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En croirez-vous toujours un farouche scrupule?

Craint-on de s'égarer sur les traces d'Hercule?

Quels courages Vénus n'a-t-elle pas domptés!

Vous-même où seriez-vous, vous qui la combattez,

Si toujours Antiope à ses lois opposée,

D'une pudique ardeur n'eût brûlé pour Thésée?

Mais que sert d'affecter un superbe discours?

Avouez-le, tout change; et depuis quelques jours

On vous voit moins souvent, orgueilleux et sauvage,

Tantôt faire voler un char sur le rivage,

Tantôt, savant dans l'art par Neptune inventé,

Rendre docile au frein un coursier indompté.

Les forêts de nos cris moins souvent retentissent.

Chargés d'un feu secret, vos yeux s'appesantissent.

Il n'en faut point douter: vous aimez, vous brûlez;

Vous périssez d'un mal que vous dissimulez.

La charmante Aricie a-t-elle su vous plaire?

HIPPOLYTE

Théramène, je pars, et vais chercher mon père.

THERAMENE

Ne verrez-vous point Phèdre avant que de partir,

Seigneur?

HIPPOLYTE

C'est mon dessein: tu peux l'en avertir.

Voyons-la, puisqu'ainsi mon devoir me l'ordonne.

Mais quel nouveau malheur trouble sa chère OEnone?

SCENE II – HIPPOLYTE, OENONE, THERAMENE

OENONE

Hélas! Seigneur, quel trouble au mien peut être égal?

La Reine touche presque à son terme fatal.

En vain à l'observer jour et nuit je m'attache:

Elle meurt dans mes bras d'un mal qu'elle me cache.

Un désordre éternel règne dans son esprit.

Son chagrin inquiet l'arrache de son lit.

Elle veut voir le jour; et sa douleur profonde

M'ordonne toutefois d'écarter tout le monde…

Elle vient.

HIPPOLYTE

Il suffit: je la laisse en ces lieux,

Et ne lui montre point un visage odieux.

SCENE III – PHEDRE, OENONE

PHEDRE

N'allons point plus avant. Demeurons, chère OEnone.

Je ne me soutiens plus, ma force m'abandonne.

Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,

Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.

Hélas!

OENONE

Dieux tout-puissants! que nos pleurs vous apaisent.

PHEDRE

Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent!

Quelle importune main, en formant tous ces noeuds,

A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux?

Tout m'afflige et me nuit, et conspire à me nuire.

OENONE

Comme on voit tous ses voeux l'un l'autre se détruire!

Vous-même, condamnant vos injustes desseins,

Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains;

Vous-même, rappelant votre force première,

Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière.

Vous la voyez, madame, et prête à vous cacher,

Vous haïssez le jour que vous veniez chercher?

PHEDRE

Noble et brillant auteur d'une triste famille,

Toi, dont ma mère osait se vanter d'être fille,

Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,

Soleil, je te viens voir pour la dernière fois.

OENONE

Quoi! vous ne perdrez point cette cruelle envie?

Vous verrai-je toujours, renonçant à la vie,

Faire de votre mort les funestes apprêts?

PHEDRE

Dieux! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts!

Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière,

Suivre de l'oeil un char fuyant dans la carrière?

OENONE

Quoi, Madame?

PHEDRE

Insensée, où suis-je? et qu'ai-je dit?

Où laissé-je égarer mes voeux et mon esprit?

Je l'ai perdu: les Dieux m'en ont ravi l'usage.

OEnone, la rougeur me couvre le visage:

Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs,

Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs.

OENONE

Ah! s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence

Qui de vos maux encore aigrit la violence.

Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours,

Voulez-vous sans pitié laisser finir vos jours?

Qulle fureur les borne au milieu de leur course?

Quel charme ou quel poison en a tari la source?

Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux

Depuis que le sommeil n'est entré dans vos yeux;

Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure

Depuis que votre corps languit sans nourriture.

A quel affreux dessein vous laissez-vous tenter?

De quel droit sur vous-même osez-vous attenter?

Vous offensez les Dieux auteurs de votre vie;

Vous trahissez l'époux à qui la foi vous lie;

Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,

Que vous précipitez sous un joug rigoureux.

Songez qu'un même jour leur ravira leur mère,

Et rendra l'espérance au fils de l'étrangère,

A ce fier ennemi de vous, de votre sang,

Ce fils qu'une Amazone a porté dans son flanc,

Cet Hippolyte…

PHEDRE

Ah, dieux!

OENONE

Ce reproche vous touche.

PHEDRE

Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche?

OENONE

Hé bien! votre colère éclate avec raison:

J'aime à vous voir frémir à ce funeste nom.

Vivez donc. Que l'amour, le devoir vous excite,

Vivez, ne souffrez pas que le fils d'une Scythe,

Accablant vos enfants d'un empire odieux,

Commande au plus beau sang de la Grèce et des Dieux.

Mais ne différez point: chaque moment vous tue.

Réparez promptement votre force abattue,

Tandis que de vos jours, prêts à se consumer,

Le flambeau dure encore, et peut se rallumer.

PHEDRE

J'en ai trop prolongé la coupable durée.

OENONE

Quoi? de quel remords êtes-vous déchirée?

Quel crime a pu produire un trouble si pressant?

Vos mains n'ont point trempé dans le sang innocent?

PHEDRE

Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.

Plût aux Dieux que mon coeur fût innocent comme elles!

OENONE

Et quel affreux projet avez-vous enfanté,

Dont votre coeur encor doive être épouvanté?

PHEDRE

Je t'en ai dit assez. Epargne-moi le reste.

Je meurs pour ne point faire un aveu si funeste.

OENONE

Mourez donc, et gardez un silence inhumain;

Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.

Quoiqu'il vous reste à peine une faible lumière,

Mon âme chez les morts descendra la première.

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