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Mais en la regardant se relever, avec cette grande culotte et ces mi-bas translucides qui dégoûteraient un militaire priapique en manque, je réalise avec stupéfaction – mais c'est indéniable – que je n'ai jamais rien vu de plus excitant. Ce matériel biologique me jouera des tours. (Depuis, je jure que c'est vrai même si ça paraît inconcevable, les grandes culottes et les mi-bas me mettent dans des états proches de l'hypnose.)

– Tu… Tu ne veux pas prendre une douche?

– Non, je préfère descendre comme ça. Ça m'excite.

(Elle n'aime pas se laver, elle a l'impression de perdre quelque chose, de s'enlever de la vie. (Mais lorsqu'elle entre dans une douche, je me demande: est-ce bien la même personne? – elle y passe vingt minutes, voire une demi-heure, et je ne comprendrai pourquoi que le jour où elle m'invitera à assister à ce spectacle saisissant: elle lave et rince deux ou trois fois chaque centimètre carré de son corps.) Quand elle avait douze ou treize ans, elle gardait parfois la même culotte pendant quatre jours pour pouvoir la sentir ensuite.)

– Tu ne veux pas venir avec moi?

Je décide en une seconde, grâce à mon esprit informatique: de toute évidence, cette fille ne pense, n'agit pas comme nous les normaux, et ne s'embarrasse pas de principes. D'une part elle risque de me trouver collant si je saute du lit pour la suivre en jappant comme un teckel (elle ne doit pas avoir très envie de s'embarrasser d'un type comme moi), d'autre part elle ne s'offusquera certainement pas si je lui demande de repartir seule. Je sais bien que ce n'est pas malin de la laisser filer, mais je me sens si vaseux dans le lit, si poisseux de sommeil et du limon de la nuit, que je n'ai ni le courage de me lever comme un sportif et de m'habiller sale, ni l'envie de lui montrer mon vrai visage (un ahuri blafard, groggy, pâteux) sous les néons du café-tabac. Enfin, quelque chose dans le ton de sa voix, cette question sur le mode négatif qui appelle un «Non, non, ça va…», me laisse entendre qu'elle demande ça par politesse mais se verrait plutôt aller faire un petit tour seule. (Le lendemain, elle m'explique qu'elle a posé sa question de cette manière par timidité, par crainte de paraître envahissante. Les ordinateurs les plus perfectionnés se trompent parfois.)

– Non, je suis assez fatigué, je crois que je vais dormir encore un peu. Tu ne m'en veux pas?

– Non, bien sûr.

– On se voit tout à l'heure au Saxo?

– Si tu veux. Ce soir, plutôt?

– D'accord. Ce soir.

– Tu m'excuses, j'y vais vite mais j'ai envie de chier. Et chez toi, ça me gênerait. C'est bête, hein? C'est comme ça, je préfère aller aux chiottes dans les bars.

Je la regarde enfiler son manteau, elle est très belle. J'ai du mal à m'y faire, mais vraiment, elle est belle. Elle coiffe son bonnet de lapin, me sourit et s'en va. C'est amusant, ce qui m'arrive.

J'essaie de ne pas réfléchir. Pour me distraire, je vais voir si les lapins sont toujours là. Non. Ça ne m'étonne pas. J'ouvre la fenêtre et me penche sur la rambarde de fer forgé noir. La haute et fine silhouette d'Olive en cuir rouge s'éloigne sur le trottoir. De sa démarche de princesse volage, de sa démarche de danseuse en apesanteur qui fait tourner la tête de tous les passants courtauds et balourds qui la croisent, Olive Sohn va chier dans un bar.

