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Un jour, cette séance a eu pour témoin le vieux Buonarotti, Robespierre prend la parole et parle deux heures, regardant Danton, tantôt fixement, ce qui était grave, tantôt obliquement, ce qui était pire. Il foudroie à bout portant. Il termine par une explosion indignée, pleine de mots funèbres: – On connaît les intrigants, on connaît les corrupteurs et les corrompus, on connaît les traîtres; ils sont dans cette assemblée. Ils nous entendent; nous les voyons et nous ne les quittons pas des yeux. Qu’ils regardent au-dessus de leur tête, et ils y verront le glaive de la loi; qu’ils regardent dans leur conscience, et ils y verront leur infamie. Qu’ils prennent garde à eux. – Et quand Robespierre a fini, Danton, la face au plafond, les yeux à demi fermés, un bras pendant par-dessus le dossier de son banc, se renverse en arrière, et on l’entend fredonner:

Cadet Roussel fait des discours

Qui ne sont pas longs quand ils sont courts.

Les imprécations se donnaient la réplique. – Conspirateur! – Assassin! – Scélérat! – Factieux! – Modéré! – On se dénonçait au buste de Brutus qui était là. Apostrophes, injures, défis. Regards furieux d’un côté à l’autre, poings montrés, pistolets entrevus, poignards à demi tirés. Énorme flamboiement de la tribune. Quelques-uns parlaient comme s’ils étaient adossés à la guillotine. Les têtes ondulaient, épouvantées et terribles. Montagnards, Girondins, Feuillants, Modérantistes, Terroristes, Jacobins, Cordeliers; dix-huit prêtres régicides.

Tous ces hommes! tas de fumées poussées dans tous les sens.

XI

Esprits en proie au vent.

Mais ce vent était un vent de prodige.

Être un membre de la Convention, c’était être une vague de l’Océan. Et ceci était vrai des plus grands. La force d’impulsion venait d’en haut. Il y avait dans la Convention une volonté qui était celle de tous et n’était celle de personne. Cette volonté était une idée, idée indomptable et démesurée qui soufflait dans l’ombre du haut du ciel. Nous appelons cela la Révolution. Quand cette idée passait, elle abattait l’un et soulevait l’autre; elle emportait celui-ci en écume et brisait celui-là aux écueils. Cette idée savait où elle allait, et poussait le gouffre devant elle. Imputer la révolution aux hommes, c’est imputer la marée aux flots.

La révolution est une action de l’Inconnu. Appelez-la bonne action ou mauvaise action, selon que vous aspirez à l’avenir ou au passé, mais laissez-la à celui qui l’a faite. Elle semble l’œuvre en commun des grands événements et des grands individus mêlés, mais elle est en réalité la résultante des événements. Les événements dépensent, les hommes payent. Les événements dictent, les hommes signent. Le 14 juillet est signé Camille Desmoulins, le 10 août est signé Danton, le 2 septembre est signé Marat, le 21 septembre est signé Grégoire, le 21 janvier est signé Robespierre; mais Desmoulins, Danton, Marat, Grégoire et Robespierre ne sont que des greffiers. Le rédacteur énorme et sinistre de ces grandes pages a un nom, Dieu, et un masque, Destin. Robespierre croyait en Dieu. Certes!

La Révolution est une forme du phénomène immanent qui nous presse de toutes parts et que nous appelons la Nécessité.

Devant cette mystérieuse complication de bienfaits et de souffrances se dresse le Pourquoi? de l’histoire.

Parce que . Cette réponse de celui qui ne sait rien est aussi la réponse de celui qui sait tout.

En présence de ces catastrophes climatériques qui dévastent et vivifient la civilisation, on hésite à juger le détail. Blâmer ou louer les hommes à cause du résultat, c’est presque comme si on louait ou blâmait les chiffres à cause du total. Ce qui doit passer passe, ce qui doit souffler souffle. La sérénité éternelle ne souffre pas de ces aquilons. Au-dessus des révolutions la vérité et la justice demeurent comme le ciel étoilé au-dessus des tempêtes.

XII

Telle était cette Convention démesurée; camp retranché du genre humain attaqué par toutes les ténèbres à la fois, feux nocturnes d’une armée d’idées assiégées, immense bivouac d’esprits sur un versant d’abîme. Rien dans l’histoire n’est comparable à ce groupe, à la fois sénat et populace, conclave et carrefour, aréopage et place publique, tribunal et accusé.

