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— ... dont vous étiez alors la maîtresse ! compléta Élisabeth. A présent, je sais vraiment qui vous êtes. Relevez-vous, madame. Je crois... que je commence à ajouter foi à vos paroles...

— Il faut me croire, madame la duchesse, il le faut ! Devant Dieu qui nous voit et sur le salut de mon âme, je jure que cette femme n'est pas Jehanne d'Arc.

Des larmes soudaines, inattendues, emplirent les yeux d'Élisabeth.

Elle revint vers l'autel mais sa démarche avait changé. Elle était lente, pénible comme si la traîne de sa robe, devenue d'un poids insupportable, lui causait une gêne extrême. Catherine l'entendit murmurer :

— Quel dommage ! Allons, les miracles ne sont plus de saison.

J'avais tant espéré ! La malédiction demeurera sur notre maison d'où est issu l'homme qui vendit la Pucelle aux Anglais !

— C'est faux ! cria la dame des Armoises en un effort désespéré pour regagner le terrain perdu. Cette femme ment ! Je suis Jehanne et la maison de Luxembourg régnera sur l'Europe.

Mais le charme était rompu ! En un instant l'aventurière avait perdu toute puissance sur la crédule princesse et déjà, comme une enfant capricieuse, celle-ci rejetait l'objet si vénéré la seconde précédente parce qu'il avait cessé d'être parfait...

— Vous savez bien que non... et que vous m'avez trompée ! Je devrais vous faire jeter dans une fosse si profonde que les artifices de votre langue menteuse n'en pourraient plus jamais sortir mais j'aime Robert des Armoises qui est bon et preux chevalier. Et puisque aujourd'hui il se trouve à Warnebourg, nous le laisserons ignorer ce qui vient de se passer mais vous allez quitter Arlon sur l'heure, vous rendre dans vos terres de Lorraine et tâcher au moins de vous y faire oublier et de rendre heureux l'homme d'honneur que vous avez dupé !

Contrairement à ce qu'attendait Catherine, la dame des Armoises ne parut ni honteuse ni accablée par l'arrêt d'exil qui la frappait. Tout au contraire, haussant les épaules avec insolence, elle parut se redresser offrant à la lumière dorée descendue du vitrail son profil trop semblable à celui de Jehanne.

— Dupé ? Croyez-vous ? Il a cru épouser une fille de France... et il a épousé une fille de France... même si je ne suis pas Jehanne ! C'est beaucoup d'honneur pour un petit seigneur lorrain...

Elle aurait pu parler longtemps ainsi, mais la duchesse de Luxembourg ne voulait plus rien entendre. Secouant la tête comme pour chasser les brumes d'un cauchemar, elle appliqua ses deux mains sur ses oreilles et, sans rien ajouter, laissa Catherine seule avec celle qu'elle venait de démasquer. La porte armée de bronze retentit derrière elle, étouffant l'écho décroissant de ses pas.

Un moment, les deux femmes se dévisagèrent, Catherine avec une sorte d'horreur incrédule. Une pareille ressemblance tenait du miracle... Heureusement, elle s'arrêtait à l'expression des yeux car jamais Jehanne n'avait eu cet air hautain, sarcastique et rusé qui ôtait tout charme à son sosie... Aussi, après un silence, ses lèvres laissèrent-elles tout naturellement échapper les mots qui s'y pressaient.

— Qui êtes-vous ?... Qui êtes-vous vraiment ?

— Je viens de vous le dire : une fille de France ! Ma mère est reine...

— Si vous êtes fille d'Ysabeau la putain, vous n'êtes pas une fille de France... Et cela n'explique pas votre ressemblance avec la Pucelle.

Car, malheureusement, je ne peux nier cette ressemblance... elle est très grande !

— Je ne vous le fais pas dire. Je sais, depuis longtemps que nous nous ressemblons comme pourraient se ressembler... des jumelles.

Peut-être suis-je sa sœur ?...

— Allons donc ! Jehanne n'avait qu'une sœur, plus jeune, qui se nommait Catherine...

Mais la dame des Armoises ne l'écoutait pas. La tête levée vers la lumière de la fenêtre elle semblait tout à coup partie très loin, ayant tout oublié de ce qui venait de se passer.

