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Il y eut un silence. L'idée faisait son chemin dans l'esprit de Roussay qui, visiblement, la tournait et la retournait dans tous les sens. Sans d'ailleurs parvenir à lui trouver une conclusion satisfaisante car il finit par soupirer.

— Evidemment ! Tout est possible. Mais je n'ai aucun droit pour arrêter qui que ce soit sur un simple soupçon.

— Je vous en prie, Jacques, cherchons encore ! murmura-telle enfin. Nous finirons bien par trouver au moins un faible indice. Je sens qu'il y a ici quelque chose de louche.

— A moins de démolir la maison pierre par pierre, je ne vois pas ce que nous pourrions faire de mieux ! bougonna Roussay.

La visite recommença mais sans apporter plus de résultat. Il fallut bien se résigner et Catherine, la mort dans l'âme, regagna la boutique.

— Alors ? lui lança la femme l'œil arrogant. Vous l'avez trouvé votre cher oncle ? Vous voilà contente, hein ? Vous avez bien empoisonné la vie d'honnêtes gens qui ne vous demandaient rien ?

Seulement, sous prétexte qu'on est Madame la Comtesse, ou Madame l'Abbesse, ajouta-t-elle à l'adresse de Loyse qui, le teint cireux et les yeux clos, s'était laissée tomber sur une escabelle, on se croit tout permis, on a tous les droits, pas vrai ? Et vous vous imaginez que ça va se passer comme ça ?...

— Pour le moment, oui ! coupa Roussay en empoignant Amandine par le bras. Et je vous conseille de baisser le ton, la belle, car tant que Mathieu Gautherin ne sera pas retrouvé, vous ne serez pas tirée d'affaire. On ne vous lâchera pas avant de savoir ce qu'il est devenu...

— Vous ferez sagement, je crois, articula calmement une claire voix féminine qui domina un instant le tumulte de protestations d'Amandine et de son frère, car je vous amène une pauvre créature qui peut avoir des choses intéressantes à dire.

Sur le seuil, flanquée d'une servante visiblement terrifiée qu'elle tenait d'une main ferme, se tenait une grande femme blonde âgée d'environ vingt-cinq ans, éclatante et fraîche dont le corps opulent était habillé d'un superbe velours ciselé du même brun que ses yeux.

Les amples manches de sa robe, découpées en feuilles de chêne et descendant jusqu'à terre, laissaient voir une doublure de satin gris assorti à la jupe de dessous qu'un pan de la robe, relevé par une agrafe d'or, montrait coquettement. Une sorte de haut tambourin formé d'une torsade de velours brun et de satin gris dont les pans s'enroulaient autour de son cou coiffait avec une certaine majesté l'aimable visage de cette femme devant laquelle Jacques de Roussay s'inclina courtoisement avec un empressement qui n'échappa pas à Catherine.

Je viens de chez vous, sire capitaine, continua la nouvelle venue, car je désirais que cette fille refasse pour vous le récit dont elle m'avait régalée. Mais l'on m'y a appris que vous étiez justement parti pour le

« Grand Saint Bonaventure » et je me suis hâtée de vous suivre, pensant que je pourrais vous y être utile... Sainte Vierge bénie !

s'exclama-t-elle en découvrant soudain Loyse qui se redressait péniblement. Vous étiez donc là, révérende mère ?... Mais que vous est-il arrivé ? Vous êtes pâle et, Dieu me pardonne, vous vous soutenez à peine.

— Ce n'est rien, dame Symonne ! soupira Loyse en s'efforçant de sourire. J'ai eu maille à partir avec ces gens... mais je ne crois pas que vous connaissiez ma sœur, la comtesse de Montsalvy. Catherine, ajouta-t-elle en se tournant vers la jeune femme, damoiselle Symonne Sauvegrain était déjà, et de longtemps, une bienfaitrice de notre couvent mais, depuis qu'elle a épousé messire Jehan Morel, conseiller et gouverneur de la Chancellerie de Monseigneur le Duc, elle a encore amplifié ses bienfaits. J'ajoute qu'elle a eu l'insigne honneur de nourrir de son lait monseigneur le comte de Charolais1 et que Madame la Duchesse lui porte une toute particulière amitié.

