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Quand elle sortit de l'eau, elle laissa Sara l'envelopper dans une grande pièce de fine toile de Frise chauffée devant le feu et la frictionner énergique- ment.

Mais, quand la bohémienne apporta le coffre dans lequel étaient renfermés les parfums rares dont elle usait généralement, Catherine l'arrêta d'un geste.

— Non... pas ce soir ! J'ai mal à la tête.

Sara n'insista pas mais son regard s'attacha un instant à la jeune femme qui laissait tomber le drap de bain.

— Habille-moi ! dit-elle seulement.

Tandis que Sara s'en allait chercher la robe de satin blanc, Catherine demeura debout devant son miroir mais sans même accorder un seul regard à son corps. Depuis quelque temps, la vue de sa propre beauté ne lui procurait plus le plaisir qu'elle en tirait jadis. Le désir incessant de Philippe lui disait, mieux encore qu'un miroir, qu'elle était plus belle que jamais. La maternité avait épanoui son corps, ôtant à ses formes toute trace de l'enfance. Sa taille, si étroite que les deux mains de Philippe en faisaient le tour, était demeurée celle d'une jeune fille mais ses hanches s'étaient épanouies et ses seins, plus gonflés, s'attachaient orgueilleusement à son buste, prolongeant la ligne infiniment pure des épaules. Le grain de sa peau dorée était plus serré que jamais, sa chair plus ferme et plus souple et Catherine en connaissait le pouvoir sur le tout-puissant prince d'Occident. Entre ses bras, Philippe était toujours l'amoureux éperdu des premiers jours... mais tout cela laissait maintenant Catherine singulièrement indifférente.

Sans un mot, Sara passa la robe par-dessus sa tête, laissa glisser le tissu le long du corps qu'il enveloppa de plis souples et nacrés. Le froid du satin sur sa peau nue fit frissonner Catherine. Elle devint si pâle, tout à coup, que Sara murmura.

— Veux-tu que j'envoie au palais dire que tu es souffrante ?

La jeune femme secoua la tête.

— C'est inutile. Il faut que je le voie, ce soir. D'ailleurs, il est trop tard.

Le voilà !

En effet, un pas rapide se faisait entendre au-dehors, puis l'écho d'une voix masculine qui jetait un joyeux bonsoir aux servantes demeurées dans la chambre. La porte de la pièce de bains s'ouvrit sous la main impatiente de Philippe qui, du seuil, s'écria :

— Disparaissez, Sara... que je puisse l'embrasser à mon aise ! Trois jours sans toi, mon amour... trois jours à écouter les doléances des échevins de Bruxelles ! Un siècle d'ennui.

Tandis que Sara, abrégeant sa révérence, disparaissait comme on venait de l'en prier si cavalièrement, le duc s'avançait vers Catherine qu'il saisit dans ses bras et se mit à couvrir de baisers.

— Mon cœur... ma vie... ma reine... ma fée aux cheveux d'or... mon indispensable amour, murmurait- il en une tendre litanie tandis que ses lèvres couraient des yeux de la jeune femme à sa gorge largement découverte par le décolleté généreux de la robe. Chaque fois que je te retrouve, tu me parais plus belle... si belle que j'en ai parfois le cœur serré.

A demi étouffée, Catherine se débattait faiblement contre Philippe dont les mains impatientes l'enveloppaient déjà d'un réseau de caresses. Il semblait extraordinairement joyeux et plus amoureux que jamais. Comme il cherchait à faire glisser sa robe, elle le repoussa doucement.

— Non, Philippe... pas maintenant.

— Oh ! Pourquoi ? J'avais une telle hâte de te retrouver, mon amour, qu'il faut me pardonner si je te parais trop impatient. Mais tu sais trop quelles flammes tu allumes dans mon sang pour m'en vouloir. Catherine... ma douce Catherine, c'est la première fois que tu me repousses. Est-ce que tu es souffrante ? Tu es bien pâle, il me semble...

Il l'écartait de lui pour mieux la voir puis, tout de suite inquiet, la ramenait contre sa poitrine, emprisonnant dans ses deux mains le joli visage qu'il obligeait à se lever vers lui. Deux larmes roulèrent soudain sur les joues de Catherine qui ferma les yeux.

