Voulez-vous réussir? Prenez pour modèle de votre conduite celle que je viens de vous tracer; regardez votre armée comme un seul homme que vous seriez chargé de conduire, ne lui motivez jamais votre manière d'agir; faites-lui savoir exactement tous vos avantages, mais cachez-lui avec grand soin jusqu'à la moindre de vos pertes; faites toutes vos démarches dans le plus grand secret; placez-les dans une situation périlleuse et elles survivront; disposez-les sur un terrain de mort et elles vivront, car, lorsque l'armée est placée dans une telle situation, elle peut faire sortir la victoire des revers.
Accordez des récompenses sans vous préoccuper des usages habituels, publiez des ordres sans respect des précédents, ainsi vous pourrez vous servir de l'armée entière comme d'un seul homme.
Éclairez toutes les démarches de l'ennemi, ne manquez pas de prendre les mesures les plus efficaces pour pouvoir vous assurer de la personne de leur général; faites tuer leur général, car vous ne combattez jamais que contre des rebelles.
Le nœud des opérations militaires dépend de votre faculté de faire semblant de vous conformer aux désirs de votre ennemi.
Ne divisez jamais vos forces; la concentration vous permet de tuer son général, même à une distance de mille lieues; là se trouve la capacité d'atteindre votre objet d'une manière ingénieuse.
Lorsque l'ennemi vous offre une opportunité, saisissez-en vite l'avantage; anticipez-le en vous rendant maître de quelque chose qui lui importe et avancez suivant un plan fixé secrètement.
La doctrine de la guerre consiste à suivre la situation de l'ennemi afin de décider de la bataille.
Dès que votre armée sera hors des frontières, faites-en fermer les avenues, déchirez les instructions qui sont entre vos mains et ne souffrez pas qu'on écrive ou qu'on reçoive des nouvelles; rompez vos relations avec les ennemis, assemblez votre conseil et exhortez-le à exécuter le plan; après cela, allez à l'ennemi.
Avant que la campagne soit commencée, soyez comme une jeune fille qui ne sort pas de la maison; elle s'occupe des affaires du ménage, elle a soin de tout préparer, elle voit tout, elle entend tout, elle fait tout, elle ne se mêle d'aucune affaire en apparence.
La campagne une fois commencée, vous devez avoir la promptitude d'un lièvre qui, se trouvant poursuivi par des chasseurs, tâcherait, par mille détours, de trouver enfin son gîte, pour s'y réfugier en sûreté.
Article XII De l’art d’attaquer par le feu
Sun Tzu dit: Les différentes manières de combattre par le feu se réduisent à cinq. La première consiste à brûler les hommes; la deuxième, à brûler les provisions; la troisième, à brûler les bagages; la quatrième, à brûler les arsenaux et les magasins; et la cinquième, à utiliser des projectiles incendiaires.
Avant que d'entreprendre ce genre de combat, il faut avoir tout prévu, il faut avoir reconnu la position des ennemis, il faut s'être mis au fait de tous les chemins par où il pourrait s'échapper ou recevoir du secours, il faut s'être muni des choses nécessaires pour l'exécution du projet, il faut que le temps et les circonstances soient favorables.
Préparez d'abord toutes les matières combustibles dont vous voulez faire usage: dès que vous aurez mis le feu, faites attention à la fumée. Il y a le temps de mettre le feu, il y a le jour de le faire éclater: n'allez pas confondre ces deux choses. Le temps de mettre le feu est celui où tout est tranquille sous le Ciel, où la sérénité paraît devoir être de durée. Le jour de le faire éclater est celui où la lune se trouve sous une des quatre constellations, Qi, Pi, Y, Tchen. Il est rare que le vent ne souffle point alors, et il arrive très souvent qu'il souffle avec force.
Les cinq manières de combattre par le feu demandent de votre part une conduite qui varie suivant les circonstances: ces variations se réduisent à cinq. Je vais les indiquer, afin que vous puissiez les employer dans les occasions.
