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— Enclouer la porte ? Mais... et mon époux ?... Et messire Arnaud

?

Gauberte eut un geste d'impuissance en détournant les yeux.

— Il est dedans !... souffla-t-elle enfin... mais il est peut-être déjà mort à cette heure. Ça va vite, la peste, dame Catherine, terriblement vite !... Le frère Anthime a dit qu'on n'ouvrirait le château que dans quarante jours... et pour y mettre le feu ! Qu'est-ce qu'on va faire, dame Catherine ?...

Elle recommençait à pleurer, s'accrochant à la robe de la jeune femme qui ne semblait plus l'entendre. Le regard perdu, Catherine imaginait l'horreur de ce château enfermé dans l'étau de la peur, de ces gens qui mouraient à cette heure dans d'atroces souffrances. Elle vit, comme s'il était devant elle, son époux couché à terre, râlant et pourrissant tout vivant sans même le secours de Dieu. Et devant cette image effrayante Catherine oublia tout le mal qu'il lui avait fait, qu'il allait peut-être lui faire encore...

Brusquement l'horreur en elle se changea en colère. Tournée vers la longue file des fuyards elle cria :

Ce que vous allez faire ? Je n'en sais rien !... Qu'aviez-vous besoin de quitter vos maisons puisque le frère Anthime a si bien pris soin de Montsalvy en condamnant à mort votre seigneur ? Allez où vous voulez... à Saint-Projet par exemple ! Il y a là des moines, des nonnes qui vous aideront peut-être. Moi, je retourne là-haut... » Puis faisant volte-face vers le château, elle interpella Renaud dont l'immense silhouette s'érigeait entre deux créneaux : « Envoyez- moi un cheval et dites à Sara de me faire descendre tout ce qu'elle peut de remèdes.

Je vais à Montsalvy !

— Vous êtes folle, Catherine. Vous n'en sortirez pas vivante.

— C'est ce que nous verrons. Faites ce que je vous demande. Je ne laisserai pas mourir le père de mes enfants sans avoir tenté l'impossible pour le sauver.

— Mais il doit être déjà mort. La peste va...

— Très vite, je sais ! Mais je ne croirai à sa mort que lorsque je l'aurai vu.

— Folle que vous êtes ! Vous dévouer pour cet homme ? Savez-vous qu'il veut vous répudier, vous faire arracher d'ici par l'official de Rodez et jeter à Vin pacecomme adultère ? On fera votre procès et on vous enfermera jusqu'à la fin de vos jours tandis qu'il épousera une autre femme...

Furieux, Roquemaurel avait jeté tout cela du haut de sa tour comme un panier de pierres, souhaitant que ses projectiles eussent assez de poids pour clouer Catherine au sol de sa terre. Mais elle ne broncha pas. Droite comme une lame d'épée, elle releva la tête plus haut encore puis, calmement, déclara :

— C'est affaire entre Dieu et lui, mais tant que je serai sa femme je ferai mon devoir !... Allons, Renaud, assez causé ! Hâtez-vous de me donner ce que je veux... et puis prenez soin de mes enfants si je ne reviens pas.

— C'est bon, dit Renaud. Vous allez avoir ce que vous voulez...

Et il disparut du créneau.

Un moment plus tard la poterne s'ouvrait de nouveau, livrant passage cette fois non à un cheval mais à trois mules aux flancs desquelles pendaient des paniers couverts de linges. Sur l'une de ces mules, Sara, aussi calme que si elle s'en allait au marché vendre des choux, était assise.

En l'apercevant, Catherine fendit le cercle suppliant qui l'entourait en l'adjurant de ne pas se sacrifier inutilement, courut à elle et l'apostropha :

Que fais-tu là ? Rentre ! Je ne veux pas de toi ! Ton devoir est de t'occuper des enfants.

Mon devoir est et a toujours été de te suivre où que tu ailles. La dernière fois, tu es partie sans moi et cela ne t'a pas tellement réussi il me semble ? Cette fois, je viens. Tu auras besoin de moi.

Je le sais parfaitement, mais les enfants...

Marie s'en occupera aussi bien que moi surtout avec l'aide de dame Mathilde qui m'en a fait promesse et qui les adore. Et puis cela sert à quoi de tergiverser ? Nous ne sommes pas encore mortes et si tu veux savoir je n'ai aucunement l'intention de mourir, pas plus que de te laisser passer, sans combattre, de vie à trépas. Et maintenant en route ! Josse nous accompagne ?

