Strophe I.
Ô mère! ô nuit, ma mère, qui m'as enfantée pour le châtiment de ceux qui ne voient plus et de ceux qui voient encore, entends-moi! Le fils de Léto me prive de mes honneurs en m'arrachant ma proie, cet homme qui doit expier le meurtre de sa mère. Ce chant lui est voué, folie, délire troublant l'esprit, hymne des Érinnyes enchaînant l'âme, hymne sans lyre, épouvante des mortels!
Antistrophe I.
La Moire toute-puissante m'a fait cette destinée immuable de poursuivre tous ceux d'entre les hommes qui commettraient des meurtres, jusqu'à ce que la terre les couvre. Même mort, aucun d'eux ne sera libre encore. Ce chant lui est voué, folie, délire troublant l'esprit, hymne des Érinnyes enchaînant l'âme, hymne sans lyre, épouvante des mortels!
Strophe II.
Quand nous sommes nées, cette destinée nous a été imposée: que nous ne toucherions point aux immortels, que nulle de nous ne pourrait s'asseoir à leurs festins et que nous ne porterions jamais de vêtements blancs. Mais la désolation des demeures est notre part, quand un Arès domestique a frappé un proche. Nous nous ruons sur lui, quelque vigoureux qu'il soit, et nous l'anéantissons dès qu'il a versé le sang.
Antistrophe II.
Je me hâte, et j'épargne à tout autre ce souci, et mes imprécations permettent le repos aux dieux. Qu'ils ne reviennent pas sur mes jugements! Zeus, en effet, repousse loin de lui une horde odieuse et souillée de sang. Pour moi, je bondis violemment et poursuis de l'inévitable vengeance ceux qui meurtrissent leurs pieds et dont les jambes ploient en fuyant au loin.
Strophe III.
La gloire des hommes, magnifiquement élevée jusqu'à l'Ouranos tombe souillée contre terre à l'aspect de nos robes noires et foulée de nos trépignements furieux.
Antistrophe III.
Et quand il tombe, celui que je frappe, il l'ignore dans sa démence. Son crime l'enveloppe de telles ténèbres, que tous gémissent voyant cette sombre nuée répandue sur sa demeure.
Strophe IV.
Certes, cela est ainsi. Toutes-puissantes et inévitables, nous nous souvenons pieusement de tous les crimes; implacables pour les mortels, nous hantons des lieux mornes et sauvages, éloignés des dieux, que n'éclaire point la lumière de Hèlios, inaccessibles aux vivants comme aux morts.
Antistrophe IV.
Aussi, quel mortel ne respecte et ne redoute cette puissance que je tiens des Moires et de la volonté des Dieux? Certes, je possède d'antiques honneurs, et on ne m'a jamais dédaignée, bien que j'habite sous la terre, dans les ténèbres sans soleil.
ATHÈNA.
De loin j'ai entendu le cri d'une voix, des bords du Skamandros, tandis que je prenais possession de cette terre, magnifique part des dépouilles conquises que les chefs et les princes Akhaiens m'ont consacrée à jamais, don sans égal fait aux fils de Thèseus. De là je suis venue, d'une course infatigable, enflant le milieu de l'Aigide et irrésistiblement emportée sur mon char. Je vois sur cette terre une foule qui m'est inconnue. Je n'en suis pas effrayée, mais la surprise est dans mes yeux. Qui êtes-vous? Je vous le demande à tous, à cet étranger assis aux pieds de mon image et à vous qui n'êtes semblables à personne et à rien, qui n'avez jamais été vues par les dieux entre les déesses et qui n'avez point la figure humaine. Mais offenser autrui sans raison n'est ni juste, ni équitable.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Tu sauras tout en peu de mots, fille de Zeus. Nous sommes les filles de la noire nuit. Dans nos demeures souterraines on nous nomme les Imprécations.
ATHÈNA.
Je connais votre race et votre nom.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Tu vas savoir quels sont mes honneurs.
ATHÈNA.
Je le saurai quand tu me l'auras dit clairement.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
De toutes les demeures nous chassons les meurtriers.
ATHÈNA.
Et où cesse la fuite du meurtrier?
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
En un lieu où toute joie est morte.
ATHÈNA.
Et c'est là ce que tu infliges à celui-ci?
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Certes, car il a osé tuer sa mère.
ATHÈNA.
N'y a-t-il point été contraint par la violence de quelque autre nécessité?
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Quelle violence peut contraindre de tuer sa mère?
ATHÈNA.
Vous êtes deux ici; un seul a parlé.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Il n'accepte point le serment et ne veut point le prêter.
ATHÈNA.
Tu aimes mieux la justice qui parle que celle qui agit.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Comment? Instruis-moi, car tu ne manques pas de sagesse.
ATHÈNA.
Je nie qu'un serment suffise à faire triompher une cause injuste.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Examine donc ma cause et prononce une juste sentence.
ATHÈNA.
Ainsi vous me remettez le jugement de la cause?
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Pourquoi non? Nous te proclamons digne d'un tel honneur.
ATHÈNA.
Pour ta défense, étranger, qu'as-tu à répondre? Avant tout, dis-moi ta patrie, ta race et les événements de ta vie; puis, tu repousseras l'accusation, si, toutefois, c'est confiant dans la justice de ta cause que tu as embrassé cette image sur mon autel, suppliant pieux, comme autrefois Ixiôn. Réponds à tout, afin que je comprenne clairement.
ORESTÈS.