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Celui qui dispose de peu d'hommes doit se préparer contre l'ennemi, celui qui en a beaucoup doit faire en sorte que l'ennemi se prépare contre lui.

Ce n'est pas tout. Comme il est essentiel que vous connaissiez à fond le lieu où vous devez combattre, il n'est pas moins important que vous soyez instruit du jour, de l'heure, du moment même du combat; c'est une affaire de calcul sur laquelle il ne faut pas vous négliger. Si l'ennemi est loin de vous, sachez, jour par jour, le chemin qu'il fait, suivez-le pas à pas, quoique en apparence vous restiez immobile dans votre camp; voyez tout ce qu'il fait, quoique vos yeux ne puissent pas aller jusqu'à lui; écoutez tous les discours, quoique vous soyez hors de portée de l'entendre; soyez témoin de toute sa conduite, entrez même dans le fond de son cœur pour y lire ses craintes ou ses espérances.

Pleinement instruit de tous ses desseins, de toutes ses marches, de toutes ses actions, vous le ferez venir chaque jour précisément où vous voulez qu'il arrive. En ce cas, vous l'obligerez à camper de manière que le front de son armée ne puisse pas recevoir du secours de ceux qui sont à la queue, que l'aile droite ne puisse pas aider l'aile gauche, et vous le combattrez ainsi dans le lieu et au temps qui vous conviendront le plus.

Avant le jour déterminé pour le combat, ne soyez ni trop loin ni trop près de l'ennemi. L'espace de quelques lieues seulement est le terme qui doit vous en approcher le plus, et dix lieues entières sont le plus grand espace que vous deviez laisser entre votre armée et la sienne.

Ne cherchez pas à avoir une armée trop nombreuse, la trop grande quantité de monde est souvent plus nuisible qu'elle n'est utile. Une petite armée bien disciplinée est invincible sous un bon général. À quoi servaient au roi d'Yue les belles et nombreuses cohortes qu'il avait sur pied, lorsqu'il était en guerre contre le roi de Ou? Celui-ci, avec peu de troupes, avec une poignée de monde, le vainquit, le dompta, et ne lui laissa, de tous ses États, qu'un souvenir amer, et la honte éternelle de les avoir si mal gouvernés.

Je dis que la victoire peut être créée; même si l'ennemi est en nombre, je peux l'empêcher d'engager le combat; car, s'il ignore ma situation militaire, je peux faire en sorte qu'il se préoccupe de sa propre préparation: ainsi je lui ôte le loisir d'établir les plans pour me battre.

I. Détermine les plans de l'ennemi et tu sauras quelle stratégie sera couronnée de succès et celle qui ne le sera pas.

II. Perturbe-le et fais-lui dévoiler son ordre de bataille.

III. Détermine ses dispositions et fais-lui découvrir son champ de bataille.

IV. Mets-le à l'épreuve et apprends où sa force est abondante et où elle est déficiente.

V. La suprême tactique consiste à disposer ses troupes sans forme apparente; alors les espions les plus pénétrants ne peuvent fureter et les sages ne peuvent établir des plans contre vous.

VI. C'est selon les formes que j'établis des plans pour la victoire, mais la multitude ne le comprend guère. Bien que tous puissent voir les aspects extérieurs, personne ne peut comprendre la voie selon laquelle j'ai créé la victoire.

VII. Et quand j'ai remporté une bataille, je ne répète pas ma tactique, mais je réponds aux circonstances selon une variété infinie de voies.

Cependant si vous n'aviez qu'une petite armée, n'allez pas mal à propos vouloir vous mesurer avec une armée nombreuse; vous avez bien des précautions à prendre avant que d'en venir là. Quand on a les connaissances dont j'ai parlé plus haut, on sait s'il faut attaquer, ou se tenir simplement sur la défensive; on sait quand il faut rester tranquille, et quand il est temps de se mettre en mouvement; et si l'on est forcé de combattre, on sait si l'on sera vainqueur ou vaincu. À voir simplement la contenance des ennemis, on peut conclure sa victoire ou sa défaite, sa perte ou son salut. Encore une fois, si vous voulez attaquer le premier, ne le faites pas avant d'avoir examiné si vous avez tout ce qu'il faut pour réussir.

Au moment de déclencher votre action, lisez dans les premiers regards de vos soldats; soyez attentif à leurs premiers mouvements; et par leur ardeur ou leur nonchalance, par leur crainte ou leur intrépidité, concluez au succès ou à la défaite. Ce n'est point un présage trompeur que celui de la première contenance d'une armée prête à livrer le combat. Il en est telle qui ayant remporté la plus signalée victoire aurait été entièrement défaite si la bataille s'était livrée un jour plus tôt, ou quelques heures plus tard.

Il en doit être des troupes à peu près comme d'une eau courante. De même que l'eau qui coule évite les hauteurs et se hâte vers le pays plat, de même une armée évite la force et frappe la faiblesse.

Si la source est élevée, la rivière ou le ruisseau coulent rapidement. Si la source est presque de niveau, on s'aperçoit à peine de quelque mouvement. S'il se trouve quelque vide, l'eau le remplit d'elle-même dès qu'elle trouve la moindre issue qui la favorise. S'il y a des endroits trop pleins, l'eau cherche naturellement à se décharger ailleurs.

Pour vous, si, en parcourant les rangs de votre armée, vous voyez qu'il y a du vide, il faut le remplir; si vous trouvez du surabondant, il faut le diminuer; si vous apercevez du trop haut, il faut l'abaisser; s'il y du trop bas, il faut le relever.

L'eau, dans son cours, suit la situation du terrain dans lequel elle coule; de même, votre armée doit s'adapter au terrain sur lequel elle se meut. L'eau qui n'a point de pente ne saurait couler; des troupes qui ne sont pas bien conduites ne sauraient vaincre.

Le général habile tirera parti des circonstances même les plus dangereuses et les plus critiques. Il saura faire prendre la forme qu'il voudra, non seulement à l'armée qu'il commande mais encore à celle des ennemis.

Les troupes, quelles qu'elles puissent être, n'ont pas des qualités constantes qui les rendent invincibles; les plus mauvais soldats peuvent changer en bien et devenir d'excellents guerriers.

Conduisez-vous conformément à ce principe; ne laissez échapper aucune occasion, lorsque vous la trouverez favorable. Les cinq éléments ne sont pas partout ni toujours également purs; les quatre saisons ne se succèdent pas de la même manière chaque année; le lever et le coucher du soleil ne sont pas constamment au même point de l'horizon. Parmi les jours, certains sont longs, d'autres courts. La lune croît et décroît et n'est pas toujours également brillante. Une armée bien conduite et bien disciplinée imite à propos toutes ces variétés.

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