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» À toutes ces contrariétés, je vais en ajouter encore une autre, ou plusieurs autres, desquelles vous allez prendre part. Je vous avais annoncé que le saule planté par moi sur la tombe avait bien réussi, et qu'il était très-beau. Eh bien, il a fallu qu'il entrât pour sa part dans le chagrin que j'ai éprouvé. Chaque étranger qui est venu visiter le tombeau, et tout le monde y est venu, le chemin d'Ornolac est constamment encombré, chaque personne, dis-je, a voulu avoir, son morceau du malheureux saule, et l'on a fini par le faire sécher. J'ai eu beau adresser des prières, j'ai eu beau me fâcher pour qu'on le respectât, menaces et prières, tout a été inutile. Les fleurs également ont été enlevées; chacun a voulu emporter une relique. Mais que ceci ne vous afflige pas; au contraire, vous devez être flatté de la vénération dont les dépouilles de la pauvre défunte sont honorées. Le mal fait à l'arbre et aux fleurs est facile à réparer.

» Je planterai un nouveau saule et de nouvelles fleurs, et tout sera fini.»

Qu'ajouter à cela?

Les dernières lignes écrites par le digne M. Collard, par ce vieillard qui proteste, au nom de ses soixante-quinze années et de ses cheveux blancs, contre le jugement qui a frappé sa nièce.

«Et maintenant, veut-on savoir si j'ai cru cette femme coupable?

» Je réponds:

» Retenue prisonnière, je lui avais donné pour compagne ma fille.

» Devenue libre, je lui aurais donné pour mari mon fils.

» Ma conviction est là.

» COLLARD,

» Montpellier, 17 juin 1853.»

Marie Capelle est morte à l'âge de trente-six ans après douze ans de captivité.

JACQUES FOSSE

Il y a quelque chose comme trois ou quatre mois qu'ayant dû prendre ma place à un grand dîner que donnait la Société de sauvetage, je fus empêché de m'y rendre par je ne sais quelle affaire.

Le lendemain matin, je vis entrer dans mon cabinet un homme de trente-quatre à trente-cinq ans, aux cheveux courts, aux traits vigoureusement accentués, aux membres musculeux.

– Monsieur Dumas, me dit-il, je devais dîner hier avec vous; vous n'êtes pas venu au dîner. Je repars aujourd'hui, et je n'ai pas voulu repartir sans vous voir.

– À qui ai-je l'honneur de parler? lui demandai-je.

– Je suis Jacques Fosse, me dit-il, marchand de grains à Beaucaire, et sauveteur dans mes moments perdus.

En disant ces mots, il ouvrit son paletot et me montra sa poitrine, couverte de médailles d'or et d'argent qui lui faisaient comme une éclatante cuirasse, sur laquelle, suspendue à son ruban rouge, éclatait comme une étoile la croix de la Légion d'honneur.

Je suis peu sensible à l'entraînement des médailles, des croix et des plaques, quand je les vois sur certaines poitrines; mais j'avoue que, lorsque c'est sur la poitrine d'un homme du peuple qu'elles brillent, j'éprouve un certain respect, convaincu que je suis qu'il faut que celui-là les ait gagnées pour les avoir obtenues.

Je me levai donc comme je n'eusse certainement point fait devant un ministre, et j'invitai mon visiteur à s'asseoir.

Ce que j'appris de cet homme dans la conversation qui suivit, laissez-moi vous le dire, chers lecteurs. J'ai plaisir à vous raconter cette vie de luttes, de travail et surtout de dévouement.

Jacques Fosse naquit à Saint-Gilles;-à ce seul nom, vous vous rappelez Raymond de Toulouse et la belle église de Saint-Trophime.-Il naquit le 14 juin 1819; ce qui lui constitue aujourd'hui quarante ans, ou à peu près.

Il était fils de Jean Fosse et de Geneviève Duplessis.

Il perdit son père en 1820. Il avait un an.

La veuve, sans fortune, quitta aussitôt Saint-Gilles, pour aller habiter chez sa mère, à Beaucaire.

En 1822, elle se remaria, épousa un nommé Perrico, duquel elle eut douze enfants, dont trois sont morts.

En 1828, le beau-père de Fosse devint infirme et cessa de travailler. Il y avait déjà six enfants de ce second lit à nourrir.

