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Marguerite, qui était assise, se leva, et étendit la main comme pour ordonner aux pages de rester.

– Faut-il que j’appelle vos femmes? demanda le roi. Je le ferai si tel est votre désir, quoique je vous avoue que, pour les choses que j’ai à vous dire, j’aimerais mieux que nous fussions en tête-à-tête.

Et le roi de Navarre s’avança vers le cabinet.

– Non! s’écria Marguerite en s’élançant au-devant de lui avec impétuosité; non, c’est inutile, et je suis prête à vous entendre.

Le Béarnais savait ce qu’il voulait savoir; il jeta un regard rapide et profond vers le cabinet, comme s’il eût voulu, malgré la portière qui le voilait, pénétrer dans ses plus sombres profondeurs; puis, ramenant ses regards sur sa belle épousée pâle de terreur:

– En ce cas, madame, dit-il d’une voix parfaitement calme, causons donc un instant.

– Comme il plaira à Votre Majesté, dit la jeune femme en retombant plutôt qu’elle ne s’assit sur le siège que lui indiquait son mari.

Le Béarnais se plaça près d’elle.

– Madame, continua-t-il, quoi qu’en aient dit bien des gens, notre mariage est, je le pense, un bon mariage. Je suis bien à vous et vous êtes bien à moi.

– Mais…, dit Marguerite effrayée.

– Nous devons en conséquence, continua le roi de Navarre sans paraître remarquer l’hésitation de Marguerite, agir l’un avec l’autre comme de bons alliés, puisque nous nous sommes aujourd’hui juré alliance devant Dieu. N’est-ce pas votre avis?

– Sans doute, monsieur.

– Je sais, madame, combien votre pénétration est grande, je sais combien le terrain de la cour est semé de dangereux abîmes; or, je suis jeune, et, quoique je n’aie jamais fait de mal à personne, j’ai bon nombre d’ennemis. Dans quel camp, madame, dois-je ranger celle qui porte mon nom et qui m’a juré affection au pied de l’autel?

– Oh! monsieur, pourriez-vous penser…

– Je ne pense rien, madame, j’espère, et je veux m’assurer que mon espérance est fondée. Il est certain que notre mariage n’est qu’un prétexte ou qu’un piège.

Marguerite tressaillit, car peut-être aussi cette pensée s’était-elle présentée à son esprit.

– Maintenant, lequel des deux? continua Henri de Navarre. Le roi me hait, le duc d’Anjou me hait, le duc d’Alençon me hait, Catherine de Médicis haïssait trop ma mère pour ne point me haïr.

– Oh! monsieur, que dites-vous?

– La vérité, madame, reprit le roi, et je voudrais, afin qu’on ne crût pas que je suis dupe de l’assassinat de M. de Mouy et de l’empoisonnement de ma mère, je voudrais qu’il y eût ici quelqu’un qui pût m’entendre.

– Oh! monsieur, dit vivement Marguerite, et de l’air le plus calme et le plus souriant qu’elle pût prendre, vous savez bien qu’il n’y a ici que vous et moi.

– Et voilà justement ce qui fait que je m’abandonne, voilà ce qui fait que j’ose vous dire que je ne suis dupe ni des caresses que me fait la maison de France, ni de celles que me fait la maison de Lorraine.

– Sire! Sire! s’écria Marguerite.

– Eh bien, qu’y a-t-il, ma mie? demanda Henri souriant à son tour.

– Il y a, monsieur, que de pareils discours sont bien dangereux.

– Non, pas quand on est en tête-à-tête, reprit le roi. Je vous disais donc…

Marguerite était visiblement au supplice; elle eût voulu arrêter chaque parole sur les lèvres du Béarnais; mais Henri continua avec son apparente bonhomie:

– Je vous disais donc que j’étais menacé de tous côtés, menacé par le roi, menacé par le duc d’Alençon, menacé par le duc d’Anjou, menacé par la reine mère, menacé par le duc de Guise, par le duc de Mayenne, par le cardinal de Lorraine, menacé par tout le monde, enfin. On sent cela instinctivement; vous le savez, madame. Eh bien! contre toutes ces menaces qui ne peuvent tarder de devenir des attaques, je puis me défendre avec votre secours; car vous êtes aimée, vous, de toutes les personnes qui me détestent.

– Moi? dit Marguerite.

