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Quand il commença à faire nuit, Ivan rentra en ville, tourna de nouveau dans les rues – le cinéma «Le Progrès», le Raïkom, la milice. Près du Gastronom serpentait une grande queue. L'un des hommes, au bout de la file, laissa tomber un sac plein de bouteilles vides. Il se mit à en retirer les débris, se coupa les doigts et jura d'une voix fatiguée et monotone.

«Si seulement je pouvais acheter un demi-litre et l'avaler avant… sinon je n'aurai peut-être pas le courage», pensa Ivan. Mais il n'avait pas de quoi le payer. «Bon, je vais essayer de trouver les somnifères. Mais il faut que je m'en occupe plus tard, sinon les voisins vont flairer quelque chose.»

Et il continua à errer. Vers la nuit, le froid fit briller les étoiles. Sous les pieds craquait la neige givrée. Mais le vent sentait déjà le printemps. Près de chez lui, Ivan leva la tête – presque toutes les fenêtres étaient déjà noires. Il faisait noir aussi dans la cour de l'immeuble. Noir et silencieux. Dans le silence Ivan entendit derrière lui le crissement léger de la neige sous les pattes d'un chien errant. Heureux à l'idée de pouvoir le caresser et de regarder dans ses yeux inquiets et tendres, il se retourna. Le vent de la nuit faisait rouler par terre une boule de journal froissé…

Ivan passa l'entrée et s'apprêtait à monter chez lui, au troisième; mais il se souvint qu'il fallait regarder le courrier. Sa boîte, il ne l'ouvrait pas pendant des semaines, sachant que si quelque chose y tombait, c'était presque à coup sûr par erreur. Sa fille lui envoyait trois cartes par an: le jour de l'Armée soviétique, son anniversaire et la fête de la Victoire. Les deux premières dates étaient déjà passées, la troisième encore loin. Cette fois, il trouva une lettre. Seuls les étages supérieurs étaient éclairés et devant la boite régnait une obscurité presque complète.

«Moscou», déchiffra Ivan sur l'enveloppe. «Ça doit être la facture du dessoûloir. Ah! Ils sont rapides… On sent bien là la capitale…»

Pendant ses errances à travers la ville, il avait eu tout le temps de bien rassembler ses idées. Il y avait pensé avec un détachement surprenant comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre. Il se rappela où se trouvait, dans le désordre de la cuisine, un rasoir; et dans quel tiroir de la commode, les comprimés. Avec ses voisins de palier, ses relations s'étaient détériorées. C'est pourquoi, le billet demandant qu'on passe le voir, il décida de le glisser sous la porte de l'appartement du dessus où habitait un robuste magasinier, Jora. Avec lui il s'entendait bien, et parfois ils buvaient ensemble. «C'est bien, il est costaud. Il n'aura pas la frousse, lui, pensait Ivan. C'est important. Un autre aurait un coup au cœur…»

En montant l'escalier, il se tâtait le cou, cherchant où le sang bat le plus fort. «Ça doit être ça, la carotide. Oh! que ça cogne! L'important, c'est de l'atteindre au premier coup. Sinon, tu vas courir comme un poulet à demi égorgé!»

À la maison il prit le rasoir et retrouva les somnifères. Sur un morceau de papier il écrivit: «Jora, viens au 84. C 'est important.» Il alla glisser le billet sous la porte.

Revenu chez lui, il fit le tour de l'appartement, jeta un coup d'œil sur une photo à l'encadrement de bois: Tatiana et lui encore tout jeunes, et derrière eux des palmiers et la silhouette brumeuse des montagnes. Puis, après avoir pris un verre d'eau au robinet, il commença à avaler les comprimés l'un après l'autre.

Bientôt Ivan sentit un brouillard épais, étouffant tous les sons, tournoyer lentement dans sa tête. Il ouvrit le rasoir et, comme pour se raser, leva le menton.

