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– Ah! madame! murmura-t-il d’une voix mourante, sauvez-moi!

Ce fut tout ce qu’il put dire. Son œil voilé par un nuage pareil à la nuit de la mort s’obscurcit; sa tête alourdie retomba en arrière, ses bras se détendirent, ses reins plièrent et il glissa sur le plancher dans son propre sang, entraînant la reine avec lui.

En ce moment Coconnas, exalté par les cris, enivré par l’odeur du sang, exaspéré par la course ardente qu’il venait de faire, allongea le bras vers l’alcôve royale. Un instant encore et son épée perçait le cœur de La Mole, et peut-être en même temps celui de Marguerite.

À l’aspect de ce fer nu, et peut-être plutôt encore à la vue de cette insolence brutale, la fille des rois se releva de toute sa taille et poussa un cri tellement empreint d’épouvante, d’indignation et de rage, que le Piémontais demeura pétrifié par un sentiment inconnu; il est vrai que, si cette scène se fût prolongée renfermée entre les mêmes acteurs, ce sentiment allait se fondre comme neige matinale au soleil d’avril.

Mais tout à coup, par une porte cachée dans la muraille s’élança un jeune homme de seize à dix-sept ans, vêtu de noir, pâle et les cheveux en désordre.

– Attends, ma sœur, attends, cria-t-il, me voilà! me voilà!

– François! François! à mon secours! dit Marguerite.

– Le duc d’Alençon! murmura La Hurière en baissant son arquebuse.

– Mordi, un fils de France! grommela Coconnas en reculant d’un pas.

Le duc d’Alençon jeta un regard autour de lui. Il vit Marguerite échevelée, plus belle que jamais, appuyée à la muraille, entourée d’hommes la fureur dans les yeux, la sueur au front, et l’écume à la bouche.

– Misérables! s’écria-t-il.

– Sauvez-moi, mon frère! dit Marguerite épuisée. Ils veulent m’assassiner. Une flamme passa sur le visage pâle du duc.

Quoiqu’il fût sans armes, soutenu, sans doute par la conscience de son nom, il s’avança les poings crispés contre Coconnas et ses compagnons, qui reculèrent épouvantés devant les éclairs qui jaillissaient de ses yeux.

– Assassinerez-vous ainsi un fils de France? voyons! Puis, comme ils continuaient de reculer devant lui:

– Çà, mon capitaine des gardes, venez ici, et qu’on me pende tous ces brigands!

Plus effrayé à la vue de ce jeune homme sans armes qu’il ne l’eût été à l’aspect d’une compagnie de reîtres ou de lansquenets, Coconnas avait déjà gagné la porte. La Hurière redescendait les degrés avec des jambes de cerf, les soldats s’entrechoquaient et se culbutaient dans le vestibule pour fuir au plus tôt, trouvant la porte trop étroite comparée au grand désir qu’ils avaient d’être dehors.

Pendant ce temps, Marguerite avait instinctivement jeté sur le jeune homme évanoui sa couverture de damas, et s’était éloignée de lui.

Quand le dernier meurtrier eut disparu, le duc d’Alençon se retourna.

– Ma sœur, s’écria-t-il en voyant Marguerite toute marbrée de sang, serais tu blessée?

Et il s’élança vers sa sœur avec une inquiétude qui eût fait honneur à sa tendresse, si cette tendresse n’eût pas été accusée d’être plus grande qu’il ne convenait à un frère.

– Non, dit-elle, je ne le crois pas, ou, si je le suis, c’est légèrement.

– Mais ce sang, dit le duc en parcourant de ses mains tremblantes tout le corps de Marguerite; ce sang, d’où vient-il?

– Je ne sais, dit la jeune femme. Un de ces misérables a porté la main sur moi, peut-être était-il blessé.

– Porté la main sur ma sœur! s’écria le duc. Oh! si tu me l’avais seulement montré du doigt, si tu m’avais dit lequel, si je savais où le trouver!

– Chut! dit Marguerite.

– Et pourquoi? dit François.

– Parce que si l’on vous voyait à cette heure dans ma chambre…

– Un frère ne peut-il pas visiter sa sœur, Marguerite?

La reine arrêta sur le duc d’Alençon un regard si fixe et cependant si menaçant, que le jeune homme recula.

