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Ce fut comme un abatis d’arbres; tous tombaient les uns sur les autres, Gauvain, embusqué, mitraillait à coup sûr, et perdait peu de monde.

Pourtant l’intrépide désordre des paysans finit par se mettre sur la défensive; ils se replièrent sous la halle, vaste redoute obscure, forêt de piliers de pierre. Là ils reprirent pied; tout ce qui ressemblait à un bois leur donnait confiance. L’Imânus suppléait de son mieux à l’absence de Lantenac. Ils avaient du canon, mais, au grand étonnement de Gauvain, ils ne s’en servaient point; cela tenait à ce que, les officiers d’artillerie étant allés avec le marquis reconnaître le Mont-Dol, les gars ne savaient que faire des couleuvrines et des bâtardes; mais ils criblaient de balles les bleus qui les canonnaient. Les paysans ripostaient par la mousqueterie à la mitraille. C’étaient eux maintenant qui étaient abrités. Ils avaient entassé les haquets, les tombereaux, les bagages, toutes les futailles de la vieille halle, et improvisé une haute barricade avec des claires-voies par où passaient leurs carabines. Par ces trous leur fusillade était meurtrière. Tout cela se fit vite. En un quart d’heure la halle eut un front imprenable.

Ceci devenait grave pour Gauvain. Cette halle brusquement transformée en citadelle, c’était l’inattendu. Les paysans étaient là, massés et solides. Gauvain avait réussi la surprise et manqué la déroute. Il avait mis pied à terre. Attentif, ayant son épée au poing sous ses bras croisés, debout dans la lueur d’une torche qui éclairait sa batterie, il regardait toute cette ombre.

Sa haute taille dans cette clarté le faisait visible aux hommes de la barricade. Il était point de mire, mais il n’y songeait pas.

Les volées de balles qu’envoyait la barricade s’abattaient autour de Gauvain, pensif.

Mais contre toutes ces carabines il avait du canon. Le boulet finit toujours par avoir raison. Qui a l’artillerie a la victoire. Sa batterie, bien servie, lui assurait la supériorité.

Subitement, un éclair jaillit de la halle pleine de ténèbres, on entendit comme un coup de foudre, et un boulet vint trouer une maison au-dessus de la tête de Gauvain.

La barricade répondait au canon par le canon.

Que se passait-il? Il y avait du nouveau. L’artillerie maintenant n’était plus d’un seul côté.

Un second boulet suivit le premier et vint s’enfoncer dans le mur tout près de Gauvain. Un troisième boulet jeta à terre son chapeau.

Ces boulets étaient de gros calibre. C’était une pièce de seize qui tirait.

– On vous vise, commandant, crièrent les artilleurs.

Et ils éteignirent la torche. Gauvain, rêveur, ramassa son chapeau.

Quelqu’un en effet visait Gauvain, c’était Lantenac.

Le marquis venait d’arriver dans la barricade par le côté opposé.

L’Imânus avait couru à lui.

– Monseigneur, nous sommes surpris.

– Par qui?

– Je ne sais.

– La route de Dinan est-elle libre?

– Je le crois.

– Il faut commencer la retraite.

– Elle commence. Beaucoup se sont déjà sauvés.

– Il ne faut pas se sauver; il faut se retirer. Pourquoi ne vous servez-vous pas de l’artillerie?

– On a perdu la tête, et puis les officiers n’étaient pas là.

– J’y vais.

– Monseigneur, j’ai dirigé sur Fougères le plus que j’ai pu des bagages, les femmes, tout l’inutile. Que faut-il faire des trois petits prisonniers?

– Ah! ces enfants?

– Oui.

– Ils sont nos otages. Fais-les conduire à la Tourgue.

Cela dit, le marquis alla à la barricade. Le chef venu, tout changea de face. La barricade était mal faite pour l’artillerie, il n’y avait place que pour deux canons; le marquis mit en batterie deux pièces de seize auxquelles on fit des embrasures. Comme il était penché sur un de ces canons, observant la batterie ennemie par l’embrasure, il aperçut Gauvain.

– C’est lui! cria-t-il.

Alors il prit lui-même l’écouvillon et le fouloir, chargea la pièce, fixa le fronton de mire et pointa.

Trois fois il ajusta Gauvain, et le manqua. Le troisième coup ne réussit qu’à le décoiffer.

