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– Non, dit Chicot, tu n'es coupable ni par action, ni par omission, mais tu es coupable par pensée.

– Moi?

– Sans doute, tu trouves la duchesse fort belle.

– Moi!

– Et tu te retournes pour la voir encore à travers les carreaux.

– Moi!!!

Le moinillon rougit et balbutia:

– C'est vrai, elle ressemble à une vierge Marie qui était au chevet de ma mère.

– Oh! murmura Chicot, combien perdent de choses les gens qui ne sont pas curieux!

– Alors il se fit raconter par le petit Clément, qu'il tenait désormais à sa discrétion, tout ce qu'il venait de raconter lui-même, mais, cette fois, avec des détails qu'il ne pouvait savoir.

– Vois-tu, dit Chicot quand il eut fini, quel pauvre maître d'escrime tu avais dans frère Borromée!

– Monsieur Briquet, fit le petit Jacques, il ne faut pas dire de mal des morts.

– Non, mais avoue une chose.

– Laquelle?

– C'est que Borromée tirait moins bien que celui qui l'a tué.

– C'est vrai.

– Et maintenant, voilà tout ce que j'avais à te dire. Bonsoir, mon petit Jacques, à bientôt, et si tu veux…

– Quoi, monsieur Briquet?

– Eh bien! c'est moi qui te donnerai des leçons d'escrime à l'avenir.

– Oh! bien volontiers.

– Maintenant, en route, petit, car on t'attend avec impatience au prieuré.

– C'est vrai; merci, monsieur Briquet, de m'en avoir fait souvenir.

Et le moinillon disparut en courant.

Ce n'était pas sans raison que Chicot avait congédié son interlocuteur. Il en avait tiré tout ce qu'il voulait savoir et, d'un autre côté, il lui restait encore quelque chose à apprendre.

Il rejoignit donc à grands pas sa maison. La litière, les porteurs et le cheval étaient toujours à la porte du Fier-Chevalier.

Il regagna sans bruit sa gouttière.

La maison située en face de la sienne était toujours éclairée.

Dès lors, il n'eut plus de regards que pour cette maison.

Il vit d'abord, par la fente d'un rideau, passer et repasser Ernauton, qui paraissait attendre avec impatience.

Puis il vit revenir la litière, il vit partir Mayneville, enfin, il vit entrer la duchesse dans la chambre où palpitait Ernauton plutôt qu'il ne respirait.

Ernauton s'agenouilla devant la duchesse qui lui donna sa blanche main à baiser.

Puis la duchesse releva le jeune homme et le fit asseoir devant elle, à une table élégamment servie.

– C'est singulier, dit Chicot, cela commençait comme une conspiration, et cela finit comme un rendez-vous d'amour.

Oui, continua Chicot, mais qui l'a donné ce rendez-vous d'amour?

Madame de Montpensier.

Puis s'éclairant à une lumière nouvelle:

– Oh! oh! murmura-t-il. «Chère sœur, j'approuve votre plan à l'égard des Quarante-Cinq: seulement, permettez-moi de vous dire que c'est bien de l'honneur que vous ferez à ces drôles-là.»

Ventre de biche! s'écria Chicot, j'en reviens à ma première idée; ce n'est pas de l'amour, c'est une conspiration.

Madame la duchesse de Montpensier aime M. Ernauton de Carmainges; surveillons les amours de madame la duchesse.

Et Chicot surveilla jusqu'à minuit et demi, heure à laquelle Ernauton s'enfuit, le manteau sur le nez, tandis que madame la duchesse de Montpensier remontait en litière.

– Maintenant, murmura Chicot en descendant son escalier, quelle est cette chance de mort qui doit délivrer le duc de Guise de l'héritier présomptif de la couronne? quels sont ces gens que l'on croyait morts et qui sont vivants?

Mordieu! je pourrais bien être sur la trace!

LXXXV Le cardinal de Joyeuse

La jeunesse a des opiniâtretés dans le mal et dans le bien qui valent l'aplomb des résolutions d'un âge mûr.

Tendus vers le bien, ces sortes d'entêtements produisent les grandes actions et impriment à l'homme qui débute dans la vie un mouvement qui le porte, par une pente naturelle, vers un héroïsme quelconque.

Ainsi Bayard et du Guesclin devinrent de grands capitaines pour avoir été les plus hargneux et les plus intraitables enfants qu'on eût jamais vus; ainsi ce gardeur de pourceaux dont la nature avait fait le pâtre de Montalte, et dont le génie fit Sixte-Quint, devint un grand pape pour s'être obstiné à mal faire sa besogne de porcher.

Ainsi les pires natures Spartiates se développèrent-elles dans le sens de l'héroïsme, après avoir commencé par l'entêtement dans la dissimulation et la cruauté.

Nous n'avons ici à tracer que le portrait d'un homme ordinaire; cependant plus d'un biographe eût trouvé dans Henri du Bouchage, à vingt ans, l'étoffe d'un grand homme.

Henri s'obstina dans son amour et dans sa séquestration du monde. Comme le lui avait demandé son frère, comme l'avait exigé le roi, il demeura quelques jours seul avec son éternelle pensée; puis, sa pensée s'étant faite de plus en plus immuable, il se décida un matin à visiter son frère le cardinal, personnage important, qui à l'âge de vingt-six ans était déjà cardinal depuis deux ans, et qui de l'archevêché de Narbonne était passé au plus haut degré des grandeurs ecclésiastiques, grâce à la noblesse de sa race et à la puissance de son esprit.

François de Joyeuse, que nous avons déjà introduit en scène pour éclaircir le doute de Henri de Valois à l'égard de Sylla, François de Joyeuse, jeune et mondain, beau et spirituel, était un des hommes les plus remarquables de l'époque. Ambitieux par nature, mais circonspect par calcul et par position, François de Joyeuse pouvait prendre pour devise: Rien n'est trop, et justifier sa devise.

Peut-être seul de tous les hommes de cour et François de Joyeuse était un homme de cour avant tout, il avait su se faire deux soutiens des deux trônes religieux et laïque desquels il ressortissait comme gentil homme français et comme prince de l'Église; Sixte le protégeait contre Henri III, Henri III le protégeait contre Sixte. Il était Italien à Paris, Parisien à Rome, magnifique et adroit partout.

L'épée seule de Joyeuse, le grand-amiral, donnait à ce dernier plus de poids dans la balance; mais on voyait, à certains sourires du cardinal, que, s'il manquait de ces pesantes armes temporelles que, tout élégant qu'il était, maniait si bien le bras de son frère, il savait user et même abuser des armes spirituelles confiées à lui par le souverain chef de l'Église.

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