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Le texte, tracé d'une grosse écriture maladroite mais parfaitement lisible, était bref. Quelques lignes seulement. Si terribles cependant qu'elle dut s'asseoir pour en assimiler le sens.

« Si vous voulez revoir vos gens vivants et entiers, suivez le messager qui vous attend dans la rue. Sortez de la maison discrètement, sans prévenir personne et surtout ne vous avisez pas de faire capturer le messager et d'essayer de le faire parler. Il est muet et ne sait pas écrire. Si, dans une heure, vous ne nous avez pas rejoints, seule, on tranchera une main à chacun des garçons, puis l'autre si vous tardez encore... puis la tête. Hâtez-vous !... »

Un sanglot se noua dans la gorge de Catherine. Accablée, et comme si l'on venait de la frapper au ventre, elle se plia en deux sur son siège jusqu'à ce que sa poitrine touchât ses genoux, luttant contre une nausée subite. Au cœur de cette maison amie, elle se sentait tout à coup affreusement seule et désarmée, affrontée qu'elle se trouvait une fois encore à l'impitoyable monde des hommes avec pour seules défenses ses faibles mains de femme, son cœur de femme. Qu'allait-on encore exiger d'elle contre la vie et la liberté de ses jeunes compagnons ? Et qui était cet « on » au visage de ténèbres que l'anonymat faisait terrifiant ?...

La nausée passa. Un effort remit Catherine debout. Elle n'avait pas de temps pour s'apitoyer sur elle- même. Il lui fallait se hâter, se hâter pour que d'autres n'eussent pas à souffrir de sa faiblesse.

D'un pas encore tremblant, elle alla jusqu'à la fenêtre fouillant des yeux l'ombre dense qui, tout à coup se fragmenta en une ombre plus noire encore mais qui agitait quelque chose de clair, un chiffon blanc sans doute... Le messager était bien là. Sachant qu'on la voyait parfaitement Catherine fit signe qu'elle descendait, rajusta ses vêtements, prit son grand manteau noir à capuchon, s'y ensevelit et souffla sa chandelle.

Gauthier lui avait montré comment sortir de la maison par la cuisine sans attirer l'attention des habitants lorsqu'ils étaient allés ensemble prévenir Jacques de Roussay avant l'expédition contre la Maladière. Il avait même poussé la conscience jusqu'à graisser les verrous à l'huile de lampe.

Ne sachant pas si elle reviendrait vivante de cette dangereuse expédition, Catherine laissa le billet bien en évidence sur la table de la cuisine afin que, si l'on devait la chercher, il y eût au moins un indice puis elle se disposa à quitter la maison, non sans un frisson de terreur.

La porte s'ouvrit sans bruit sous sa main et elle se retrouva dans la rue. Un vent vif chassait les nuages. Il lui parut que la nuit était un peu moins noire. Aussi n'eut-elle aucune peine à apercevoir celui qui l'attendait et qui tenait à la main un chiffon blanc. C'était tout ce que l'on pouvait en distinguer car, pour le reste, Catherine ne put voir qu'un paquet de hardes sombres dégageant une effroyable odeur de crasse.

Quand elle s'approcha de lui, le messager fit disparaître son chiffon et fit signe à la jeune femme de le suivre. Ensemble ils descendirent le bourg en longeant les maisons, autant pour être mieux cachés que pour éviter les immondices qui transformaient la principale rue marchande de Dijon en cloaque permanent puis l'on se dirigea vers le Morimont dont l'aspect sinistre parut à la jeune femme frissonnante un affreux présage et la fit se signer d'une main tremblante.

À la hauteur du moulin des Carmes, l'homme dirigea sa compagne vers la berge du Suzon et la fit monter dans un bachot caché sous l'arche du petit pont. Elle comprit d'ailleurs très vite la raison de cette navigation nocturne sur le ruisseau puant quand elle vit que la grille qui fermait le tunnel, sous la courtine de la porte d'Ouche, avait été ouverte.

L'esquif glissa sans bruit sous la voûte dégoûtante d'eau tandis que ses occupants devaient se courber pour éviter de la heurter de la tête.