— Moi, je m'appelle Claude... à présent ! J'aurais dû vivre dans un palais plus beau que celui-ci, avoir des suivantes, des pages, des joyaux... pourtant je n'ai eu qu'une misérable maison perdue au fond des bois et des champs en Lorraine, j'ai vécu chez « mes parents »...

des paysans si grossiers que je ne pouvais les supporter... Quand j'ai été assez forte, je me suis enfuie après les avoir assommés avec un gourdin. Un soldat m'a recueillie. Il a été mon premier amant et il m'a appris la guerre. Moi aussi... comme Jehanne, j'ai combattu ! J'aime la guerre ! on y côtoie la mort de si près que la vie en devient plus succulente, plus riche ! On peut s'en saouler comme d'un vin frais après la fournaise d'une bataille...

— Mais votre père ! souffla Catherine. Qui était votre père ? Le savez-vous ?...

Qu'importe ?... Peut-être était-il prince, peut- être même roi... roi de quatre royaumes, peut-être n'était-il qu'un valet. Peut-être que je le sais, peut-être que je l'ignore...

Le cerveau de Catherine travaillait intensément. Cette aventurière tout à coup lui posait une énigme indéchiffrable et qu'elle n'essayerai pas de déchiffrer parce qu'elle la dépassait et parce qu'elle ne se reconnaissait pas le droit d'en chercher le mot. Bien sûr, officiellement Ysabeau de Bavière, la triste épouse du malheureux Charles VI, avait donné le jour à son dernier enfant le 10 septembre 1407 et il était certes difficile à une reine de cacher une grossesse.

Mais pour Ysabeau ce n'était pas impossible. D'abord parce que devenue très grasse elle offrait une silhouette continuellement déformée et massive, ensuite parce qu'elle n'avait pratiquement plus de vie publique depuis longtemps, passant ses jours et ses nuits dans ses châteaux ou à son hôtel Barbette, couchée, seule ou non, à se gaver de sucreries et de mangeaille. A la mort du duc d'Orléans, son dernier amant en titre, elle n'avait que trente-six ans et elle n'était pas de celles qui savent se priver d'hommes... Quant à sa beauté, demeurée réelle en dépit de la graisse, une beauté de grosse lionne rousse, elle pouvait encore tenter plus d'un amant. Et cette femme venait de parler d'un roi régnant sur quatre royaumes ! Se pouvait-il que Louis d'Anjou, l'époux de Yolande, le père de René se fût laissé aller au lit de la royale ribaude que son épouse méprisait ouvertement

? Les hommes ont de ces curiosités parfois...

Mais, à ces curiosités-là, Catherine se refusait. D'un effort de volonté, elle chassa de son esprit ces pensées étranges sans pouvoir s'empêcher de regardé Claude des Armoises avec des yeux nouveaux où la pitié trouvait sa place. Qui saurait jamais le secret de cette créature étrange dont le visage était pétri à l'image d'un ange et l'âme pleine de dangereuses obscurités ?

— Alors, dit-elle enfin, pourquoi ne pas vous contenter de la vie digne, auprès d'un époux aimant, qui s'ouvre devant vous ? Qu'avez-vous besoin de chercher encore l'aventure puisque vous avez trouvé un havre sûr ?

Claude haussa les épaules et sourit de son curieux sourire ambigu.

— Peut-être que j'aime l'aventure... mais peut-être suivrai-je votre conseil.

— Comme il vous plaira. Pourtant, avant que nous ne nous quittions... pour ne jamais nous revoir, acceptez au moins de me dire ce qu'est devenu mon époux !

— Pourquoi le ferais-je ?

— Peut-être parce qu'à présent vous êtes mariée. Il a des enfants, un fief, des vassaux que la guerre met souvent en péril et qui ont besoin de lui. Il faut qu'il rentre à Montsalvy.

Il y eut un silence, à peine troublé par le cliquetis léger de la chaîne d'or avec laquelle la guerrière s'était mise à jouer. Lentement, suivie par Catherine, les yeux agrandis d'angoisse, elle alla vers la porte de la chapelle. Elle semblait n'avoir rien entendu des paroles suppliantes qu'on venait de lui adresser. Craignant qu'elle ne sortît sans lui avoir répondu, la dame de Montsalvy s'apprêtait à les répéter mais, au seuil, Claude des Armoises s'arrêta, se retourna.

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