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Les parents, et Katerina Fédoséievna, qui était assise auprès d'eux et servait le thé, s'approchèrent.

Veltchaninov choisit une romance de Glinka, aujourd'hui presque oubliée:

Quand à l'heure joyeuse tu ouvriras tes lèvres

Et que tu me parleras, plus tendre qu'une colombe…

Il chantait, tourné vers Nadia, qui se tenait debout près de lui. Il n'avait plus depuis longtemps qu'un reste de voix, mais ce reste suffisait à prouver qu'il avait dû fort bien chanter. Il avait entendu cette romance, vingt ans auparavant, quand il était encore étudiant, de la bouche de Glinka lui-même, à un souper artistique et littéraire donné par un ami du compositeur. Glinka, ce soir-là, chanta et joua celles de ses œuvres qu'il préférait. Il n'avait plus guère de voix, mais Veltchaninov se rappelait l'effet extraordinaire qu'avait produit en particulier cette romance. Un chanteur de profession ne serait jamais parvenu à faire une impression aussi puissante. Dans cette romance, la passion grandit et s'élève avec chaque vers, avec chaque mot; la gradation y est si forte, et si liée que la moindre fausse note, la moindre défaillance, qui passe inaperçue à l'opéra, ôte au morceau toute sa valeur et toute sa portée. Pour chanter cette petite chose toute simple, mais si extraordinaire, il fallait absolument de la sincérité, un élan d'inspiration, une passion véritable, ou parfaitement simulée. Autrement, ce n'était plus qu'une petite romance quelconque, laide, et même inconvenante: il n'est pas possible de traduire avec une aussi grande force la tension extrême de la passion sans provoquer le dégoût, à moins que la sincérité et la simplicité de cœur ne sauvent tout.

Veltchaninov se rappelait le succès que lui avait valu cette romance. Il s'était approprié autant que possible la manière de Glinka; et maintenant encore, dès la première note, dès le premier vers, une inspiration véritable emplit son âme et passa dans sa voix. À chaque mot, le sentiment croissait en force et en audace; vers la fin, il fit entendre de vrais cris de passion; regardant Nadia de ses yeux enflammés, il chantait les derniers vers de la romance:

Maintenant, je regarde avec plus d'audace dans tes yeux. J'approche mes lèvres, et, sans force pour entendre,

Je veux t'embrasser, t'embrasser, t'embrasser!

Je veux t'embrasser, t'embrasser, t'embrasser!

Nadia trembla de peur, et recula; une rougeur couvrit ses joues, et il y eut comme un éclair qui passa de Veltchaninov à son visage tout bouleversé de confusion et presque de honte. Les autres auditeurs furent à la fois ravis et déconcertés: chacun semblait dire qu'il était vraiment déplacé de chanter de la sorte, et en même temps tous ces jeunes visages et tous ces petits yeux brillaient et étincelaient. La figure de Katerina Fédoséievna était si rayonnante que Veltchaninov la trouva presque jolie.

– Voilà une belle romance! murmura le vieux Zakhlébinine avec un peu d'embarras. Mais… n'est-ce pas trop violent? C'est beau, mais violent…

– C'est violent…, voulut dire à son tour sa femme.

Mais Pavel Pavlovitch ne lui laissa pas le temps d'achever, il bondit en avant, comme un fou, prit Nadia par le bras et la repoussa loin de Veltchaninov, se campa devant celui-ci, le regarda d'un œil éperdu, les lèvres tremblantes.

– Une petite minute, je vous prie, put-il dire enfin.

Veltchaninov comprit aussitôt que, s'il tardait le moins du monde, ce personnage en viendrait à des démarches dix fois plus absurdes; il le saisit par le bras, et, sans prendre garde à la surprise de tous, il l'emmena sur la terrasse, descendit avec lui au jardin, où déjà il faisait presque nuit.

– Comprenez-vous qu'il faut à l'instant même partir avec moi? dit Pavel Pavlovitch.

– Mais je ne comprends pas du tout…

– Rappelez-vous, poursuivit Pavel Pavlovitch, avec rage, rappelez-vous que vous m'avez pressé de vous dire tout, oui, tout, sincèrement, jusqu'au bout! Vous vous rappelez? Eh bien, le moment est venu… Allons!

Veltchaninov réfléchit, regarda encore une fois Pavel Pavlovitch, et consentit à partir.

Ce départ imprévu désola les parents et exaspéra les jeunes filles.

– Au moins, acceptez encore une tasse de thé, supplia madame Zakhlébinine.

– Mais enfin, qu'as-tu donc à être si agité? demanda le vieillard d'un ton sévère et mécontent à Pavel Pavlovitch, qui souriait et se taisait.

– Pavel Pavlovitch, pourquoi emmenez-vous Alexis Ivanovitch? gémirent les jeunes filles, en le regardant d'un œil furieux.

Nadia lui jeta un regard si dur qu'il fit une grimace; mais il ne céda pas.

– C'est qu'en effet Pavel Pavlovitch m'a rendu le service de me rappeler une affaire extrêmement importante, que j'allais oublier, dit Veltchaninov en souriant.

Il serra la main au père, s'inclina devant les jeunes filles, et plus particulièrement devant Katia, ce qui fut encore remarqué.

– Merci d'être venu nous voir; nous en serons toujours enchantés, tous, dit avec insistance le vieux Zakhlébinine.

– Oh! oui, nous sommes si enchantés…, reprit la mère, chaleureusement.

– Vous reviendrez, Alexis Ivanovitch, vous reviendrez! criaient les jeunes filles du haut du perron, tandis qu'il montait en voiture avec Pavel Pavlovitch.

Et une petite voix ajoutait, plus bas que les autres:

– Oh oui! revenez! cher, cher Alexis Ivanovitch!

– Cela, c'est la petite rousse, songea Veltchaninov.

XIII DE QUEL COTÉ PENCHE LA BALANCE

Il songeait encore à la petite rousse, et pourtant le regret et le mécontentement de lui-même lui brûlaient le cœur depuis longtemps. Au cours de cette journée, qui, en apparence, avait été si gaie, la tristesse ne l'avait pas quitté. Avant qu'il se mît à chanter, il ne savait plus comment s'en affranchir; peut-être est-ce pour cette raison qu'il avait chanté avec un tel élan.

«Et j'ai pu, moi, m'abaisser à ce point… tout oublier!» songea-t-il.

Mais aussitôt il coupa court à ses remords. Il lui semblait humiliant de gémir sur lui-même; il eût cent fois mieux aimé faire passer tout de suite sa colère sur un autre.

– L'imbécile! grommela-t-il avec colère, en jetant un coup d'œil en dessous vers Pavel Pavlovitch assis sans mot dire à ses côtés, dans la voiture.

Pavel Pavlovitch restait obstinément silencieux: il semblait se ramasser sur lui-même et se préparer. De temps à autre, d'un geste impatient, il ôtait son chapeau, et s'essuyait le front de son mouchoir.

– Il est en nage! grogna Veltchaninov.

Une seule fois, Pavel Pavlovitch ouvrit la bouche pour demander au cocher si l'orage éclaterait ou non.

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