Cette question ! marmotta l'interpellé en haussant les épaules et en envoyant un baiser au chemin de ronde.

Parfait ! Vous autres, ajouta la zingara en s'adressant à la foule répandue dans l'herbe sèche de chaque côté du chemin, avec la mine éreintée des moutons qui attendent le couteau du boucher, la dame de Roquemaurel m'envoie vous dire de rebrousser chemin jusqu'aux vieilles métairies que vous voyez là-haut. Elles sont un peu ruineuses mais elles vous offriront un abri suffisant s'il venait à pleuvoir, ce que je nous souhaite à tous. En outre, il y a une citerne où il y a encore de l'eau.

Josse aida Catherine à enfourcher sa mule, s'installa sur la troisième et prit la tête du petit cortège devant lequel chariots et bétail s'écartaient.

— Dame Catherine ! cria Gauberte les mains en porte-voix.

La jeune femme se retourna.

— Oui, Gauberte ?...

— S'il n'y avait que moi, j'irais avec vous je le jure !... mais j'ai dix gosses et j'ai peur... on a tous peur ! Vous ne savez pas ce que c'est que la peste, vous !

— Si, je le sais, répondit Catherine qui se souvenait trop bien de son bref séjour entre les murs de Chartres durant une épidémie et y puisait curieusement une sorte de réconfort. C'est pour ça que je rentre. Mais ne vous tourmentez pas : quarante jours sont vite passés... On se reverra peut-être !...

Et sans plus se retourner elle rejoignit Sara et Josse s'efforçant de ne plus voir ce château où elle laissait la plus tendre partie d'elle-même, ses petits qu'elle venait peut-être de se condamner à ne plus jamais revoir, s'efforçant aussi de lutter contre la peur que lui inspirait la mort noire... et aussi ce qu'elle allait découvrir quand elle aurait obligé frère Anthime à ouvrir devant elle les portes de sa maison prématurément transformée en tombeau.

Tout en marchant auprès d'elle, Sara l'observait du coin de l'œil, émue par ce petit pli de détermination qui marquait ses lèvres douces, des lèvres qui ne pouvaient, malgré tout, s'empêcher de trembler. Au bout d'un moment, elle n'y tint plus et tout bas, pour que Josse n'entende pas, elle murmura :

— Comme tu l'aimes encore en dépit de tout ce qu'il t'inflige !

— Ne dis pas de sottises ! J'accomplis mon devoir, rien que mon devoir ! fit Catherine, sans tourner la tête pour ne plus rencontrer le regard noir, trop perspicace, dont elle connaissait bien le pouvoir sur son esprit : jamais elle n'avait réussi à mentir à Sara.

Nul, pas même Dieu, ne peut exiger d'une femme qu'elle sacrifie sa propre vie pour voler au secours de l'homme qui la rejette.

— Le jour où je l'ai épousé, j'ai juré de le servir, de l'aider, de le secourir...

— Tu as surtout juré de l'aimer et je reconnais que tu es incroyablement fidèle à ton serment. Essaie de voir la vérité en face, Catherine. Tu es en train de prendre la mesure de ton amour, tout simplement.

— Quelle stupidité !

— Stupidité ? Crois-tu ? Ce n'est pourtant pas un imbécile qui a dit cela : « La mesure de l'amour c'est d'aimer sans mesure... » L'abbé Bernard qui m'a un jour cité cette parole, à ton sujet d'ailleurs, disait qu'elle était de saint Augustin...

Il faisait nuit noire quand ils arrivèrent à Montsalvy vers trois heures du matin et la ville ressemblait à un fantôme noir sur le ciel ténébreux. Seule, une fumée grise à reflets rougeâtres montait le long du clocher de l'église et l'éclairait un peu : les feux qu'avaient allumés les moines. Le vent d'ailleurs apportait leur odeur balsamique. Le silence était profond, les chemins de ronde déserts, privés de leurs feux de veille et de l'écho du pas ferré des sentinelles. Mais ce fut la vue de sa maison qui serra le plus cruellement le cœur de Catherine car aucune lumière n'y paraissait, aucun bruit n'en sortait... Les fenêtres du logis que l'on pouvait apercevoir par-dessus la muraille qui doublait celle de la ville, étaient obscures elles aussi.

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