LE SPECTRE DE DARÉIOS.
Ainsi c'est par eux que s'est accompli ce suprême désastre, mémorable à jamais! La ville des Sousiens n'a point été dépeuplée par une telle calamité depuis que Zeus lui fit cet honneur de vouloir qu'un seul homme réunît sous le sceptre royal tous les peuples de la féconde Asia! En effet, Mèdos, le premier, commanda l'armée. Un autre, fils de celui-ci, acheva son œuvre, car la sagesse dirigea son esprit. Le troisième fut Kyros, homme heureux, qui donna la paix à tous les siens. Il réunit au royaume le peuple des Lydiens et celui des Phrygiens, et il dompta toute l'Iônia. Et les dieux ne s'irritèrent point contre lui, parce qu'il était plein de sagesse. Le quatrième qui régna sur les peuples fut le fils de Kyros. Le cinquième fut Merdis, opprobre de la patrie et du trône antique. L'illustre Artaphrénès, à l'aide de ses compagnons, le tua par ruse dans sa demeure. Le sixième fut Maraphis, et le septième fut Artaphrénès. Et moi, j'accomplis aussi la destinée que je désirais, et je conduisis de nombreuses expéditions avec de grandes armées, mais je n'ai jamais causé de tels maux au royaume. Xerxès mon fils est jeune, il a des pensées de jeune homme, et il ne se souvient plus de mes conseils. Certes, sachez bien ceci, vous qui êtes mes égaux par l'âge: nous tous qui avons eu la puissance royale, nous n'avons jamais causé de tels maux.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Ô roi Daréios, où tendent donc tes paroles? Comment, après ces malheurs, nous, peuple Persique, jouirons-nous d'une fortune meilleure?
LE SPECTRE DE DARÉIOS.
Si vous ne portez jamais la guerre dans le pays des Hellènes, les armées Médiques fussent-elles plus nombreuses, car la terre même leur vient en aide.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Que dis-tu? Comment leur vient-elle en aide?
LE SPECTRE DE DARÉIOS.
En tuant par la faim les innombrables armées.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Mais nous enverrions une armée excellente et bien munie.
LE SPECTRE DE DARÉIOS.
Maintenant, celle même qui est restée en Hellas ne reviendra plus dans la patrie!
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Que dis-tu? Toute l'armée des Barbares n'est-elle pas revenue de l'Eurôpè en traversant le détroit de Hellè?
LE SPECTRE DE DARÉIOS.
Peu, de tant de guerriers, s'il faut en juger par les oracles des dieux et par ce qui est fait, car l'accomplissement d'un oracle est suivi par celui d'un autre. Aveuglé par une espérance vaine, Xerxès a laissé là une armée choisie. Elle est restée dans les plaines qu'arrose de ses eaux courantes l'Asopos, doux breuvage de la terre des Boiôtiens. C'est là que les Perses doivent subir le plus terrible désastre, prix de leur insolence et de leurs desseins impies; car, ayant envahi Hellas, ils n'ont pas craint de dépouiller le sanctuaire des dieux et de brûler les temples. Les sanctuaires et les autels ont été saccagés et les images des dieux arrachées de leur base et brisées. A cause de ces actions impies ils ont déjà souffert de grands maux, mais d'autres les menacent et vont jaillir, et la source des calamités n'est point encore tarie. Des flots de sang s'épaissiront, sous la lance Dorique, dans les champs de Plataia; et des morts amoncelés, jusqu'à la troisième génération, bien que muets, parleront aux yeux des hommes, disant qu'étant mortel il ne faut pas trop enfler son esprit. L'insolence qui fleurit fait germer l'épi de la ruine, et elle moissonne une lamentable moisson. Pour vous, en voyant ces expiations, souvenez-vous d'Athéna et de Hellas, afin que nul ne méprise ce qu'il possède, et, dans son désir d'un bien étranger, ne perde sa propre richesse. Zeus vengeur n'oublie point de châtier tout orgueil démesuré, car c'est un justicier inexorable. C'est pourquoi, instruisez Xerxès par vos sages conseils, afin qu'il apprenne à ne plus offenser les dieux par son insolence audacieuse. Et toi, ô vieille et chère mère de Xerxès, étant retournée dans ta demeure, choisis pour lui de beaux vêtements, et va au-devant de ton fils. En effet, il n'a plus autour de son corps que des lambeaux des vêtements aux couleurs variées qu'il a déchirés dans la douleur de ses maux. Console-le par de douces paroles. Je le sais, il n'écoutera que toi seule. Moi, je rentrerai dans les ténèbres souterraines. Et vous, vieillards, salut! Même dans le malheur, donnez, chaque jour, votre âme à la joie, car les richesses sont inutiles aux morts.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
J'apprends, à ma grande douleur, que les barbares, outre les maux présents, subiront encore d'autres calamités dans l'avenir.
ATOSSA.
Ô daimon! que d'innombrables et terribles douleurs se ruent sur moi! Mais ce qui m'est le plus amer c'est d'apprendre que mon fils est couvert de vêtements honteux. Certes, je rentrerai, et, prenant de beaux vêtements dans mes demeures, j'irai au devant de mon fils. Je ne l'abandonnerai pas dans le malheur, lui qui m'est le plus cher.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Strophe I.
Certes, ô dieux! nous menions une vie grande et heureuse et sagement gouvernée, quand le roi égal aux dieux, Daréios, vénérable, doux, invincible, suffisant à tout, commandait au royaume!
Antistrophe I.
Avant tout, nous étions illustres par notre glorieuse armée, et de fermes lois réglaient toutes choses. Puis, nos troupes, sans avoir subi de défaites, toujours victorieuses, revenaient heureusement dans nos demeures.
Strophe II.
Que de villes il a prises, sans même avoir traversé le fleuve Halys, sans avoir quitté sa demeure! Telles les villes de la mer Strymonnienne, aux frontières Thrakiennes;
Antistrophe II.
Et celles qui, loin de la mer, étaient entourées de murailles, obéissaient au roi, et les villes orgueilleuses du large détroit de Hellè, et la sinueuse Propontis, et les bouches du Pontos;
Strophe III.
Et, le long du continent prolongé, les îles entourées des flots, voisines des côtes, Lesbos, Samos qui abonde en olives, Khios, Paros, Naxos, Mykonos, et Andros qui touche à Tènos;
Antistrophe III.
Et les îles de la haute mer, Lemnos, terre d'Ikaros, Rhodos, Knidos, et les villes Kypriennes, Paphos, Solos et Salamis, dont la métropole est cause de nos gémissements.
Épôde.
Et il conquit aussi par sa prudence les riches villes des Iaônes, peuplées des Hellènes, car il possédait la force invincible d'alliés de toute race et bien armés. Et voici maintenant que les dieux ayant retourné les maux de la guerre contre nous, nous avons été cruellement vaincus sur mer!