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Malgré cette précaution, l'un d'eux parvint à le saisir par la jambe; mais, heureusement, le nageur avait pied.

Il poussa les deux hommes sur la berge, et s'élança à la poursuite de l'ours, qui se gaudissait au beau milieu du fleuve.

Il s'agissait non-seulement, cette fois, de sauver l'ours, mais encore de l'empêcher de s'enfuir.

Ce n'était pas chose facile. Tout muselé qu'il était, l'ours se sentait en liberté, et tenait bravement le milieu du fleuve. Fosse s'élança à sa poursuite.

Lorsque l'ours vit approcher le sauveteur, il se douta que c'était à lui qu'il en voulait, et se retourna contre lui.

Fosse plongea et s'en alla chercher la chaîne de fer de l'animal, qui, entraînée par son poids, pendait de cinq à six pieds sous l'eau.

Il prit l'extrémité de la chaîne et nagea vers le bord, entraînant l'ours, qui résistait, mais résistait inutilement, entraîné qu'il était par une force supérieure.

Cependant Fosse fut obligé de revenir à la surface de l'eau pour respirer.

C'était là que l'ours l'attendait.

Il allongea sa lourde patte, dont Fosse sentit le poids sur son épaule.

Par bonheur, il avait eu le temps de respirer; il replongea, reprit la chaîne qu'il avait abandonnée un instant, et refit une dizaine de brassées vers le bord, entraînant toujours l'animal après lui.

Le même manège se renouvela dix fois, quinze fois, vingt fois, peut-être, Fosse plongeant, esquivant, à son retour sur l'eau, le coup de patte de l'ours, replongeant et tirant de nouveau l'animal à terre.

Enfin, il reprit pied, remit la chaîne aux mains des saltimbanques, et se jeta hors de la portée de l'animal, furieux et rugissant.

Il va sans dire que tout Beaucaire était sur les ponts et les quais pour assister à cet étrange sauvetage.

En 1839, Fosse sauva la vie à cinq personnes; deux d'entre elles étaient tombées dans le Rhône en franchissant la planche qui conduisait au bateau à vapeur.

C'étaient deux hommes de Grenoble, des marchands de bras de charrette.

Fosse entend crier, fait écarter la foule qui se pressait sur le quai, et, tout habillé, saute de douze pieds de haut.

Il fallait remonter le fleuve et aller chercher sous les bateaux ceux qui s'y noyaient.

Les deux marchands s'étaient cramponnés l'un à l'autre.

En ouvrant les yeux, Fosse les vit au fond du fleuve, se roulant et se débattant.

Il nagea droit sur eux; mais l'un le saisit par la jambe, l'autre par les épaules.

Tout empêché qu'il est par eux, il les traîne du côté du quai, s'accroche aux pierres saillantes, finit par sortir la tête hors de l'eau, et crie qu'on lui envoie une corde.

À peine en a-t-il saisi l'extrémité, qu'il y attache celui qui le tient par les épaules, puis l'autre, et crie:

– Tire!

On les monta tous deux comme un colis. Celui qui lui tenait la jambe, étant resté le plus longtemps sous l'eau, était évanoui; l'autre avait conservé toute sa tête; aussi, à peine sur le quai, s'aperçut-il que son portemanteau était resté au fond du Rhône.

Ce portemanteau contenait quinze cents francs.

Fosse replonge, rattrape le portemanteau et reparaît avec lui.

Le marchand, pour ce double sauvetage, offrit cinquante francs à Fosse.

Il va sans dire que celui-ci refusa.

Le 28 septembre de la même année, madame de Sainte-Maure, belle-mère de M. de Montcalm, arrivait de Lyon avec son fils; elle allait chez son gendre à Montpellier.

En passant du bateau au quai, son pied glissa sur la planche humide et elle tomba dans le Rhône.

Fosse plonge tout habillé, passe avec elle sous le bateau, et reparaît de l'autre côté.

Mais le Rhône est gros et rapide, il entraîne le nageur et celle qu'il essaye de sauver.

Un nommé Vincent détache un batelet et rame au secours de Fosse.

Fosse s'accroche d'une main au bordage du batelet; de l'autre, il soutient madame de Sainte-Maure.

Le poids fait chavirer le batelet, qui, non-seulement chavire, mais encore se retourne.