À cet instant il se souvint qu'il avait claqué la porte et qu'il fallait la laisser ouverte, sinon Jora ne pourrait pas entrer. Sa pensée fonctionnait encore et cela lui causait une satisfaction absurde. Dans l'entrée, il tira des poches de son manteau les médailles enveloppées dans un vieux bout de journal et la lettre du dessoû-loir moscovite. Il jeta les médailles dans un tiroir et, levant la lettre dans la lumière, il ouvrit l'enveloppe sans hâte. Il n'y avait là rien d'officiel. La feuille recouverte d'une écriture féminine régulière commençait par ces mots: «Cher Papa! Il y a déjà longtemps que je ne t'ai écrit, mais tu ne peux savoir ce que c'est que la vie moscovite…»

Ivan saisit l'enveloppe et lut avec peine l'adresse de l'expéditeur: Moscou – Avenue Litovski, Maison 16, Appartement 37, Demidova O.I. Fébrilement, confondant les lignes qui déjà se brouillaient, il arrachait du regard des lambeaux de phrases: «J'ai fait connaissance avec un jeune homme bien… Nous pensons nous marier en juillet… Ses parents veulent te connaître. Viens pour les fêtes de mai… Tu resteras avec nous une semaine ou deux…»

Ivan ne retrouva jamais la toute dernière phrase de la lettre, bien qu'il l'ait vue de façon absolument distincte et qu'il l'ait même répétée, lui semblait-il, en chuchotant: «Les cloches sonnent à Moscou… Les cloches sonnent… Et qui pourrait les entendre?»

Ivan ne revint à lui que dans l'après-midi. Il ouvrit les yeux et plissa les paupières à l'aveuglant soleil qui frappait dans les carreaux. Il était couché sur le plancher. Au-dessus de lui, Jora accroupi le secouait par l'épaule:

– Dmitritch, Dmitritch! Mais réveille-toi, sacré Vétéran! Quel buveur tu fais! Où as-tu pris une cuite pareille? Mais ne ferme donc pas les yeux, tu vas t'endormir de nouveau. Pourquoi m'as-tu appelé? Qu'est-ce que c'est que cette affaire urgente? C'est de te réveiller? Hein? Tu crois que je n'ai que ça à faire, venir te dessoûler?

Ivan, l'écoutant et saisissant à peine le sens des mots, souriait. Puis, au moment où Jora un peu agacé s'apprêtait à partir, Ivan décolla ses lèvres pâteuses et demanda doucement:

– Jora, donne-moi cinq roubles. Je te les rendrai à ma prochaine retraite.

Jora sifflota et se leva, plongeant les mains dans les poches.

– Dis donc, Dmitritch, tu y vas fort! Tu t'es trouvé un pionnier bénévole! Tu ne voudrais pas que je t'apporte une bouteille et que je te nourrisse au biberon, des fois?…

Puis il jeta un œil sur l'appartement vide et défraîchi, sur Ivan dont le visage maigre était mangé par la barbe, et dit d'une voix conciliante:

– Bon, cinq roubles, je ne les ai pas. En voilà trois. Ça suffira pour soigner ta gueule de bois

Au Gastronom, hier, ils en ont reçu un raide, à deux roubles soixante-dix la bouteille. Les gars disent qu'il est bon…

Se remettant un peu, Ivan s'ébroua longuement avec plaisir sous le robinet d'eau froide, puis sortit dans la rue printanière et, sans se presser, en souriant au soleil chaud, il se dirigea vers le magasin.

Au retour il fit cuire une casserole de pâtes. Il les mangea lentement, avec une boîte de poisson bon marché. Après le repas, il versa un paquet entier de lessive dans la baignoire, ramassa tout le linge et tous les vêtements, et fit un grand

À la gare, quand Ivan distingua Olia au milieu de la foule dense et grouillante, il eut le souffle coupé, tellement elle était changée. Ils allèrent vers le métro et il ne parvenait pas à s'habituer à l'idée que cette jeune femme svelte était sa fille. Tout était tellement simple et naturellement harmonieux en elle – d'étroits souliers gris clair, des bas noirs, une veste ample et largement épaulée.

– Dis donc, Olia! Tu es devenue une vraie occidentale! lui dit-il en hochant la tête.

Elle rit.

– Oui, papa. «Tel entourage, tel plumage!» Je ne peux pas faire autrement. Tu sais à quels gros oiseaux j'ai affaire. Pas plus tard qu'hier, j'en ai terminé avec un capitaliste. Il a des usines dans sept pays du monde… Devant eux, il faut ressembler à quelque chose, sinon ils ne signent pas nos contrats.

– Et moi, tu vois, je suis un vrai paysan. Tu dois avoir honte de marcher à côté de moi.

– Mais non. Qu'est-ce que tu racontes, papa? Quelle bêtise! Ton Étoile seule vaut tout le reste. Pour le vêtement, ne t'inquiète pas. Demain, on arrangera ça. Avec ce costume, tu sais, on ne peut pas rendre visite aux parents d'Alexeï. Et surtout, il te faut une autre chemise.

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