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— Quelle raison aurais-je de vous croire ? Ils sont mes amis, d'anciens et fidèles amis, tandis que...

— Tandis que je ne suis qu'un voleur de grand chemin, un petit truand parisien qui ne vaut pas cher, n'est-ce pas ? Écoutez, dame Catherine. Par deux fois, vous m'avez sauvé, la première involontairement, je l'admets, mais la deuxième très consciemment.

Sans vous, je serais en train de pourrir au gibet de l'abbé de Figeac. À

la Cour des Miracles, chez les truands, ce sont des choses qu'on n'oublie pas. A notre manière, nous avons notre honneur...

Catherine ne répondit pas tout de suite. Josse ne pouvait deviner les échos que ses paroles éveillaient en elle, ni qu'une fois, déjà, elle avait dû la vie et la sécurité à cette même Cour des Miracles dont il parlait...

Elle dit enfin :

— Est-ce pour payer cette dette que vous m'engagez à partir avec vous pour Grenade ? Vous savez bien que j'y risquerai pire encore que la mort.

Alors, fit Josse froidement, si vous mourez, c'est que je serai mort avant vous ! Sinon, je serais un homme fini !... Le temps presse, dame Catherine, décidez-vous ! Ou vous me croyez et nous partons, ou vous ne me croyez pas... et vous verrez bien. Je connais un peu l'Espagne... j'y suis déjà venu. Je connais aussi un peu son langage. Je peux vous servir de guide !

— Vous pourriez aussi me suivre en Bourgogne ? Ce serait plus agréable sans doute !

— Je ne crois pas. Ces gens qui veulent vous sauver de vous-même vous aiment mal. Ils ne savent pas que vous ne pourriez pas être heureuse en laissant un regret derrière vous, en n'ayant pas fait ce que vous vouliez ! Moi, je préfère vous voir courir des dangers et les partager parce que vous êtes comme moi : vous ne renoncez jamais.

Et je vous crois capable de venir à bout des pires difficultés. Je sais bien ce que nous allons risquer, vous et moi : le fouet des esclaves, la mort, la torture et, pour vous, plus encore puisque vous êtes une femme... mais je crois que l'aventure vaut la peine d'être tentée, et vécue... Vous, vous retrouverez peut-être votre époux, et moi je trouverai peut-être la fortune qui n'a pas encore voulu me sourire. On dit le royaume de Grenade très riche... Alors ?... partons-nous ? Les chevaux sont déjà sellés et attendent sous la voûte !

Une vague d'espoir souleva Catherine ! Ce garçon, seul, avait su dire les mots qu'elle avait besoin d'entendre. Il était brave, intelligent, adroit... Il voulait l'aider ! Non ! Elle n'allait pas attendre d'être livrée, comme un joli paquet ficelé d'or, à Philippe de Bourgogne, parce que deux fous bien intentionnés pensaient que c'était le meilleur moyen de lui assurer le bonheur ! Elle leva sur Josse un regard étincelant.

— Partons ! Je suis prête... s'écria-t-elle galvanisée.

— Un moment ! fit-il en lui tendant le paquet. Voici des vêtements d'homme que j'ai volés à l'un des soldats. Mettez-les et faites un paquet des vôtres. Nous les emporterons. Mais faites vite... Ainsi vous serez plus difficile à poursuivre !

Elle saisit les vêtements avidement et, ordonnant à Josse de faire le guet, sans même se soucier du froid,

s'abrita derrière un contrefort et entreprit de se changer. Une ardeur merveilleuse la réchauffait... Du moment qu'elle allait se battre, elle pouvait laisser de côté le chagrin ! Il serait bien temps de s'y laisser aller si elle échouait... mais, cette pensée-là, elle ne voulait pas s'y arrêter, même un instant !

Et, tout à coup, elle crut entendre, venue du fond des temps, une voix flûtée et zézayante qui murmurait :

— Si, un jour, tu ne sais plus ni que faire ni où aller, viens me rejoindre. Dans ma petite maison au bord du Génil, les citronniers et les amandiers poussent tout seuls et les rosiers embaument une grande partie de l'année. Tu seras ma sœur et je t'apprendrai la sagesse de l'Islam...