Là commença le travail du petit Jacques. Il avait neuf ans. Il s'en alla sur les routes avec un panier et une pelle; ramassant du crottin.

Le pain n'était pas cher à cette époque. Le produit du travail d'un enfant de neuf ans suffit à nourrir toute la pauvre famille.

Certes, on ne vivait pas bien avec les douze ou quinze sous qu'il gagnait par jour; mais enfin on vivait.

Il fit ce métier pendant un an.

Mais, comme, à dix ans, il était aussi fort qu'un enfant de quinze, il entra comme manoeuvre chez un maçon.

Jusqu'à douze ans, il porta le mortier sur ses épaules.

En 1830, le 18 juin, il entend crier: «Au secours!» C'était le nommé Chaffin, un garçon de dix-huit ans, qui se noyait.

Fosse pique une tête du haut du quai, le ramène vers un radeau, manque de passer dessous, accroche une main qu'on lui tend, et, au lieu de passer sous le radeau, arrive à monter dessus.

Il avait onze ans. Ce fut son prospectus: courage et dévouement.

Jamais programme ne fut mieux suivi.

En 1832, à treize ans, il commença à travailler dans les carrières en qualité d'apprenti mineur.

Il y gagnait vingt-cinq sous par jour.

Deux ans il fit ce métier. Mais, comme le métier devenait mauvais, à quatorze ans il se fit portefaix sur le port.

À quatorze ans, Fosse portait sept cents.

Il y avait alors de grands mouvements à la foire de Beaucaire: elle durait deux mois, amenait cinquante mille personnes, et étalait un immense commerce de soie, de draperie et de cuir.

Pendant cette année 1834, Fosse sauva trois personnes qui se noyaient dans le Rhône: un marchand de planches,-puis un soldat,-puis le fils d'un charcutier nommé Cambon.

Le soldat se noyait au vu de toute la compagnie, qui se baignait en même temps que lui et n'osait lui porter secours. C'était au-dessus de Beaucaire, au milieu de ce qu'on appelle le tourbillon du Rhône; le danger était donc immense. Fosse ne s'y arrêta point.-Par bonheur, le soldat, qui avait déjà beaucoup bu, était à peu près évanoui.

Fosse le ramena au rivage au milieu des applaudissements de toute la compagnie.

Le jeune Cambon, que nous avons nommé le dernier, s'amusait, lui, en se balançant dans une nacelle; la nacelle chavire; il ne savait pas nager et allait tout simplement passer sous le bateau à vapeur, lorsque Fosse l'atteignit et le sauva.

Fosse, en prenant pied au fond du Rhône, avait touché un morceau de bouteille cassée et s'était blessé à un doigt. Depuis ce jour, ce doigt est inerte, le nerf en a été coupé.

En 1836, Fosse entra dans la compagnie des bateaux à vapeur, en qualité de pisteur. C'est le nom que l'on donne à ceux qui appellent et dirigent les voyageurs.

Dans le courant du mois de juillet, c'est-à-dire en pleine foire de Beaucaire, on vint appeler Fosse au moment où il était dans un café chantant.

Un ours et deux saltimbanques se noyaient.

Voici le fait:

Deux saltimbanques montraient un ours qu'ils faisaient danser.

Le menuet fini, les saltimbanques pensèrent que leur ours avait besoin de se rafraîchir. Ils le menèrent au Rhône.

Sollicité par la fraîcheur de l'eau, l'ours ne se contenta pas de boire, il se mit à la nage, entraînant celui des deux saltimbanques qui tenait la chaîne.

Le second saltimbanque voulut retenir son camarade, mais fut entraîné avec lui.

Quand le premier lâcha la chaîne, il était trop tard, il avait perdu pied. Ni l'un ni l'autre ne savaient nager.

Quant à l'ours, il nageait comme un de ses confrères du pôle.

Fosse courut d'abord aux saltimbanques.

Seulement, comme il craignait d'être saisi par quelque membre essentiel et paralysé dans ses mouvements en se jetant à l'eau, Fosse avait pris à tout hasard un cercle de tonneau; il présenta le cercle aux saltimbanques; un d'eux, en se débattant, s'y accrocha, et, comme le second n'avait pas lâché le premier, Fosse, en nageant vers le bord, les traîna tous deux après lui.

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