— Dame Catherine ! balbutia-t-il, dame Catherine ! C'est pas vrai !... fallait que ça m'arrive à moi !
Bérenger déjà le secouait comme s'il cherchait à l'éveiller d'un cauchemar.
— Enfin, Jacquot, ça ne va pas ? Bien sûr, c'est dame Catherine
!... et c'est moi, Bérenger de Roquemaurel. On était amis avant mon départ.
— Oh ! je vous reconnais bien, gémit le garçon. Mais que ce soit moi qui sois là quand vous arrivez, que ce soit moi qui doive...
Le comportement de Jacquot était si extraordinaire que Catherine sauta à bas de son cheval et voulut s'approcher mais, à mesure qu'elle venait à lui, le jeune homme reculait et ses larmes redoublaient.
— Jacques ! s'écria-t-elle impatientée. Venez ici ! Que signifie cette comédie ? Vous me regardez comme si j'étais le diable !
— Non !... oh non, dame Catherine ! Croyez pas ça ! Mais... oh mon Dieu ! Faut que j'y aille !
— Mais où ?...
Toujours à reculons, sans cesser de la regarder et de pleurer, le jeune Malvezin allait prendre sa course vers la ville qui était en vue à présent. Ce que voyant, Gauthier lança son cheval, attrapa le garçon par le col de sa blouse et le ramena, gigotant, ses pieds touchant à peine terre, jusqu'à la jeune femme.
— Chez moi, mon garçon, quand la maîtresse pose une question on répond ! Alors, tu vas t'expliquer bien gentiment si tu ne veux pas tâter du fourreau de mon épée. Qu'est-ce que tout ça signifie ?
Jacquot regarda Catherine avec un mélange de désespoir et de crainte qui la bouleversa, se remit à pleurer, puis, finalement lâcha :
— Il faut... que j'aille prévenir le corps de garde que vous arrivez !
— Ça me paraît normal, commenta Gauthier, et il n'y a pas de quoi te mettre dans cet état.
— Oh... oh que si ! Je... je dois prévenir pour qu'on ferme les portes de la ville devant dame Catherine.
Il y eut un silence, si grand que l'on n'entendit même plus les respirations. Bérenger retenait la sienne et Catherine était suffoquée :
— Quoi ?... exhala-t-elle enfin. Que l'on ferme... les portes devant moi ?
C'est messire Arnaud qui le veut ! continua le malheureux visiblement au supplice. Oh, dame Catherine, je vous en supplie, m'en veuillez pas, je ne peux pas faire autrement ! Tous les jours, messire Arnaud envoie quelqu'un garder la route et on doit le prévenir tout de suite de votre retour. Celui... qui vous laisse rait approcher serait tué sur l'heure... lui et toute sa famille !
Catherine eut un cri d'horreur :
— Tué ? Avec toute sa famille ?... Mais c'est impossible ! Mais il est fou !...
— Je... je crois que oui mais c'est pas ma faute... Et il faut que j'y aille ! On doit nous voir, de là-bas...
— D'accord ! s'écria Gauthier. Je vais t'y ramener, moi, à Montsalvy, et tu vas pouvoir faire toutes les mauvaises commissions que tu voudras. Mais je vais entrer avec toi et ton messire Arnaud je vais aller lui dire ce que j'en pense !
— Non, Gauthier ! Je vous le défends !... Lâchez ce garçon... C'est un ordre, ajouta-t-elle si durement que l'écuyer finit par obéir. » Puis plus doucement : « Je ne veux pas être cause de la moindre effusion de sang... Tous ces gens d'ici, je les aime, je vous l'ai déjà dit !
— Si c'est ça leur fameux courage ! On leur ordonne de vous chasser et ils s'exécutent sans rien dire ? Je commence à croire que le personnage du capitaine la Foudre tient fort au cœur de votre époux !
Qu'allons-nous faire ? Rester ici ? Passer la nuit devant ces murailles, ces portes que l'on va refermer devant vous, comme si vous aviez la peste !... Regardez-le votre Jacquot ! Il court comme un lapin...
Le jeune Malvezin, en effet, avait déjà atteint les maisonnettes et galopait vers le pont-levis. Avec un geste découragé, Catherine prit son cheval par la bride et gagna le couvert des arbres. Ce coup si brutal l'assommait, anéantissant sa joie, lui enlevant tout courage...
