LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Je le sais, ô enfant, car j'étais là. C'est agitée par la terreur des songes nocturnes que cette femme impie a envoyé ces libations.
ORESTÈS.
Connais-tu ce songe? Peux-tu me le raconter clairement?
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Il lui a semblé, a-t-elle dit, enfanter un dragon.
ORESTÈS.
Comment ce récit s'est-il terminé?
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Le dragon était couché dans les langes, comme un enfant.
ORESTÈS.
Et de quoi se nourrissait ce monstre nouveau-né?
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Dans son rêve, elle lui offrait la mamelle.
ORESTÈS.
Et comment la mamelle ne fut-elle pas blessée par ce monstre horrible?
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Il suça le sang mêlé au lait.
ORESTÈS.
Ce songe n'est point vain; il lui a été envoyé par son mari.
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Elle a poussé des cris, épouvantée par ce songe. Les torches, éteintes pendant la nuit, se sont rallumées et ont couru en foule dans les demeures à la voix de la reine. Et aussitôt elle a envoyé ces libations funèbres, espérant qu'elles apporteraient un remède sûr à son mal.
ORESTÈS.
Je supplie cette terre et le tombeau de mon père, afin que ce songe s'accomplisse pour moi! Ainsi que je l'interprète, il concorde avec la vérité. En effet, le serpent est sorti du même sein que moi, et il a été enveloppé dans les mêmes langes. Il a sucé les mamelles qui m'ont nourri, il a mêlé le sang à leur lait, et, dans sa terreur, ma mère a gémi de ce mal terrible. De même qu'elle a allaité un monstre immonde, de même elle doit mourir par la violence. C'est moi qui la tuerai, changé en dragon, comme ce songe le révèle. Je te prends pour juge de l'interprétation de ce prodige.
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Que cela soit ainsi! Mais dis à tes amis s'il faut que d'autres que toi agissent, ou s'il faut qu'ils se tiennent en repos.
ORESTÈS.
Ma réponse est simple. Je veux qu'Èlektra rentre dans la demeure, et je lui recommande de cacher mes desseins. Ils ont tué par ruse l'homme vénérable; ils mourront aussi par ruse et seront pris dans le même piège, ainsi que l'a prédit le roi Apollôn Loxias, l'infaillible divinateur. Moi, semblable à un étranger, et chargé de divers bagages, j'arriverai aux portes de la cour intérieure, comme un hôte et un compagnon de guerre, avec le seul Pyladès. Tous deux, nous parlerons la langue Parnèside, avec l'accent Phokéen. Certes, nul des gardiens des portes ne nous recevra avec bienveillance, car toute cette maison est troublée par la colère des dieux. Mais nous resterons, afin que quelque passant dise, nous voyant devant la demeure: – pourquoi repousser du seuil un suppliant? Aigisthos, s'il est ici, ne l'a-t-il point appris?’ – Mais, si, ayant passé le seuil des portes intérieures, je trouve Aigisthos assis sur le trône de mon père, ou si, pour me parler, il vient à moi et me regarde, certes, sache-le, avant qu'il ait dit: – Étranger, d'où es-tu?’ – je le tuerai brusquement, en le clouant de l'airain. L'Érinnys du meurtre, déjà gorgée de sang, en boira une troisième fois. Maintenant, toi, Èlektra, observe bien ce qui se passe dans la demeure, afin que tout concoure avec notre dessein. Vous, retenez votre langue; taisez-vous ou parlez quand il le faudra. Pour le reste, je supplie Loxias de m'être favorable, puisqu'il m'a imposé cette lutte par l'épée.
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Strophe I.
La terre nourrit d'innombrables terreurs et de grands maux; les gouffres de la mer abondent de monstres terribles à l'homme; des feux flamboyants tombent des hautes nuées, et nous pouvons nous rappeler tout ce qui vole et rampe, aussi bien que la fureur qui jaillit de la tempête.
Antistrophe I.
Mais qui dira l'aveugle audace de l'homme et de la femme, ce qu'ils osent tenter, et les amours sans frein qui amènent la ruine inévitable des mortels? Quand il possède le cœur de la femme, cet amour qui n'est pas l'amour, il dompte les hommes comme il fait des bêtes féroces.
Strophe II.
Qu'il se rappelle, celui qui n'oublie pas, dans son esprit léger, comment la misérable Thestiade, funeste à son fils, conçut le dessein de brûler le tison qui devait durer autant que son enfant, depuis qu'ayant été mis au monde par sa mère, il poussa son premier vagissement, jusqu'à son jour fatal.
Antistrophe II.
Qu'on se souvienne aussi de la cruelle et abominable Skylla qui, pour des ennemis, perdit l'homme qui devait lui être cher. Séduite par les bracelets d'or Krètois, dons de Minôs, elle coupa sur la tête de Nisos, profitant de son sommeil, le cheveu immortel, la chienne! et Hermès se saisit d'elle.
Strophe III.
Ayant parlé de ces aventures lamentables, ne dois-je point rappeler le détestable mariage, funeste à ces demeures, et les embûches perfides de la femme ourdies contre l'homme belliqueux que ses ennemis eux-mêmes admiraient pour son courage? Il faut mépriser le foyer sans feu et la honteuse domination d'une femme.
Antistrophe III.
De tous ces crimes horribles le plus célèbre est le crime Lemnien. Il est certes, en abomination. Qui pourrait rien comparer aux meurtres Lemnien? Toute une race a péri, détestée des dieux et en exécration aux hommes. Personne ne peut honorer ce qui est détesté des dieux. Lequel de ces crimes ai-je rappelé sans raison?
Strophe IV.
L'épée aiguë que la justice enfonce dans la poitrine blesse terriblement. Il est défendu de fouler le chemin par lequel on s'éloigne, contre tout droit du respect dû à Zeus.
Antistrophe IV.
Mais la tige de la justice est toujours droite et Aisa qui forge les épées aiguise l'airain. Érinnys aux profondes pensées ramène l'enfant dans les demeures, pour y laver la souillure des anciens crimes.
ORESTÈS.
Esclave, esclave! entends les coups dont je heurte la porte! Encore une fois, esclave, esclave! y a-t-il quelqu'un, ici! J’appelle pour la troisième fois, afin qu'on me réponde, si, toutefois, Aigisthos connaît l'hospitalité.