La Convention a toujours ployé au vent; mais ce vent sortait de la bouche du peuple et était le souffle de Dieu.

Et aujourd’hui, après quatre-vingts ans écoulés, chaque fois que devant la pensée d’un homme, quel qu’il soit, historien ou philosophe, la Convention apparaît, cet homme s’arrête et médite. Impossible de ne pas être attentif à ce grand passage d’ombres.

II MARAT DANS LA COULISSE

Comme il l’avait annoncé à Simonne Évrard, Marat, le lendemain de la rencontre de la rue du Paon, alla à la Convention.

Il y avait à la Convention un marquis maratiste, Louis de Montaut, celui qui plus tard offrit à la Convention une pendule décimale surmontée du buste de Marat.

Au moment où Marat entrait, Chabot venait de s’approcher de Montaut.

– Ci-devant… dit-il.

Montaut leva les yeux.

– Pourquoi m’appelles-tu ci-devant?

– Parce que tu l’es.

– Moi?

– Puisque tu étais marquis.

– Jamais.

– Bah!

– Mon père était soldat, mon grand-père était tisserand.

– Qu’est-ce que tu nous chantes là, Montaut?

– Je ne m’appelle pas Montaut.

– Comment donc t’appelles-tu?

– Je m’appelle Maribon.

– Au fait, dit Chabot, cela m’est égal.

Et il ajouta entre ses dents:

– C’est à qui ne sera pas marquis.

Marat s’était arrêté dans le couloir de gauche et regardait Montaut et Chabot.

Toutes les fois que Marat entrait, il y avait une rumeur; mais loin de lui. Autour de lui on se taisait. Marat n’y prenait pas garde. Il dédaignait le «coassement du marais».

Dans la pénombre des bancs obscurs d’en bas, Conpé de l’Oise, Prunelle, Villars, évêque, qui plus tard fut membre de l’Académie française, Boutroue, Petit, Plaichard, Bonet, Thibaudeau, Valdruche, se le montraient du doigt.

– Tiens, Marat!

– Il n’est donc pas malade?

– Si, puisqu’il est en robe de chambre.

– En robe de chambre?

– Pardieu oui!

– Il se permet tout!

– Il ose venir ainsi à la Convention!

– Puisqu’un jour il y est venu coiffé de lauriers, il peut bien y venir en robe de chambre!

– Face de cuivre et dents de vert-de-gris.

– Sa robe de chambre paraît neuve.

– En quoi est-elle?

– En reps.

– Rayé.

– Regardez donc les revers.

– Ils sont en peau.

– De tigre.

– Non, d’hermine.

– Fausse.

– Et il a des bas!

– C’est étrange.

– Et des souliers à boucles.

– D’argent!

– Voilà ce que les sabots de Camboulas ne lui pardonneront pas.

Sur d’autres bancs on affectait de ne pas voir Marat. On causait d’autre chose. Santhonax abordait Dussaulx.

– Vous savez, Dussaulx?

– Quoi?

– Le ci-devant comte de Brienne?

– Qui était à la Force avec le ci-devant duc de Villeroy?

– Oui.

– Je les ai connus tous les deux. Eh bien?

– Ils avaient si grand’peur qu’ils saluaient tous les bonnets rouges de tous les guichetiers, et qu’un jour ils ont refusé de jouer une partie de piquet parce qu’on leur présentait un jeu de cartes à rois et à reines.

– Eh bien?

– On les a guillotinés hier.

– Tous les deux?

– Tous les deux.

– En somme, comment avaient-ils été dans la prison?

– Lâches.

– Et comment ont-ils été sur l’échafaud?

– Intrépides.

Et Dussaulx jetait cette exclamation:

– Mourir est plus facile que vivre.

Barère était en train de lire un rapport: il s’agissait de la Vendée. Neuf cents hommes du Morbihan étaient partis avec du canon pour secourir Nantes. Redon était menacé par les paysans. Paimbœuf était attaqué. Une station navale croisait à Maindrin pour empêcher les descentes. Depuis Ingrande jusqu’à Maure, toute la rive gauche de la Loire était hérissée de batteries royalistes. Trois mille paysans étaient maîtres de Pornic. Ils criaient Vivent les Anglais! Une lettre de Santerre à la Convention, que Barère lisait, se terminait ainsi: «Sept mille paysans ont attaqué Vannes. Nous les avons repoussés, et ils ont laissé dans nos mains quatre canons…»

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