Fosse laisse Vincent, qui sait nager, se tirer de là comme il pourra; il place madame de Sainte-Maure sur la quille du bateau, pousse le bateau vers la terre, et aborde à deux kilomètres de l'endroit où il avait sauté à l'eau.

Là, madame de Sainte-Maure est déposée dans la maison d'un constructeur de bateaux, nommé Raousse.

Les deux autres personnes sauvées par Fosse, en 1839, étaient un garçon cafetier de Beaucaire, et un nommé Soulier.

Peu de temps après, Fosse fut mandé chez M. Tavernel, maire de Beaucaire.

M. Tavernel était chargé de lui remettre une médaille d'argent de deuxième classe, ou cent francs, à son choix; Fosse préféra la médaille; elle valait quarante sous.

Il avait déjà sauvé la vie à une quinzaine de personnes; une médaille de quarante sous pour avoir sauvé la vie à quinze personnes, ce n'est pas trois sous par personne.

Fosse s'en contenta.

En 1840, il tomba à la conscription.

Mais, avant de se rendre au régiment, il sauva encore la vie à deux personnes: l'une se noyait dans le canal, c'était une femme; l'autre dans le Rhône, c'était un employé de MM. Cuisinier, négociants à Lyon.

Ces nouveaux sauvetages lui valurent une deuxième médaille de seconde classe.

Désigné comme canonnier au 6e d'artillerie, il arriva au corps le 1er septembre 1840.

Choisi pour faire partie du camp de Châlons, il fut envoyé à Strasbourg, où se réunissaient les hommes désignés pour Châlons.

Pendant son séjour à Strasbourg, il sauve deux chevaux et deux hommes du même régiment que lui. Malheureusement, sur les deux hommes, un seul arrive vivant à terre; l'autre a été tué d'un coup de pied de cheval.

Le marquis de la Place avait promis à Fosse, une fois au camp, de lui faire donner la croix par le duc d'Orléans; mais le camp n'eut pas lieu, à cause de la mort du duc d'Orléans.

En 1841, Fosse se trouve à Besançon: un soldat se noyait dans le Doubs; deux autres soldats s'élancent à son secours; tous trois tombent dans un trou, tous trois allaient s'y noyer, quand Fosse les en retire tous les trois, et vivants.

Ce fut à ce propos qu'il obtint sa troisième médaille de deuxième classe.

En tirant de l'Ill les deux canonniers et les deux chevaux, Fosse s'était ouvert le flanc avec une bouteille cassée.

Au mois de mai 1845, Fosse revint en congé à Beaucaire. La famille avait fort souffert de son absence: il se remit immédiatement au travail; elle s'était augmentée: Fosse avait maintenant à nourrir son beau-père, sa mère et neuf frères et soeurs.

Mais ce n'était plus le beau temps des portefaix: la foire de Beaucaire, à peu près morte aujourd'hui, dès ce temps-là s'en allait mourant.

Il se fit scieur de long, et, admirablement servi par sa force herculéenne, gagna de six à sept francs par jour. Il profita de cette augmentation dans sa recette pour se marier.

En 1847, Fosse entra comme facteur chef à la gare des marchandises à Beaucaire; une des conditions de la place était de savoir lire et écrire. On demanda à Fosse s'il le savait; Fosse répondit hardiment que oui. Tout ce qu'il connaissait, c'étaient ses chiffres jusqu'à 100. Fosse prit deux professeurs: un de jour, un de nuit.

M. Renaud était son professeur de jour; il venait chez lui de midi à deux heures; Fosse lui donnait six francs par mois.

M. Dejean était son professeur de nuit; Fosse lui donnait douze francs.

Au bout de deux ans, l'éducation de l'écolier de vingt-huit ans était faite.

Dans ses moments perdus, Fosse continuait de sauver les gens.

Un marinier de Condrieux veut accoster le quai avec son bateau; en sautant de son bateau sur un radeau, le pied lui manque, il tombe dans le Rhône et passe sous le radeau.

Par bonheur, il y avait un trou au radeau.

Fosse, qui entend crier à l'aide, accourt; on lui explique qu'un homme est passé sous le radeau: il plonge par le trou et sort avec l'homme par l'une des extrémités.

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