– Maladroit! murmura Lantenac. Un peu plus bas, j’avais la tête.

Brusquement la torche s’éteignit, et il n’eut plus devant lui que les ténèbres.

– Soit, dit-il.

Et se tournant vers les canonniers paysans, il cria:

– À mitraille!

Gauvain de son côté n’était pas moins sérieux. La situation s’aggravait. Une phase nouvelle du combat se dessinait. La barricade en était à le canonner. Qui sait si elle n’allait point passer de la défensive à l’offensive? Il avait devant lui, en défalquant les morts et les fuyards, au moins cinq mille combattants, et il ne lui restait à lui que douze cents hommes maniables. Que deviendraient les républicains si l’ennemi s’apercevait de leur petit nombre? Les rôles seraient intervertis. On était assaillant, on serait assailli. Que la barricade fît une sortie, tout pouvait être perdu.

Que faire? il ne fallait point songer à attaquer la barricade de front; un coup de vive force était chimérique; douze cents hommes ne débusquent pas cinq mille hommes. Brusquer était impossible, attendre était funeste. Il fallait en finir. Mais comment?

Gauvain était du pays, il connaissait la ville; il savait que la vieille halle, où les Vendéens s’étaient crénelés, était adossée à un dédale de ruelles étroites et tortueuses.

Il se tourna vers son lieutenant qui était ce vaillant capitaine Guéchamp, fameux plus tard pour avoir nettoyé la forêt de Concise où était né Jean Chouan, et pour avoir, en barrant aux rebelles la chaussée de l’étang de la Chaîne, empêché la prise de Bourg-neuf.

– Guéchamp, dit-il, je vous remets le commandement. Faites tout le feu que vous pourrez. Trouez la barricade à coups de canon. Occupez-moi tous ces gens-là.

– C’est compris, dit Guéchamp.

– Massez toute la colonne, armes chargées, et tenez-la prête à l’attaque.

Il ajouta quelques mots à l’oreille de Guéchamp.

– C’est entendu, dit Guéchamp.

Gauvain reprit:

– Tous nos tambours sont-ils sur pied?

– Oui.

– Nous en avons neuf. Gardez-en deux, donnez m’en sept.

Les sept tambours vinrent en silence se ranger devant Gauvain.

Alors Gauvain cria:

– À moi le bataillon du Bonnet-Rouge!

Douze hommes, dont un sergent, sortirent du gros de la troupe.

– Je demande tout le bataillon, dit Gauvain.

– Le voilà, répondit le sergent.

– Vous êtes douze!

– Nous restons douze.

– C’est bien, dit Gauvain.

Ce sergent était le bon et rude troupier Radoub qui avait adopté au nom du bataillon les trois enfants rencontrés dans le bois de la Saudraie.

Un demi-bataillon seulement, on s’en souvient, avait été exterminé à Herbe-en-Pail, et Radoub avait eu ce bon hasard de n’en point faire partie.

Un fourgon de fourrage était proche; Gauvain le montra du doigt au sergent.

– Sergent, faites faire à vos hommes des liens de paille, et qu’on torde cette paille autour des fusils pour qu’on n’entende pas de bruit s’ils s’entrechoquent. Une minute s’écoula, l’ordre fut exécuté, en silence et dans l’obscurité.

– C’est fait, dit le sergent.

– Soldats, ôtez vos souliers, reprit Gauvain.

– Nous n’en avons pas, dit le sergent.

Cela faisait, avec les sept tambours, dix-neuf hommes; Gauvain était le vingtième.

Il cria:

– Sur une seule file. Suivez-moi. Les tambours derrière moi. Le bataillon ensuite. Sergent, vous commanderez le bataillon.

Il prit la tête de la colonne, et, pendant que la canonnade continuait des deux côtés, ces vingt hommes, glissant comme des ombres, s’enfoncèrent dans les ruelles désertes.

Ils marchèrent quelque temps de la sorte serpentant le long des maisons. Tout semblait mort dans la ville; les bourgeois s’étaient blottis dans les caves. Pas une porte qui ne fût barrée, pas un volet qui ne fût fermé. De lumière nulle part.

La grande rue faisait dans ce silence un fracas furieux; le combat au canon continuait; la batterie républicaine et la barricade royaliste se crachaient toute leur mitraille avec rage.

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