Je décide de ne pas aller au Saxo Bar cet après-midi. J'aurais l'air de l'attendre. Je l'attendrais, et ça me rendrait nerveux et honteux. Je boirais: quand elle arriverait enfin, je serais en train de vagir des âneries, allongé sur une banquette. Et tant pis si elle s'y rend plus tôt. Selon les techniciens (je m'accroche), il est toujours utile de faire languir une femme. Plus elle attend, plus elle veut ce qu'elle attend. (Par malchance, il se trouve qu'elle n'attend pas tellement, passe la journée chez Bruno, jusqu'à dix-neuf heures. Il la photographie sous tous les angles. Quelque temps plus tard, en aidant Olive à emménager chez moi, je tombe même sur une planche-contact des photos prises ce jour-là: allongée sur le carrelage de la cuisine, les jambes largement écartées, elle se met un doigt dans la chatte; penchée au-dessus des chiottes, en robe très courte et sans culotte, elle montre ses fesses à l'objectif; à genoux, vue en plongée, elle prend presque toute la bite de Bruno dans sa bouche (bravo), deux ou trois heures après m'avoir quitté; à quatre pattes sur le grand lit de Bruno, elle tourne la tête vers l'objectif, l'air sombre, en s'enfonçant deux doigts dans le cul. Je m'abîme dans ces photos qui m'écœurent. Ces doigts que je ne vois pas baignent dans mon sperme – sur ordre de Bruno, pauvre nouille, qui n'en sait évidemment rien. Ce cul qu'elle ouvre à son objectif pendant que je marche dans le quartier en pensant à elle, elle me l'offrait sans retenue il y a quelques heures à peine. C'est dur à admettre. Irréel, douloureux.)

Après un long bain, je me lève, je vais boire quelques bières dans une brasserie de l'avenue de Clichy, puis je traîne dans les rues jusqu'à vingt heures. J'ai encore très mal aux dents. D'une cabine, je téléphone au dentiste pour prendre rendez-vous.

J'arrive au Saxo Bar à vingt heures précises. Autruche Sans Mesure est déjà là, assise à la même place que d'habitude. Elle porte une longue robe noire, en tissu épais et visiblement lourd (sans doute du velours, mais je n'y connais rien), couverte de plumes et de perles multicolores. Ses cheveux sont relevés en chignon. Devant elle sont disposés un café, un verre d'eau, son paquet de Gitanes et un briquet clinquant chinois, un encrier et un grand cahier de comptes qui paraît dater du siècle dernier – il ressemble à un vieux livre -, sur lequel elle écrit à la plume. À côté, le dernier Houellebecq. Je vais chercher un whisky au comptoir et m'assieds près d'elle.

– Tu as fini le Despentes?

Elle lève les yeux vers moi et m'éclaire aussitôt d'un sourire de gamine surprise, comme si elle ne s'attendait pas à me voir là.

– Oui, au tabac, tout à l'heure. Je suis contente de te voir.

– Moi aussi. Je ne te dérange pas?

– Non, pas du tout, au contraire.

Elle sèche sa plume avec un Kleenex et la range dans un étui à cigare, qu'elle glisse dans un sac noir de docteur (l'un de ces vieux sacs-mallettes qui rappellent de mauvais souvenirs) posé à ses pieds. Il semble plein à craquer. (Lorsque je lui demande ce qu'il y a dedans, elle me répond: «Ça? C'est ma vie.»)

– Et le Houellebecq, c'est bien?

– Je viens à peine de commencer, mais ça me plaît assez.

– Tu as passé un bon après-midi?

– Oui, rien de spécial.

Menteuse.

Pendant qu'elle est aux toilettes, je jette un coup d'œil presque malgré moi sur le cahier qu'elle a laissé ouvert pour que l'encre sèche. Son écriture penchée, rapide, comme poussée par le vent, est presque illisible. Je parviens tout de même à déchiffrer une phrase: «Il me paie et me ramène à l'aéroport.» Je lève la tête. Thierry le barman joue à la belote sur un coin du comptoir avec le patron Nenad. De temps en temps, celui-ci se frotte distraitement la paume de la main gauche. Ça le démange depuis plusieurs jours. C'est mauvais pour Thierry. Quand sa main gauche le gratte de manière persistante, c'est que de l'argent va rentrer sous peu. Quand c'est la main droite, c'est que de l'argent va sortir. Sans se douter de ce qui l'attend, Thierry, qui m'a vu penché sur le cahier d'Olive, m'interpelle.

– Eh ben Titus, mon pote, t'as pas honte? T'es amoureux, hein? Vas-y Wasa!

De toute façon, je ne comptais pas en lire davantage. C'est sa vie privée, son intimité, je n'ai pas à fouiller là-dedans comme un tapir dans un coffret à bijoux. Et puis je n'arrive pas à lire ce qu'elle écrit, alors comme ça c'est réglé. Si, la dernière phrase, tout de même: «Le mouvement dans mon ventre persiste, alimente mes journées soumises.» (Deux mois plus tard, j'apprends avec joie que j'étais à l'origine de ce mouvement dans son ventre.)

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