«Je suis enceinte», dit-elle.
Il la regarde, consterné.
«Tu as deux mois pour t'y faire, mon amour!» Il pense: «J'ai deux mois pour t'en défaire.»
Ils ne disent rien aux enfants. La vie ne change pas. Sauf que, fait exceptionnel, l'extinction des feux a lieu chaque soir à vingt et une heures trente précises, comme il le demande en vain depuis des années. Parce qu'alors, Jeanne remonte de la chambre des enfants, s'assied sur le canapé à côté de lui et dit:
«Je veux cet enfant.» A quoi il répond:
«Pas moi.»
Ils croisent le fer. Arguments. Contre-arguments. Il a peur. Tant d'enfants pour des épaules pas faites pour cela. Et comment Tom et Victor accepteraient-ils la nouvelle?
Il tente une diversion du côté de l'adoption, trouvant là une générosité qu'il pourrait admettre. Elle y réfléchit. Elle refuse. Ils recommencent.
La seule raison qui le ferait fléchir tient à elle, et il se garde bien de la lui donner: lorsque, estimant la partie perdue, elle s'abandonne à un voile qui la recouvre comme un dais mélancolique. Il se dit alors qu'elle ne s'en remettra jamais, qu'il ne peut lui causer cette douleur deux fois. Il se rappelle ses larmes, jadis, lorsque, penché sur elle, à l'envers de son visage tandis qu'officiait le médecin, six mois après leur rencontre, il lui murmurait des mots d'amour qui ne comblaient ni ne remplaçaient rien.
Se souvenant, il est prêt à accepter. Et à l'instant où il va parler, elle se relève et reprend la séance des questions-réponses. Ainsi pendant deux mois. Au terme desquels il lui fait la promesse qu'il s'habituera un jour à l'idée, qu'il y travaillera, qu'il ne refusera plus, mais pas cette fois-là, il ne peut pas, il la supplie de le comprendre.
Elle cède. Un matin, elle se dessine une bouche admirable et rouge, elle enfile un chemisier noir, un pantalon gris fer et des talons hauts, puis, appuyée à son bras, magnifique de fierté et de beauté, elle le prie d'appeler un taxi pour la clinique.