Fallait-il qu'Arnaud l'ait prise en haine pour avoir donné des ordres aussi cruels, aussi impitoyables ? Tuer toute une famille si on la laissait approcher ? Tuer quelques-uns de ces gens de Montsalvy qu'il aimait, qui l'avaient vu naître, qu'il avait toujours défendus farouchement ? Mais que s'était-il passé ?... Et où étaient ses amis à elle : Josse et Marie Rallard qui avaient été ses compagnons d'aventures avant de prendre racine à Montsalvy ? Et l'abbé Bernard ?
Et Saturnin Garrouste, le vieux bailli, et Gauberte Cairou, la plus forte commère de la ville et son amie dévouée elle aussi ? Et Sara... Si Arnaud pourchassait ainsi ceux qui aimaient sa femme, Dieu seul savait...
L'angoisse qui lui tordit le cœur fut telle que, défaillante, elle se laissa tomber assise au pied d'un châtaignier non loin de l'innocent qui s'était remis à jouer de son instrument comme si de rien n'était.
Gauthier, exaspéré, allait lui arracher sa cabrette quand, soudain, sans cesser de jouer, il tira quelque chose de blanc de sa poche et, d'un geste habile, le jeta sur les genoux de Catherine. Un morceau de papier.
— L'est parti ! souffla-t-il— Personne peut voir ! Lire... Dame Catherine, lire... Etienne s'en va !
Il se levait en effet et sans plus s'intéresser aux autres que s'il avait été tout à fait seul, reprit son chemin sans cesser de jouer son petit air aigrelet qui sentait la pluie et le feu de bois.
Le papier portait quelques mots d'une écriture effroyable et d'une orthographe pire encore.
« Allai a ma granjeu deu laitan. Vitte ! Jeu viain... »
C'était signé : Gobairrete...
Cet invraisemblable message que Gauthier contemplait sans comprendre rendit miraculeusement courage à la jeune femme. Que Gauberte sache écrire c'était déjà un événement et une nouvelle mais il y avait là en outre quelque chose de réconfortant :
— La grange de l'étang, traduisit-elle pour ses deux compagnons.
Ce n'est pas loin. Allons-y ! Gauberte dit qu'elle va venir. Allons, Bérenger, secouez- vous ! Venez... Elle dit qu'il faut y aller vite.
Le jeune garçon, en effet, semblait changé en statue. Planté au milieu du chemin, il regardait la ville avec des yeux pleins d'horreur et d'indignation. Il tremblait comme une feuille, sous le soleil qui faisait briller les larmes sur ses joues.
cachait la clef afin qu'elle pût se mettre à l'abri en cas de pluie. En arrivant avec ses jeunes compagnons, la jeune femme n'eut aucune peine à la trouver à sa bonne place.
À l'intérieur il régnait une chaleur de four mais cela sentait bon le foin qui emplissait une grande partie du petit bâtiment et Bérenger alla d'un élan s'y jeter et s'y rouler comme s'il cherchait à intégrer son corps à cette masse odorante. Plus calmement, Catherine et Gauthier s'y assirent après avoir attaché les chevaux à l'abri des arbres et en avoir ôté les sacoches.
— Le soleil se couche, dit l'écuyer. Cela m'étonnerait que nous allions plus loin ce soir...
— Plus loin ? pourquoi irions-nous plus loin ? fit Catherine âprement. C'est ici ma terre, ma demeure. C'est ici que vivent mes enfants. Je ne veux pas m'en éloigner...
Avec un soupir de lassitude, Gauthier jeta au sol les derniers sacs contenant leurs affaires personnelles.
— Peut-être le faudra-t-il, ne fût-ce que pour mieux préparer votre retour... Vous ne pouvez pas camper ici...
— Non, mais peut-être bien devant la porte de Montsalvy, et y crier et y réclamer justice jusqu'à ce que l'on m'entende enfin, que l'on m'ouvre ces maudites portes...
— ... Ou que l'on vous tue ! Votre époux, comme bien des hommes, a la rancune d'autant plus tenace qu'il est, lui, dans son tort et qu'il déborde de mauvaise foi. Je vous avoue, dame Catherine, que je regrette de plus en plus de l'avoir soigné quand il a été blessé sous Châteauvillain. J'aurais dû le laisser crever !...
— Non !...
Elle avait crié l'instinctive protestation. L'amour qu'elle conservait, envers et contre tout et en dépit d'elle-même, à cet homme la lui avait soufflée. Mais elle reprit plus bas :