I. Dès que vous aurez mis le feu, si, après quelque temps, il n'y a aucune rumeur dans le camp des ennemis, si tout est tranquille chez eux, restez vous-même tranquille, n'entreprenez rien; attaquer imprudemment, c'est chercher à se faire battre. Vous savez que le feu a pris, cela doit vous suffire: en attendant, vous devez supposer qu'il agit sourdement; ses effets n'en seront que plus funestes. Il est au-dedans; attendez qu'il éclate et que vous en voyiez des étincelles au-dehors, vous pourrez aller recevoir ceux qui ne chercheront qu'à se sauver.
II. Si peu de temps après avoir mis le feu, vous voyez qu'il s'élève par tourbillons, ne donnez pas aux ennemis le temps de l'éteindre, envoyez des gens pour l'attiser, disposez promptement toutes choses, et courez au combat.
III. Si malgré toutes vos mesures et tous les artifices que vous aurez pu employer, il n'a pas été possible à vos gens de pénétrer dans l'intérieur, et si vous êtes forcé à ne pouvoir mettre le feu que par dehors, observez de quel côté vient le vent; c'est de ce côté que doit commencer l'incendie; c'est par le même côté que vous devez attaquer. Dans ces sortes d'occasions, qu'il ne vous arrive jamais de combattre sous le vent.
IV. Si pendant le jour le vent a soufflé sans discontinuer, regardez comme une chose sûre que pendant la nuit il y aura un temps où il cessera; prenez là-dessus vos précautions et vos arrangements.
V. Un général qui, pour combattre ses ennemis, sait employer le feu toujours à propos est un homme véritablement éclairé. Un général qui sait se servir de l'eau et de l'inondation pour la même fin est un excellent homme. Cependant, il ne faut employer l'eau qu'avec discrétion. Servez-vous-en, à la bonne heure; mais que ce ne soit que pour gâter les chemins par où les ennemis pourraient s'échapper ou recevoir du secours.
Les différentes manières de combattre par le feu, telles que je viens de les indiquer, sont ordinairement suivies d'une pleine victoire, dont il faut que vous sachiez recueillir les fruits. Le plus considérable de tous, et celui sans lequel vous auriez perdu vos soins et vos peines, est de connaître le mérite de tous ceux qui se seront distingués, c'est de les récompenser en proportion de ce qu'ils auront fait pour la réussite de l'entreprise. Les hommes se conduisent ordinairement par l'intérêt; si vos troupes ne trouvent dans le service que des peines et des travaux, vous ne les emploierez pas deux fois avec avantage.
La nécessité seule doit faire entreprendre la guerre. Les combats, de quelque nature qu'ils soient, ont toujours quelque chose de funeste pour les vainqueurs eux-mêmes; il ne faut les livrer que lorsqu'on ne saurait faire la guerre autrement.
Lorsqu'un souverain est animé par la colère ou par la vengeance, qu'il ne lui arrive jamais de lever des troupes. Lorsqu'un général trouve qu'il a dans le cœur les mêmes sentiments, qu'il ne livre jamais de combats. Pour l'un et pour l'autre ce sont des temps nébuleux: qu'ils attendent les jours de sérénité pour se déterminer et pour entreprendre.
S'il y a quelque profit à espérer en vous mettant en mouvement, faites marcher votre armée; si vous ne prévoyez aucun avantage, tenez-vous en repos; eussiez-vous les sujets les plus légitimes d'être irrité, vous eût-on provoqué, insulté même, attendez, pour prendre votre parti, que le feu de la colère se soit dissipé et que les sentiments pacifiques s'élèvent en foule dans votre cœur. N'oubliez jamais que votre dessein, en faisant la guerre, doit être de procurer à État la gloire, la splendeur et la paix, et non pas d'y mettre le trouble, la désolation et la confusion.