– Oui, oui, Marguerite, dit-il, tu as raison, oui, je rentre chez moi. Mais tu ne peux rester seule pendant cette nuit terrible. Veux-tu que j’appelle Gillonne?

– Non, non, personne; va-t’en, François, va-t’en par où tu es venu.

Le jeune prince obéit; et à peine eut-il disparu, que Marguerite, entendant un soupir qui venait de derrière son lit, s’élança vers la porte du passage secret, la ferma au verrou, puis courut à l’autre porte, qu’elle ferma de même, juste au moment où un gros d’archers et de soldats qui poursuivaient d’autres huguenots logés dans le Louvre passait comme un ouragan à l’extrémité du corridor.

Alors, après avoir regardé avec attention autour d’elle pour voir si elle était bien seule, elle revint vers la ruelle de son lit, souleva la couverture de damas qui avait dérobé le corps de La Mole aux regards du duc d’Alençon, tira avec effort la masse inerte dans la chambre, et, voyant que le malheureux respirait encore, elle s’assit, appuya sa tête sur ses genoux, et lui jeta de l’eau au visage pour le faire revenir.

Ce fut alors seulement que, l’eau écartant le voile de poussière, de poudre et de sang qui couvrait la figure du blessé, Marguerite reconnut en lui ce beau gentilhomme qui, plein d’existence et d’espoir, était trois ou quatre heures auparavant venu lui demander sa protection près du roi de Navarre, et l’avait, en la laissant rêveuse elle-même, quittée ébloui de sa beauté.

Marguerite jeta un cri d’effroi, car maintenant ce qu’elle ressentait pour le blessé c’était plus que de la pitié, c’était de l’intérêt; en effet, le blessé pour elle n’était plus un simple étranger, c’était presque une connaissance. Sous sa main le beau visage de La Mole reparut bientôt tout entier, mais pâle, alangui par la douleur; elle mit avec un frisson mortel et presque aussi pâle que lui la main sur son cœur, son cœur battait encore. Alors elle étendit cette main vers un flacon de sels qui se trouvait sur une table voisine et le lui fit respirer.

La Mole ouvrit les yeux.

– Oh! mon Dieu! murmura-t-il, où suis-je?

– Sauvé! Rassurez-vous, sauvé! dit Marguerite.

La Mole tourna avec effort son regard vers la reine, la dévora un instant des yeux et balbutia:

– Oh! que vous êtes belle! Et, comme ébloui, il referma aussitôt la paupière en poussant un soupir. Marguerite jeta un léger cri. Le jeune homme avait pâli encore, si c’était possible; et elle crut un instant que ce soupir était le dernier.

– Oh! mon Dieu, mon Dieu! dit-elle, ayez pitié de lui! En ce moment on heurta violemment à la porte du corridor.

Marguerite se leva à moitié, soutenant La Mole par-dessous l’épaule.

– Qui va là? cria-t-elle.

– Madame, madame, c’est moi, moi! cria une voix de femme. Moi, la duchesse de Nevers.

– Henriette! s’écria Marguerite. Oh! il n’y a pas de danger, c’est une amie, entendez-vous, monsieur? La Mole fit un effort et se souleva sur un genou.

– Tâchez de vous soutenir tandis que je vais ouvrir la porte, dit la reine. La Mole appuya sa main à terre, et parvint à garder l’équilibre.

Marguerite fit un pas vers la porte; mais elle s’arrêta tout à coup, frémissant d’effroi.

– Ah! tu n’es pas seule? s’écria-t-elle en entendant un bruit d’armes.

– Non, je suis accompagnée de douze gardes que m’a laissés mon beau frère M. de Guise.

– M. de Guise! murmura La Mole. Oh! l’assassin! l’assassin!

– Silence, dit Marguerite, pas un mot.

Et elle regarda tout autour d’elle pour voir où elle pourrait cacher le blessé.

– Une épée, un poignard! murmura La Mole.

– Pour vous défendre? inutile; n’avez-vous pas entendu? ils sont douze et vous êtes seul.

– Non pas pour me défendre, mais pour ne pas tomber vivant entre leurs mains.

– Non, non, dit Marguerite, non, je vous sauverai. Ah! ce cabinet! venez, venez.

La Mole fit un effort, et soutenu par Marguerite il se traîna jusqu’au cabinet. Marguerite referma la porte derrière lui, et serrant la clef dans son aumônière:

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