– Oui, vous, reprit Henri de Navarre avec une bonhomie parfaite; oui, vous êtes aimée du roi Charles; vous êtes aimée, il appuya sur le mot, du duc d’Alençon; vous êtes aimée de la reine Catherine; enfin, vous êtes aimée du duc de Guise.

– Monsieur…, murmura Marguerite.

– Eh bien! qu’y a-t-il donc d’étonnant que tout le monde vous aime? ceux que je viens de vous nommer sont vos frères ou vos parents. Aimer ses parents ou ses frères, c’est vivre selon le cœur de Dieu.

– Mais enfin, reprit Marguerite oppressée, où voulez-vous en venir, monsieur?

– J’en veux venir à ce que je vous ai dit; c’est que si vous vous faites, je ne dirai pas mon amie, mais mon alliée, je puis tout braver; tandis qu’au contraire, si vous vous faites mon ennemie, je suis perdu.

– Oh! votre ennemie, jamais, monsieur! s’écria Marguerite.

– Mais mon amie, jamais non plus?…

– Peut-être.

– Et mon alliée?

– Certainement. Et Marguerite se retourna et tendit la main au roi.

Henri la prit, la baisa galamment, et la gardant dans les siennes bien plus dans un désir d’investigation que par un sentiment de tendresse:

– Eh bien, je vous crois, madame, dit-il, et vous accepte pour alliée. Ainsi donc on nous a mariés sans que nous nous connussions, sans que nous nous aimassions; on nous a mariés sans nous consulter, nous qu’on mariait. Nous ne nous devons donc rien comme mari et femme. Vous voyez, madame, que je vais au-devant de vos vœux, et que je vous confirme ce soir ce que je vous disais hier. Mais nous, nous nous allions librement, sans que personne nous y force, nous, nous allions comme deux cœurs loyaux qui se doivent protection mutuelle et s’allient; c’est bien comme cela que vous l’entendez?

– Oui, monsieur, dit Marguerite en essayant de retirer sa main.

– Eh bien, continua le Béarnais les yeux toujours fixés sur la porte du cabinet, comme la première preuve d’une alliance franche est la confiance la plus absolue, je vais, madame, vous raconter dans ses détails les plus secrets le plan que j’ai formé à l’effet de combattre victorieusement toutes ces inimitiés.

– Monsieur…, murmura Marguerite en tournant à son tour et malgré elle les yeux vers le cabinet, tandis que le Béarnais, voyant sa ruse réussir, souriait dans sa barbe.

– Voici donc ce que je vais faire, continua-t-il sans paraître remarquer le trouble de la jeune femme; je vais…

– Monsieur, s’écria Marguerite en se levant vivement et en saisissant le roi par le bras, permettez que je respire; l’émotion… la chaleur… j’étouffe.

En effet Marguerite était pâle et tremblante comme si elle allait se laisser choir sur le tapis.

Henri marcha droit à une fenêtre située à bonne distance et l’ouvrit. Cette fenêtre donnait sur la rivière.

Marguerite le suivit.

– Silence! silence! Sire! par pitié pour vous, murmura-t-elle.

– Eh! madame, fit le Béarnais en souriant à sa manière, ne m’avez-vous pas dit que nous étions seuls?

– Oui, monsieur; mais n’avez-vous pas entendu dire qu’à l’aide d’une sarbacane, introduite à travers un plafond ou à travers un mur, on peut tout entendre?

– Bien, madame, bien, dit vivement et tout bas le Béarnais. Vous ne m’aimez pas, c’est vrai; mais vous êtes une honnête femme.

– Que voulez-vous dire, monsieur?

– Je veux dire que si vous étiez capable de me trahir, vous m’eussiez laissé continuer puisque je me trahissais tout seul. Vous m’avez arrêté. Je sais maintenant que quelqu’un est caché ici; que vous êtes une épouse infidèle, mais une fidèle alliée, et dans ce moment-ci, ajouta le Béarnais en souriant, j’ai plus besoin, je l’avoue, de fidélité en politique qu’en amour…

– Sire…, murmura Marguerite confuse.

– Bon, bon, nous parlerons de tout cela plus tard, dit Henri, quand nous nous connaîtrons mieux. Puis, haussant la voix:

– Eh bien, continua-t-il, respirez-vous plus librement à cette heure, madame?

– Oui, Sire, oui, murmura Marguerite.

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