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«Voilà l’ébilebsie naturelle que le Dr Hulbert, Dieu ait son âme, nous a apprise au Bataillon.

– Oui, oui, elle est imitée à s’y tromper, j’en conviens, mais à quoi tout ça peut-il servir?

– À vous faire sortir du trou, premièrement d’une, expliqua le beau Wenzel. Le Dr Rosenblatt est tout ce qui se fait de plus toquard. Quand un gars a même plus de tête, l’autre rabâche toujours qu’il est en pleine santé. Y a qu’une chose qu’y respecte: l’ébilebsie. Si on sait s’y prendre, on est illico transporté à l’infirmerie. Alors à ce moment-là – il prit un air de profond mystère – c’est un jeu d’enfant de faire la belle. Le grillage est scié et y tient plus qu’avec un peu de saloperie. C’est un secret du Bataillon! Vous avez qu’à faire bien attention pendant une nuit ou deux et quand vous entendrez une corde dégringoler du toit jusque devant la fenêtre, vous soulevez le grillage, lento pour pas réveiller personne, vous passez les épaules dans le nœud coulant; alors à ce moment-là, on vous hisse sur le toit et on vous débarque de l’autre côté dans la rue. Ni vu, ni connu!

– Mais pourquoi m’évader? objectai-je timidement. Je suis innocent.

– En voilà une raison pour pas s’évader! Le beau Wenzel me considéra d’un œil arrondi par l’étonnement.

Je dus faire appel à toute mon éloquence pour le dissuader de mettre à exécution ce plan hasardeux, qui était, ainsi qu’il me le confia, le résultat d’une conférence du Bataillon.

Il n’arrivait pas à comprendre que je repousse ce «don de Dieu» et préfère attendre ma libération.

– Quoi qu’il en soit, je vous remercie, vous et vos braves camarades du fond du cœur, lui dis-je très touché en lui serrant la main.

«Quand j’en aurai fini avec cette période difficile, mon premier soin sera de vous témoigner ma reconnaissance à tous.

– Pas la peine, me dit aimablement Wenzel. Si vous nous payez quelques verres de «Pils», on les refusera pas, et avec plaisir, mais c’est tout. Pan Charousek, qui est le trésorier du Bataillon maintenant, nous a raconté comment que vous faisiez le bien et en douce. Vous avez quelque chose à lui faire dire quand je sortirai?

– Oui, certainement, répondis-je en hâte. Qu’il aille voir Hillel et lui dise que je m’inquiète terriblement de la santé de sa fille Mirjam. Il ne faut pas qu’il la quitte des yeux. Vous vous rappellerez le nom? Hillel.

–  Hirräl?

– Non: Hillel.

– Hillär?

– Non: Hillel.

Wenzel faillit se déchirer la langue sur ce nom presque imprononçable pour un Tchèque, mais finit tout de même par le maîtriser, non sans faire des grimaces épouvantables.

«Et puis, encore une chose: je voudrais que M. Charousek, je l’en prie instamment, s’occupe aussi dans la mesure où il le pourra, de la dame noble, il sait bien ce que je veux dire.

– Vous causez, probable, de la pépé de la haute qui s’était mise avec le Teuton, le Dr Sapoli? Elle a divorcé et elle est partie avec sa gosse et le Dr Sapoli.

– Vous en êtes bien sûr? Je sentis trembler ma voix. J’avais beau me réjouir profondément pour Angélina, mon cœur était serré à se briser.

J’avais porté un poids si écrasant de souci pour elle et j’étais déjà oublié.

Peut-être pensait-elle que j’étais vraiment un assassin.

Un goût amer me monta à la bouche.

Avec la délicatesse qui caractérise si curieusement les hommes les plus dévoyés quand il s’agit de choses qui touchent à l’amour, le voyou parut deviner mes pensées, car il détourna timidement le regard et ne répondit rien.

– Vous savez peut-être aussi ce que devient la fille de M. Hillel, Mirjam? Vous la connaissez? demandai-je.

– Mirjam? Mirjam? – Le visage de Wenzel se plissa sous l’effort de concentration. – Mirjam? Elle va souvent le soir chez Loisitchek?

Je ne pus réprimer un sourire:

– Non. Sûrement pas.

– Alors je la connais pas, trancha-t-il sèchement.

Nous restâmes un moment silencieux.

Je me dis qu’il y aurait peut-être quelque chose à son sujet dans la petite lettre.

– Le diable s’est tout de même décidé à emporter Wassertrum, reprit brusquement Wenzel. Vous l’aviez bien déjà entendu dire?

Je bondis, effaré.

– Couic!

Wenzel se mit le doigt sur la gorge.