Le blond visage de la nourrice ducale s'illumina d'un sourire, cependant que ses mains se tendaient en un geste d'accueil charmant.

— La célèbre Catherine !... Quelle joie de vous rencontrer ! Ainsi vous étiez à Dijon et personne ne le savait ?

— Je n'y suis que depuis une heure, répondit la jeune femme conquise par la chaleur et l'amitié que dégageait cette femme. Et je suis venue tout droit ici dans l'espoir de revoir mon oncle dont je suis sans nouvelles depuis des années. Mais ne disiez-vous pas que vous pourriez nous apprendre quelque chose ?

— Je le crois ! Cette enfant, ajouta-t-elle en poussant devant elle la petite servante, est la jeune sœur d'une de mes chambrières. Elle est en place tout près d'ici, chez maître Seguin, le faiseur de coffres de mariage qui vient de mourir et dont le petit jardin est mitoyen de celui qui s'étend derrière cette maison. Or, ce tantôt elle est accourue chez moi, toute

1 Le futur Charles le Téméraire.

Défaite et en larmes, en suppliant qu'on voulût bien la garder car elle refusait de retourner dans la maison des Seguin. Allons, Marthon, un peu de courage !... raconte ton histoire comme tu me l'as racontée...

L'histoire était courte. Peut-être impressionnée par la mort de son maître, Marthon avait fini par se persuader que la maison était hantée, principalement les resserres à bois du fond du jardinet, où l'on entreposait aussi bien les bûches à brûler que les billes de bois pour les coffres et qui jouxtait par un côté l'appentis où, chez Mathieu Gautherin, on avait un poulailler et une resserre à outils. Marthon affirmait y avoir entendu des bruits bizarres. Or, ce jour-là, étant seule à la maison, elle avait eu besoin de quelques bûches pour sa cuisine et, maîtrisant sa crainte, elle était allée dans la resserre. Mais à peine y était- elle entrée qu'un gémissement, si affreux qu'il ne pouvait venir selon elle que de l'autre monde, l'en avait chassée, sanglotante et le cœur fou.

Alors, plantant là son ouvrage et ne songeant plus qu'à se protéger de l'âme en peine de son maître, elle s'était enfuie en courant pour chercher refuge auprès de sa sœur chez dame Morel. Celle-ci ayant entendu par hasard le récit échevelé et hoquetant de la pauvre fille lui avait alors posé quelques questions, puis s'était décidée à l'emmener voir Jacques de Roussay.

— J'ai trouvé cette histoire étrange, dit Symonne. Depuis quelque temps, maître Gautherin, dont je suis une des bonnes clientes et que j'estime, avait disparu de sa boutique. On le disait souffrant, trop souffrant même pour recevoir ses meilleurs clients. Cela m'a étonnée.

Votre oncle a toujours été l'énergie et la courtoisie mêmes, ajouta-t-elle pour Catherine. En outre, ces gens m'ont, depuis longtemps, inspiré une méfiance, vague peut-être, mais dont je ne pouvais me défendre. Voilà pourquoi je suis venue jusqu'ici avec Marthon.

Le regard de Catherine croisa celui de Roussay.

Nous avons visité la maison de la cave au grenier, fit-elle avec une douceur pleine de menace en constatant qu'Amandine venait de perdre quelques unes de ses belles couleurs mais qui aurait songé au poulailler ?

Il lui répondit par un large sourire et par un geste à l'adresse de ses hommes qui, à sa suite, se précipitèrent au fond du jardin.

Ils y trouvèrent Gauthier et Bérenger, au milieu d'une troupe piaillant de volailles effarouchées, occupés à essayer de faire sauter le gros cadenas qui maintenait fermée une porte en bois mal dégrossi mais visiblement neuve. Les deux garçons n'avaient eu besoin que d'un coup d'œil pour se comprendre et abandonner la boutique pour le poulailler quand la nourrice du jeune Charolais avait exposé à son auditoire les terreurs de Marthon. Ils n'étaient cependant pas encore venus à bout de leur ouvrage car, si les planches de la porte montraient des interstices, le cadenas était solide.

— Peste ! remarqua Roussay goguenard à l'adresse d'Amandine que deux soldats amenaient, on ne risquera pas de vous voler vos œufs et j'espère que vous avez pensé à donner une clef à vos poules !

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