LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Je les abandonne, confiante en tes paroles et en ta puissance.
LE ROI PÉLASGOS.
Retire-toi dans ce bois vaste.
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Comment ce bois profane me protégera-t-il?
LE ROI PÉLASGOS.
Nous ne te livrerons pas aux oiseaux de proie.
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Mais si c'était à des hommes plus à craindre que des dragons terribles?
LE ROI PÉLASGOS.
Réponds par un meilleur augure à des paroles de bon augure.
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Ne t'étonne pas que, frappées de terreur, nous manquions de patience.
LE ROI PÉLASGOS.
La défiance envers les rois est sans borne.
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Rends-moi la joie par tes paroles et tes actions.
LE ROI PÉLASGOS.
Votre père ne vous laissera pas longtemps seules. Pour moi, ayant convoqué le peuple qui habite ce pays, je tenterai de persuader les citoyens de vous être bienveillants et j'enseignerai à votre père ce qu'il faudra dire. Dans l'intervalle restez ici, et priez les dieux du pays que vos désirs s'accomplissent. Moi je vais préparer tout ceci. Que la persuasion et la fortune me fassent réussir!
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Strophe I.
Roi des rois, le plus heureux des bienheureux, force très puissante des puissants, très riche Zeus, écoute, exauce mes prières! Détourne l'insolence de ces hommes que tu hais avec justice, abîme dans la mer pourprée leur nef aux noirs rameurs.
Antistrophe I.
Regarde avec bienveillance cette race antique de jeunes filles issue d'une femme que tu as aimé. Souviens-toi d'Iô, que tu touchas de la main, et par laquelle nous nous glorifions d'appartenir à cette terre où nous sommes.
Strophe II.
Nous marchons dans les pas antiques, dans les pâturages fleuris de notre mère, dans la grasse prairie d'où, harcelée par le taon, elle s'enfuit, vagabonde et furieuse, à travers d'innombrables races mortelles. Deux fois, de la terre à la terre opposée, elle traversa le détroit qui porte son nom.
Antistrophe II.
De la Phrygia, riche en troupeaux, à travers la terre d'Asia, elle parcourut Teuthras, ville des Mysiens, et les vallées Lydiennes, et les monts Kilikiens, et les contrées Pamphyliennes, et les fleuves au cours sans fin, et la terre de la richesse, et la terre féconde en fruits d'Aphrodita.
Strophe III.
Harcelée par l'aiguillon du bouvier ailé, elle parvint au bois florissant de Zeus, au pâturage fécondé par les neiges fondues et que parcourt la force de Typhôn, aux eaux du Néilos, vierges de maladies. Mais elle était toujours furieuse, en proie aux douleurs cuisantes de l'implacable Hèra.
Antistrophe III.
Et les vivants qui habitaient cette terre eurent l'esprit saisi par la pâle terreur, quand ils virent cette bête étrange, tenant de la race humaine et de la brute, moitié femme et moitié vache, et ils restaient stupéfaits devant ce prodige. Et alors, quel fut celui qui apaisa Iô vagabonde et misérablement harcelée par le taon?
Strophe IV.
Zeus, le roi éternel. La violence du tourment cessa par la puissance et par le souffle divins, et l'amertume lamentable des larmes, et, recevant très véritablement le faix de Zeus, elle enfanta un illustre fils.
Antistrophe IV.
Qui devait être très heureux pendant une longue vie. Et toute la terre cria: – Cet enfant est vraiment de Zeus!’ Qui, en effet, eût réprimé les ruses furieuses de Hèra? Ceci est l'œuvre de Zeus; et qui dira que nous sommes la race issue d'Épaphos dira la vérité.
Strophe V.
Quel autre parmi les dieux invoquerais-je plus justement? C'est le père, la source de toute génération, le maître de sa propre puissance, le créateur des choses antiques, le très bienveillant Zeus!
Antistrophe V.
Il n'y a point de puissance au-dessus de la sienne, nul ne siége au-dessus de lui, nul n'est respecté par lui. Ce qu'il dit s'accomplit aussitôt, ce qu'il pense est réalisé sans retard.
DANAOS.
Ayez bon courage, enfants! Les citoyens nous sont propices. Le peuple a décidé et décrété.
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Salut! ô vieillard, le plus cher des messagers! Mais dis-nous quel décret a été rendu, et de quel côté le peuple a levé le plus de mains.
DANAOS.
Il a plu aux Argiens de ne point se diviser, et mon vieux cœur en a rajeuni, car l'aithèr s'est hérissé des mains droites levées de tout le peuple, et il a été décrété unanimement que nous pourrions habiter cette terre en liberté, à l'abri des outrages de tous les mortels, et que ni citoyens, ni étrangers ne pourraient nous emmener en servitude comme une proie. De plus, si quelque citoyen ne nous venait point en aide contre la violence, il serait, par sentence du peuple, privé du droit de cité et condamné à l'exil. Telle est la résolution que le roi des Pélasges a fait prendre en notre faveur, annonçant la grande colère de Zeus, protecteur des suppliants, et que la ville ne resterait pas longtemps debout, deux fois souillée par son droit abandonné et par l'outrage à l'hospitalité, source intarissable de calamités. Et le peuple argien, l'ayant entendu, et sans attendre la voix du héraut, décréta, à mains levées, que les choses seraient ainsi. Le peuple des Pélasges a écouté favorablement ces paroles faites pour persuader, et Zeus a exaucé nos désirs.
LE CHŒUR DES DANAÏDES.
Faisons pour les Argiens des vœux heureux, pour prix de leur bienveillance. Que Zeus hospitalier reçoive ces paroles sincères de la bouche de ses hôtes! Que nos prières soient ainsi exaucées jusqu'à la fin sans empêchement.
Strophe I.
Et maintenant, dieux nés de Zeus, écoutez les prières que nous répandons pour cette race. Que jamais, au milieu des clameurs tumultueuses, la ville pélasgienne ne soit dévorée par le feu! Que le farouche Arès fauche les mortels en d'autres campagnes! Car ils ont eu pitié de notre misère, en nous sauvant par leur bienveillante sentence, car ils ont respecté ce troupeau lamentable les suppliantes de Zeus!