Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Lebœuf vif Legendre et beugla.

Thomas Payne, Américain, et clément; Anacharsis Cloots, Allemand, baron, millionnaire, athée, hébertiste, candide; l’intègre Lebas, l’ami des Duplay; Rovère, un des rares hommes qui sont méchants pour la méchanceté, car l’art pour l’art existe plus qu’on ne croit; Charlier, qui voulait qu’on dît vous aux aristocrates; Tallien, élégiaque et féroce, qui fera le 9 thermidor par amour; Cambacérès, procureur qui sera prince, Carrier, procureur qui sera tigre; Laplanche, qui s’écria un jour: Je demande la priorité pour le canon d’alarme ; Thuriot qui voulait le vote à haute voix des jurés du tribunal révolutionnaire; Bourdon de l’Oise, qui provoquait en duel Chambon, dénonçait Payne, et était dénoncé par Hébert; Fayau, qui proposait «l’envoi d’une armée incendiaire» dans la Vendée; Tavaux, qui le 13 avril fut presque un médiateur entre la Gironde et la Montagne; Vernier, qui demandait que les chefs girondins et les chefs montagnards allassent servir comme simples soldats; Rewbell qui s’enferma dans Mayence; Bourbotte qui eut son cheval tué sous lui à la prise de Saumur; Guimberteau qui dirigea l’armée des Côtes de Cherbourg; Jard-Panvilliers qui dirigea l’armée des Côtes de la Rochelle, Lecarpentier qui dirigea l’escadre de Cancale; Roberjot qu’attendait le guet-apens de Rastadt; Prieur de la Marne qui portait dans les camps sa vieille contre-épaulette de chef d’escadron; Levasseur de la Sarthe qui, d’un mot, décidait Serrent, commandant du bataillon de Saint-Amand, à se faire tuer; Reverchon, Maure, Bernard de Saintes, Charles Richard, Lequinio, et au sommet de ce groupe un Mirabeau qu’on appelait Danton.

En dehors de ces deux camps, et les tenant tous deux en respect, se dressait un homme, Robespierre.

V

Au-dessous se courbaient l’épouvante, qui peut être noble, et la peur, qui est basse. Sous les passions, sous les héroïsmes, sous les dévouements, sous les rages, la morne cohue des anonymes. Les bas-fonds de l’Assemblée s’appelaient la Plaine. Il y avait là tout ce qui flotte; les hommes qui doutent, qui hésitent, qui reculent, qui ajournent, qui épient, chacun craignant quelqu’un. La Montagne, c’était une élite; la Gironde, c’était une élite; la Plaine, c’était la foule. La Plaine se résumait et se condensait en Sieyès.

Sieyès, homme profond qui était devenu creux. Il s’était arrêté au tiers-état, et n’avait pu monter jusqu’au peuple. De certains esprits sont faits pour rester à mi-côte. Sieyès appelait tigre Robespierre qui l’appelait taupe. Ce métaphysicien avait abouti, non à la sagesse, mais à la prudence. Il était courtisan et non serviteur de la révolution. Il prenait une pelle et allait, avec le peuple, travailler au Champ de Mars, attelé à la même charrette qu’Alexandre de Beauharnais. Il conseillait l’énergie dont il n’usait point. Il disait aux Girondins: Mettez le canon de votre parti. Il y a les penseurs qui sont les lutteurs; ceux-là étaient, comme Condorcet, avec Vergniaud, ou, comme Camille Desmoulins, avec Danton. Il y a les penseurs qui veulent vivre, ceux-ci étaient avec Sieyès.

Les cuves les plus généreuses ont leur lie. Au-dessous même de la Plaine, il y avait le Marais. Stagnation hideuse laissant voir les transparences de l’égoïsme. Là grelottait l’attente muette des trembleurs. Rien de plus misérable. Tous les opprobres, et aucune honte; la colère latente; la révolte sous la servitude. Ils étaient cyniquement effrayés; ils avaient tous les courages de la lâcheté; ils préféraient la Gironde et choisissaient la Montagne; le dénoûment dépendait d’eux; ils versaient du côté qui réussissait; ils livraient Louis XVI à Vergniaud, Vergniaud à Danton, Danton à Robespierre, Robespierre à Tallien. Ils piloriaient Marat vivant et divinisaient Marat mort. Ils soutenaient tout jusqu’au jour où ils renversaient tout. Ils avaient l’instinct de la poussée décisive à donner à tout ce qui chancelle. À leurs yeux, comme ils s’étaient mis en service à la condition qu’on fût solide, chanceler, c’était les trahir. Ils étaient le nombre, ils étaient la force, ils étaient la peur. De là l’audace des turpitudes.

De là le 31 mai, le 11 germinal, le 9 thermidor; tragédies nouées par les géants et dénouées par les nains.