Etrange et fidèle miroir de la mémoire ! L'impression fut si nette que Catherine crut voir soudain se dresser devant elle, dans la lumière blanche de la lune, la forme frêle d'un homme jeune portant une large robe bleue, une absurde barbe blanche et un énorme turban orange en forme de citrouille... Son nom jaillit tout naturellement de ses lèvres :

— Abou !... Abou-al-Khayr !... Abou le médecin !

C'était vrai pourtant et il fallait qu'elle eût plongé bien profondément dans la douleur pour n'y avoir pas songé plus tôt !

Abou, son vieil ami, vivait à Grenade ! Il était le médecin, l'ami du sultan ! Il saurait, lui, ce qu'il fallait faire et il l'aiderait, elle en était sûre !

Envahie d'une joie soudaine, Catherine acheva de s'habiller en hâte, roula ses vêtements en un paquet qu'elle logea sous son bras et courut rejoindre Josse.

— Allons ! fit-elle ; allons, vite !

Il la regarda, éberlué de la transformation qui s'était opérée chez elle en si peu d'instants, et ne put s'empêcher de le lui dire !

— Vrai Dieu ! Dame Catherine, vous avez l'air d'un petit coq de combat !

— C'est que nous allons nous battre, mon ami, avec toutes les armes, toutes les ruses que nous trouverons !

Je veux arracher mon mari à cette femme ou j'y perdrai la vie ! À

cheval !

Comme des ombres, Catherine et Josse se glissèrent hors du cloître. Le seul danger était la traversée de la grande salle, mais le feu avait encore baissé. Il y avait de grandes zones obscures... Tout en se faufilant, avec des précautions de chat, parmi les corps étendus, Catherine, bien protégée par son costume, glissa un regard vers la cheminée. Assise sur la pierre auprès de Jean Van Eyck qui se tenait debout face au foyer, Ermengarde causait avec lui à voix basse, mais avec animation. Ils devaient préparer leur plan... Catherine ne put s'empêcher de sourire et de leur adresser un ironique et muet adieu.

Lentement, les deux fugitifs gagnèrent la porte. Josse l'entrouvrit avec précaution. Mais le léger bruit qu'elle fit se trouva couvert par les ronflements sonores des Navarrais qui dormaient pêle-mêle tout auprès... Catherine se glissa au-dehors et Josse passa après elle...

— Sauvés ! souffla-t-il ! Venez vite !

Il la saisit par la main, l'entraîna hors de l'hospice. Sous la voûte, deux chevaux attendaient, tout sellés, leurs sabots enveloppés de chiffons. Joyeusement, Josse tendit le bras désignant le ciel où s'amoncelaient les nuages. La lune était déjà presque entièrement absorbée. La dangereuse lumière trop blanche diminuait d'instant en instant.

— Regardez ! Le ciel lui-même est pour nous ! En selle, maintenant, mais prenez garde : le chemin est raide et dangereux !

— Moins dangereux que les hommes en général et les amis en particulier ! riposta Catherine.

Un instant plus tard, au petit trot prudent de leurs chevaux, Catherine et son compagnon s'élançaient sur le chemin de Pampelune.

Dans un geste où il y avait du défi, la jeune femme salua au passage le gigantesque rocher que, selon la légende, l'épée de" Roland le Preux avait ouvert de haut en bas. Celui-là avait fendu une montagne. Elle ferait mieux !...

Josse Rallard retint son cheval et étendit le bras.

— Voilà Burgos ! dit-il, et la nuit est proche. Nous y arrêtons-nous

?

Sourcils froncés, Catherine examina un moment la ville étendue à ses pieds. Après les interminables solitudes du rêche plateau durci par le gel, écorché par le vent, après ces étendues d'un jaune délavé, la capitale des rois de Castille était décevante. Une grosse cité grise et jaune, close de remparts de même couleur, dominée par la masse menaçante d'un fort château. Rien de bien remarquable !... Si, pourtant

: une immense construction, enguirlandée d'échafaudages, mais découpée comme une dentelle, ciselée comme un bijou et qui, dans la lumière pauvre du soir, semblait faite d'ambre roux, s'étendait sur la ville qu'elle avait l'air de couver : la Cathédrale. Au pied des remparts, enjambé par la double ogive d'un pont, un fleuve coulait une eau lente et boueuse. Tout cela donnait une lugubre impression de froid et d'humidité. Catherine resserra autour d'elle son lourd manteau de cheval, haussa les épaules, soupira :

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