur habituel, fût immobilisé par une jambe brisée dans un tournoi. Le jeune soldat chargé de le remplacer n'était visiblement pas à la hauteur de sa tâche. Sa responsabilité l'écrasait et il s'affolait trop aisément. Mais ce fut d'une voix assez vigoureuse qu'il réclama l'ouverture des portes pour la comtesse de Brazey.

— On vient ! cria quelqu'un du haut d'une tour.

L'attente parut interminable à Catherine. Campée sur son cheval blanc qui, aussi impatient qu'elle- même, grattait la terre humide de son sabot, elle gardait les yeux rivés sur le gigantesque panneau de bois du pont-levis.

Enfin, il s'abaissa lentement dans un affreux grincement, révélant l'ogive haute de la porte sommée de l'écusson de pierre des seigneurs du domaine.

À travers la herse que l'on levait en même temps, on pouvait apercevoir les archers qui accouraient, traînant leurs armes, ajustant leurs casques. Le pont s'immobilisa et, bientôt, ses planches énormes résonnèrent sous les sabots des chevaux. Catherine, la première, franchit la porterie, déboucha dans la cour au centre de laquelle fusait la masse formidable du donjon, dédaigna l'entrée de la tour féodale et se dirigea vers le corps de logis aux élégantes fenêtres flamboyantes. Au seuil une femme vêtue de noir de la tête aux pieds venait d'apparaître et attendait. C'était peut-être parce que cette femme se tenait courbée et s'appuyait sur une canne que Catherine ne reconnut pas tout de suite Ermengarde...

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