— Tu pleures ? s'écria Philippe affolé. Mais qu'y a-t-il ? Mon aimée, mon doux cœur... jamais je ne t'ai vue pleurer.

Bouleversé, il était tout près d'en faire autant. Ses lèvres minces tremblaient déjà contre la tempe de Catherine.

— Il faut que je parte, murmura-t-elle. Ermengarde m'appelle... L'enfant est malade.

— Gravement ?

— Je ne sais pas... sans doute ! Ermengarde n'appellerait pas pour un simple malaise. J'ai peur, Philippe, tout à coup... le temps du bonheur est fini pour nous deux.

Tendrement, il la berçait dans ses bras puis l'entraînait vers le lit sur lequel il la fit asseoir avant de se laisser glisser à ses pieds, sur les marches couvertes d'un épais tapis de Perse.

— Ne dis pas de sottises, fit-il en emprisonnant les deux mains de la jeune femme dans les siennes. L'enfant est malade mais il n'est pas perdu. Tu sais qu'Ermengarde le soigne comme s'il était sien. Je comprends ton angoisse mais il m'est pénible que tu partes. Quand me quitteras-tu ?

— À l'aube...

— Bien, entendu. Alors, une escorte sera, avant l'aube, devant ta maison.

Si, si... j'y tiens ! Le chemin est long, les routes de moins en moins sûres.

L'approche de l'hiver les rend plus dangereuses. Je ne serais pas tranquille autrement. Mais... je t'en prie, ne reste pas trop longtemps loin de moi. Je vais compter les jours...

Catherine détourna la tête, tenta de libérer ses mains mais Philippe les tenait bien.

Peut-être resterai-je en Bourgogne plus longtemps que tu ne crois. Peut-être même ne reviendrai- je jamais en Flandres, dit-elle lentement.

— Comment ? Mais... pourquoi ?

Elle se pencha vers lui, prit entre ses deux mains le visage maigre dont elle avait appris à aimer, d'une certaine manière, les traits fiers et fins.

— Philippe, dit-elle doucement, le moment est venu de la franchise entre nous. Il faut que tu te maries... et tu vas le faire. Allons !... Calme-toi ! Je sais que tu envoies Van Eyck en Portugal, bien que ce ne soit pas lui qui me l'ait dit. Je ne te blâme pas, tu dois donner un héritier à tes sujets.

Seulement... je préfère m'éloigner. Je ne veux pas, après ce que nous avons connu, d'une vie secrète, d'amours cachées. Nous nous sommes aimés au grand jour, je ne supporterai pas la grisaille de la clandestinité.

D'un geste violent, Philippe agrippa les épaules de la jeune femme. Il s'était redressé, appuyé d'un genou sur le lit, la dominant de toute sa taille.

— Tais-toi ! Je ne te condamnerai jamais à la clandestinité. Je t'aime comme jamais je n'ai aimé et, si je dois me marier, ce n'est pas pour que tu connaisses les humiliations. Je suis le duc de Bourgogne et je saurai te garder au rang que je t'ai donné.

— C'est impossible, du moins ici ! Je peux vivre en Bourgogne... Tu n'y viens pas souvent mais tu pourrais y venir seul...

Sara qui entra pour annoncer le souper interrompit l'entretien. Philippe offrit sa main à Catherine pour la mener à table. Le repas avait été servi devant la grande cheminée de la salle d'apparat et trois valets le servaient. Devant les serviteurs, Philippe et Catherine n'échangèrent que peu de paroles. Le duc était soucieux. Un pli profond se creusait entre ses yeux gris et, quand son regard se posait sur Catherine, la jeune femme pouvait y lire une profonde supplication. Il ne touchait pas aux plats qui étaient servis... Comme l'écuyer tranchant s'apprêtait à découper un pâté de chevreuil, Philippe se dressa soudain repoussant si violemment la table qu'elle se renversa avec un bruit de tonnerre, arrachant à Catherine un cri de frayeur. D'un geste, il désigna la porte aux serviteurs.

— Sortez tous ! cria-t-il.

Apeurés, ils obéirent, sans oser ramasser les plats et les assiettes d'or qui se vidaient de leur contenu sur le dallage. Les yeux gris du duc étaient devenus presque noirs et une sorte de fureur crispait tous ses traits.

— Philippe ! cria Catherine.

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