VI

À ces hommes pleins de passions étaient mêlés les hommes pleins de songes. L’utopie était là sous toutes ses formes, sous sa forme belliqueuse qui admettait l’échafaud, et sous sa forme innocente qui abolissait la peine de mort; spectre du côté des trônes, ange du côté des peuples. En regard des esprits qui combattaient, il y avait les esprits qui couvaient. Les uns avaient dans la tête la guerre, les autres la paix; un cerveau, Carnot, enfantait quatorze armées; un autre cerveau, Jean Debry, méditait une fédération démocratique universelle. Parmi ces éloquences furieuses, parmi ces voix hurlantes et grondantes, il y avait des silences féconds. Lakanal se taisait, et combinait dans sa pensée l’éducation publique nationale; Lanthenas se taisait, et créait les écoles primaires; Révellière-Lépeaux se taisait, et rêvait l’élévation de la philosophie à la dignité de religion. D’autres s’occupaient de questions de détail, plus petites et plus pratiques. Guyton-Morveau étudiait l’assainissement des hôpitaux, Maire l’abolition des servitudes réelles, Jean-Bon-Saint-André la suppression de la prison pour dettes et de la contrainte par corps, Romme la proposition de Chappe, Duboë la mise en ordre des archives, Coren-Fustier la création du cabinet d’anatomie et du muséum d’histoire naturelle, Guyomard la navigation fluviale et le barrage de l’Escaut. L’art avait ses fanatiques et même ses monomanes; le 21 janvier, pendant que la tête de la monarchie tombait sur la place de la Révolution, Bézard, représentant de l’Oise, allait voir un tableau de Rubens trouvé dans un galetas de la rue Saint-Lazare. Artistes, orateurs, prophètes, hommes-colosses comme Danton, hommes-enfants comme Cloots, gladiateurs et philosophes, tous allaient au même but, le progrès. Rien ne les déconcertait. La grandeur de la Convention fut de chercher la quantité de réel qui est dans ce que les hommes appellent l’impossible. À l’une de ses extrémités, Robespierre avait l’œil fixé sur le droit; à l’autre extrémité, Condorcet avait l’œil fixé sur le devoir.

Condorcet était un homme de rêverie et de clarté; Robespierre était un homme d’exécution; et quelquefois, dans les crises finales des sociétés vieillies, exécution signifie extermination. Les révolutions ont deux versants, montée et descente, et portent étagées sur ces versants toutes les saisons, depuis la glace jusqu’aux fleurs. Chaque zone de ces versants produit les hommes qui conviennent à son climat, depuis ceux qui vivent dans le soleil jusqu’à ceux qui vivent dans la foudre.

VII

On se montrait le repli du couloir de gauche où Robespierre avait dit bas à l’oreille de Garat, l’ami de Clavière, ce mot redoutable: Clavière a conspiré partout où il a respiré . Dans ce même recoin, commode aux apartés et aux colères à demi-voix, Fabre d’Églantine avait querellé Romme, et lui avait reproché de défigurer son calendrier par le changement de Fervidor en Thermidor . On se montrait l’angle où siégeaient, se touchant le coude, les sept représentants de la Haute-Garonne qui, appelés les premiers à prononcer leur verdict sur Louis XVI, avaient ainsi répondu l’un après l’autre: Mailhe: la mort. – Delmas: la mort. – Projean: la mort. – Calès: la mort. – Ayral: la mort. – Julien: la mort. – Desaby: la mort. Éternelle répercussion qui emplit toute l’histoire, et qui, depuis que la justice humaine existe, a toujours mis l’écho du sépulcre sur le mur du tribunal. On désignait du doigt, dans la tumultueuse mêlée des visages, tous ces hommes d’où était sorti le brouhaha des votes tragiques; Paganel, qui avait dit: La mort. Un roi n’est utile que par sa mort ; Millaud, qui avait dit: Aujourd’hui, si la mort n’existait pas, il faudrait l’inventer ; le vieux Raffron du Trouillet, qui avait dit: La mort vite! Goupilleau, qui avait crié: L’échafaud tout de suite. La lenteur aggrave la mort ; Sieyès, qui avait eu cette concision funèbre: La mort ; Thuriot, qui avait rejeté l’appel au peuple proposé par Buzot: Quoi! les assemblées primaires! quoi! quarante-quatre mille tribunaux! Procès sans terme. La tête de Louis XVI aurait le temps de blanchir avant de tomber ; Augustin-Bon Robespierre, qui, après son frère, s’était écrié: Je ne connais point l’humanité qui égorge les peuples, et qui pardonne aux despotes. La mort! demander un sursis c’est substituer à l’appel au peuple un appel aux tyrans ; Foussedoire, le remplaçant de Bernardin de Saint-Pierre, qui avait dit: J’ai en horreur l’effusion du sang humain, mais le sang d’un roi n’est pas le sang d’un homme. La mort ; Jean-Bon-Saint-André, qui avait dit: Pas de peuple libre sans le tyran mort ; Lavicomterie, qui avait proclamé cette formule: Tant que le tyran respire, la liberté étouffe. La mort . Chateauneuf-Randon, qui avait jeté ce cri: La mort de Louis le Dernier! Guyardin, qui avait émis ce vœu: Qu’on l’exécute Barrière-Renversée! la Barrière-Renversée c’était la barrière du Trône; Tellier, qui avait dit: Qu’on forge, pour tirer contre l’ennemi, un canon du calibre de la tête de Louis XVI . Et les indulgents: Gentil, qui avait dit: Je vote la réclusion. Faire un Charles Ier, c’est faire un Cromwell ; Bancal, qui avait dit: L’exil. Je veux voir le premier roi de l’univers condamné à faire un métier pour gagner sa vie ; Albouys, qui avait dit: Le bannissement. Que ce spectre vivant aille errer autour des trônes ; Zangiacomi, qui avait dit: La détention. Gardons Capet vivant comme épouvantail ; Chaillon, qui avait dit: Qu’il vive. Je ne veux par faire un mort dont Rome fera un saint . Pendant que ces sentences tombaient de ces lèvres sévères et, l’une après l’autre, se dispersaient dans l’histoire, dans les tribunes des femmes décolletées et parées comptaient les voix, une liste à la main, et piquaient des épingles sous chaque vote.

32
{"b":"87691","o":1}