– C'est une vigne, une vraie, m'avait-elle dit enfin.
– Ah, bon…
Cette révélation n'augmentait pas ma curiosite. Je ne pouvais pas lier, dans ma tête, cette plant modeste et le culte que vouait au vin la patrie de ma grand-mère. Nous étions restés quelque minutes au cœur de la Stalinka, devant la secrèt plantation de Charlotte…
Me souvenant de cette vigne, je ressentis un douleur à peine supportable et, en même temp une joie profonde. Une joie qui m'avait par d'abord honteuse. Charlotte était morte et à l'en droit de la Stalinka, selon le récit d'Alex Bond, on avait construit un stade. Il ne pouvait pas y avoir de preuve plus tangible de la disparition totale définitive. Mais la joie l'emportait. Elle avait sa source dans cet instant vécu au milieu d'une clarière, dans le souffle du vent des steppes, dans le silence serein de cette femme se tenant devant quatre arbustes sous les feuilles desquels je dev nais maintenant les jeunes grappes.
En marchant, je regardais de temps en temps la photo de la femme en veste ouatée. Je comprena désormais ce qui donnait à ses traits une lointain ressemblance avec les personnages des album de ma famille adoptive. C'était ce léger sourire apparu grâce à la formule magique de Charlotte – «petite pomme»! Oui, la femme photographiée près de la clôture du camp avait dû prononcer, à part soi, ces syllabes énigmatiques… Je m'arrêtais une seconde, je fixais ses yeux. «Il faudra m'habituer à l'idée que cette femme, plus jeune que moi, est ma mère», me disais-je alor
Je rangeais la photo, je repartais. Et quand je pensais à Charlotte, sa présence dans ces rues assoupies avait l'évidence, discrète et spontanée, de la vie même.
Seuls me manquaient encore les mots qui pouvaient le dire.