Mais le passage était court et l'on déboucha bientôt à l'air libre, près de la masse formidable de la porte d'Ouche, à l'endroit où le Suzon rejoignait la rivière dont les eaux alimentaient les fossés de la ville.

L'homme sans visage et sans voix qui pilotait Catherine tira plus vigoureusement sur ses avirons pour remonter le cours de l'Ouche en direction d'une ligne de moulins bâtis sur la rive droite.

Les grandes roues à aube brassaient l'eau avec un bruit de cascade.

Leur écume arrachait à la nuit des éclats blancs. L'un des moulins, le dernier qui était plus qu'à demi ruiné, s'abritait sous une végétation sauvage près d'un boqueteau d'arbres dépouillés et se tenait à l'écart des autres comme un réprouvé mais non loin d'un bâtiment en aussi mauvais état que lui.

Comme tous les habitants de Dijon, Catherine connaissait bien ce moulin que l'on appelait le Moulin-Brûlé et qui passait pour hanté. Sa réputation était à peine moins mauvaise que le bâtiment voisin, une ancienne ferme qui, en cas de peste, servait d'hôpital. Hôpital était d'ailleurs un mot bien pompeux pour le refuge misérable que trouvaient là ceux qui, atteints du terrible mal, y venaient, chassés par la peur de leurs proches, pour y trouver un abri où il leur fût permis d'attendre la mort en paix s'ils en avaient le temps car la peste frappait comme la foudre.

Comme, l'épidémie passée, on y venait brûler les corps, la vieille ferme originelle avait subi quelques incendies et le moulin voisin n'avait pas été épargné.

Les rames battaient vigoureusement l'eau tandis que le bateau se dirigeait vers ces ruines. Catherine n'en fut pas autrement surprise. Si, comme elle le supposait, elle devait avoir affaire à Jacquot de la Mer ou à ses fidèles, le lieu était tout indiqué puisque le roi de la pègre dijonnaise semblait montrer une prédilection pour les lieux maudits.

Après la Maladière, le Moulin-Brûlé ! C'était dans la ligne normale des choses. D'autant que les deux endroits présentaient l'avantage commun de se trouver en dehors des portes de la ville.

La pointe de la barque heurta la rive sur laquelle le messager sauta pour saisir une chaîne qui pendait au tronc d'un saule. Il y attacha le bateau tandis qu'une autre silhouette noire se détachait de l'arbre qui parut se dédoubler.

Le messager attira le bordage contre la rive puis s'assit tranquillement dans l'herbe cependant que le nouveau venu se penchait et prenait Catherine par le bras afin de l'aider à mettre pied à terre. Lui non plus ne dit rien mais, quand il l'attira à lui, Catherine sentit une odeur de graisse d'armes et crut, dans la fente du manteau, voir briller l'acier d'une cuirasse.

L'homme l'avait saisie sans douceur et elle essaya de se libérer de sa poigne.

— Vous me faites mal ! protesta-t-elle.

Un ricanement lui répondit et l'étreinte autour de son bras se resserra encore tandis que l'homme accélérait l'allure au risque de la faire tomber. Le sol était inégal et elle trébucha plusieurs fois sur des mottes d'herbe sèche avant qu'un escalier ne se présentât, un escalier qui plongeait dans le sol et au fond duquel brillait une faible lumière, semblable à un reflet dans les profondeurs d'un puits.

La descente ne fut pas longue. Pourtant elle parut, à Catherine terrifiée, aussi interminable qu'un voyage aux Enfers et, cette fois, elle bénit la poigne rude qui lui écrasait le bras mais la soutenait car, sans cela, elle se fût peut-être rompu le cou au bas de cet escalier aux marches visqueuses.

Une porte faite de planches disjointes s'ouvrit en criant sous le coup de pied du compagnon de Catherine qui était une sorte d'homme des bois, velu de toutes parts avec une énorme verrue sur le bout du nez. Il poussa la jeune femme dans une grande cave large et basse, sentant fortement le salpêtre et la moisissure, dont les murs blanchâtres étaient éclairés par de grandes flammes, celles qui jaillissaient d'un large pot de fer, posé à même le sol.

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