LE HÉRAUT.
Qu'ai-je donc fait ici contre la justice?
LE ROI PÉLASGOS.
Étranger toi-même, tu ne sais ce qui est dû à des hôtes.
LE HÉRAUT.
Comment ne le saurais-je pas? Je reprends ce que j'ai perdu.
LE ROI PÉLASGOS.
A quels proxènes de ce pays as-tu parlé?
LE HÉRAUT.
A Hermès, au très-grand proxène et chercheur.
LE ROI PÉLASGOS.
Tu te recommandes des dieux et tu les outrages!
LE HÉRAUT.
Je ne respecte que les daimones du Néilos.
LE ROI PÉLASGOS.
A t'entendre, tu ne comptes pour rien les dieux de cette terre?
LE HÉRAUT.
J'emmènerai celles-ci, à moins qu'on me les arrache.
LE ROI PÉLASGOS.
Tu gémiras, si tu les touches, et promptement.
LE HÉRAUT.
J'entends une parole qui n'est pas hospitalière.
LE ROI PÉLASGOS.
Ceux qui outragent les dieux ne sont pas mes hôtes.
LE HÉRAUT.
Viens! tu diras cela aux fils d'Aigyptos.
LE ROI PÉLASGOS.
C'est un souci qui m'inquiète fort peu.
LE HÉRAUT.
Mais, afin que je puisse leur parler clairement, car il convient qu'un héraut soit un messager fidèle, que leur dirai-je? Comment leur annoncerai-je que je reviens sans cette troupe de jeunes filles, leurs parentes? Arès ne jugera point cette affaire à l'aide de témoins, d'argent et d'amende. Avant la fin, beaucoup de guerriers tomberont! et il y aura beaucoup de morts.
LE ROI PÉLASGOS.
Il n'est point nécessaire que tu saches mon nom. Tes compagnons et toi vous le connaîtrez assez avec le temps. Si celles-ci le veulent bien, tu les emmèneras de leur plein gré, les ayant persuadées par des paroles respectueuses. En effet, la ville a décidé, par les suffrages unanimes du peuple, que ces jeunes filles ne seraient ni enlevées par violence, ni livrées contre leur gré. Cette sentence a été fixée par un clou solide, afin de rester inébranlable. Elle n'a point été inscrite sur des tables d'airain, ni enfermée en un livre, mais tu l'entends hautement de la bouche d'un homme libre. Va! ôte-toi promptement de mes yeux.
LE HÉRAUT.
Alors, tu sauras que c'est la guerre. La force et la victoire resteront aux hommes.
LE ROI PÉLASGOS.
Vous en trouverez des hommes parmi ceux de ce pays, et qui ne sont pas buveur de vin d'orge. Pour vous, avec vos chères compagnes entrez d'un cœur ferme dans la ville bien fortifiée entourée de tours profondément assises. Il y a là de nombreuses demeures publiques, et j'ai moi-même largement bâti la mienne. Il est agréable d'habiter d'heureuses demeures avec un grand nombre de compagnons; mais, si cela vous plait mieux, il vous sera permis d'habiter des demeures particulières. Choisissez ce qui vous sera le plus agréable. Moi, je serai votre protecteur, avec tous les citoyens qui ont pris cette résolution. Pourquoi chercheriez-vous des appuis plus digne de confiance?
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Sois comblé de biens pour tant de bienfaits, divin roi des Pélasges! Mais, dans ta bonté, envoie ici notre père courageux, Danaos, notre prévoyant conseiller. Sa prudence est meilleure pour décider quelles demeures et quelle lieu nous devons choisir. Que tout arrive donc pour le mieux.
LE ROI PÉLASGOS.
Vous serez reçues avec des paroles de bienveillance et de joie par les citoyens de cette terre. Et vous, chères servantes, suivez chacune, pas à pas, celle des filles de Danaos qu'il vous aura désignée.
DANAOS.
Ô enfants! il faut que vous fassiez des vœux et des sacrifices et que vous versiez des libations aux Argiens comme à des dieux Olympiens, puisqu'ils nous ont sauvés sans hésiter. Ils ont écouté avec une grande faveur ce que j'ai fait contre nos cruels parents, et ils m'ont donné ces compagnons et ces gardes afin de m'honorer et pour que je ne fusse pas frappé par surprise d'un trait mortel, ce qui eût été pour cette terre une souillure éternelle. Après tout ceci il convient que vous leur rendiez grâces et que vous les honoriez plus que moi-même. Gardez cette parole dans votre mémoire avec tous les autres sages conseils de votre père: le temps seul montre ce que valent des inconnus. Chacun a une langue médisante contre l'étranger, et ses paroles excitent aisément les malveillants. Je vous avertis donc de ne point me couvrir de honte, puisque vous possédez la jeunesse qui charme les hommes. La belle maturité est difficile à garder: les bêtes fauves et les hommes, ce qui vole et ce qui rampe, tous l'entourent d'embûches. La beauté des fruits mûrs les fait cueillir et ne donne point de vains désirs. Ainsi chaque passant lance de ses yeux le trait du désir sur la beauté et le charme des jeunes filles. Ne nous attirons point ces malheurs que nous avons évités par notre navigation sur la grande mer. Ce serait une honte pour nous et une joie pour nos ennemis. Deux demeures nous sont offertes: celle de Pélasgos et celle de la ville, et toutes deux sans rien payer, ce qui est avantageux. Cependant, gardez les conseils de votre père, puisque vous possédez l'honnêteté, qui est un bien plus cher que la vie.
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Le reste aux dieux Olympiens! Mais rassure-toi, père, au sujet de ma jeunesse. A moins d'un nouveau conseil des dieux, je ne quitterai pas le chemin que j'ai déjà parcouru.
Strophe I.
Allons, célébrez par vos chants les dieux heureux protecteurs d'Argos, vous qui habitez la ville et les bords de l'antique fleuve Érasinos! vous qui marchez avec nous, chantez! Célébrons la ville des Pélasges et ne songeons plus à honorer de nos louanges le cours du Néilos.
Antistrophe I.
Chantons plutôt les fleuves qui versent sur cette terre l'abondance de leurs eaux et réjouissent le sol à l'aide de leurs limons fertiles. Que la chaste Artémis regarde notre troupe malheureuse, et que les noces de Kythérè, si elles nous arrivent, ne nous soient point infligées car ceci nous serait odieux.