«Affreux je vous le dis. Quand on a forcé la porte de sa boutique parce que ça faisait plusieurs jours que personne l’avait vu, j’étais le premier, nature, et comment! Et il était là, le Wassertrum, dans un fauteuil crasseux, avec plein de sang sur la poitrine et des yeux comme du verre. Vous savez, je suis plutôt du genre dur à cuire, mais ça m’a scié, je vous le dis et j’ai bien cru tourner de l’œil là-dedans. A fallu que je me raisonne. Wenzel que je me suis dit, Wenzel t’en fais pas, c’est jamais qu’un juif mort. On lui avait filé une lime dans la gorge et tout était sens dessus dessous dans la boutique: crime crapuleux comme on dit dans le beau monde.

La lime! La lime! Je sentis mon souffle se glacer d’horreur. La lime! Ainsi, elle avait trouvé son chemin!

«Je sais bien qui a fait le coup, poursuivit Wenzel à mi-voix. Pour moi, c’est le vérolé, Loisa, ça fait pas un pli. J’ai trouvé son couteau de poche par terre dans la boutique et je l’ai planqué rapide pour que la police le voie pas. Il est arrivé par un souterrain.

Il s’interrompit soudain, écouta quelques secondes avec une extrême attention, puis se jeta sur l’un des grabats où il se mit à ronfler effroyablement. Au même instant le cadenas cliqueta, le gardien entra et me lança un regard méfiant. Je pris mon air le plus indifférent; quant à Wenzel impossible de le réveiller. Il fallut une série de bourrades bien appliquées pour qu’il se redresse enfin en bâillant et titube vers la sortie, suivi par le gardien. Enfiévré d’impatience, je dépliai la lettre de Charousek et lus:

12 mai

Mon pauvre cher ami et bienfaiteur,

Semaine après semaine, j’ai attendu votre libération – toujours en vain – et cherché tous les moyens possibles de réunir des éléments à votre décharge, mais sans rien trouver.

J’ai demandé au juge d’instruction de hâter la procédure, mais chaque fois il me répondait qu’il ne pouvait rien faire, que c’était l’affaire du ministère public et non pas la sienne.

Âneries administratives!

Il y a une heure seulement, est enfin survenu un fait nouveau dont j’espère le meilleur succès: j’ai appris que Jaromir avait vendu à Wassertrum une montre en or trouvée dans le lit de son frère Loisa après l’arrestation de celui-ci.

Le bruit court chez Loisitchek, que les détectives fréquentent volontiers, comme vous le savez, qu’on a retrouvé chez vous le corpus delicti, la montre de Zottmann, prétendument assassiné mais dont on n’a toujours pas découvert le cadavre. Le reste je l’ai reconstitué sans peine: Wassertrum, etc.

J’ai aussitôt fait venir Jaromir, je lui ai donné 1 000 fl.

Je laissai retomber la lettre et des larmes de joie me montèrent aux yeux: seule Angélina avait pu donner une pareille somme à Charousek. Ni Zwakh, ni Prokop, ni Vrieslander n’en possédaient autant. Elle ne m’avait donc pas oublié! Je repris ma lecture:

…donné 1 000 fl. et promis 2 000 autres s’il allait immédiatement avouer à la police qu’il avait pris la montre chez son frère, puis l’avait vendue.

Tout cela ne pourra se faire avant que cette lettre que je vous envoie par Wenzel soit déjà en route. Le délai est trop court. Mais soyez assuré que cela se fera. Aujourd’hui même. Je m’en porte garant.

Je ne doute pas un instant que Loisa ait commis le meurtre ni que la montre soit celle de Zottmann. Si contre toute attente, il n’en était rien, Jaromir sait ce qu’il a à faire: dans tous les cas, il certifiera que c’est celle qui a été trouvée chez vous. Donc courage et persévérance. Ne désespérez pas! Le jour est proche où vous serez libéré.

Mais le jour où nous nous reverrons? Viendra-t-il jamais?

Je ne sais. Je pourrais presque dire: je ne crois pas, car la fin approche à grands pas et je dois veiller à ce que la dernière heure ne me prenne pas par surprise. Mais soyez assuré d’une chose: nous nous reverrons.

Si ce n’est pas dans le monde des vivants, ni dans celui des morts, ce sera le jour où le temps se brisera, où comme il est écrit dans la Bible, le Seigneur vomira de sa bouche ceux qui étaient tièdes, ni chauds ni froids.

Ne vous étonnez pas que je parle ainsi! Jamais je n’ai abordé ces questions avec vous et quand vous avez fait un jour allusion à la Cabale, je me suis dérobé, mais je sais ce que je sais.

Peut-être me comprendrez-vous; sinon rayez de votre mémoire, je vous en prie, ce que je viens de dire. Un jour, dans mon délire, j’ai cru voir un signe sur votre poitrine. Peut-être avais-je rêvé tout éveillé.

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