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Aujourd’hui elle est en perspective, et elle dessine sur le ciel profond, dans un lointain serein et tragique, l’immense profil de la révolution française.

II

Le 14 juillet avait délivré.

Le 10 août avait foudroyé.

Le 21 septembre fonda.

Le 21 septembre, l’équinoxe, l’équilibre. Libra . La balance. Ce fut, suivant la remarque de Romme, sous ce signe de l’Égalité et de la Justice que la république fut proclamée. Une constellation fit l’annonce.

La Convention est le premier avatar du peuple. C’est par la Convention que s’ouvrit la grande page nouvelle et que l’avenir d’aujourd’hui commença.

À toute idée il faut une enveloppe visible, à tout principe il faut une habitation; une église, c’est Dieu entre quatre murs; à tout dogme, il faut un temple.

Quand la Convention fut, il y eut un premier problème à résoudre, loger la Convention.

On prit d’abord le Manège, puis les Tuileries. On y dressa un châssis, un décor, une grande grisaille peinte par David, des bancs symétriques, une tribune carrée, des pilastres parallèles, des socles pareils à des billots, de longues étraves rectilignes, des alvéoles rectangulaires où se pressait la multitude et qu’on appelait les tribunes publiques, un velarium romain, des draperies grecques, et dans ces angles droits et dans ces lignes droites on installa la Convention; dans cette géométrie on mit la tempête. Sur la tribune le bonnet rouge était peint en gris. Les royalistes commencèrent par rire de ce bonnet rouge gris, de cette salle postiche, de ce monument de carton, de ce sanctuaire de papier mâché, de ce panthéon de boue et de crachat. Comme cela devait disparaître vite! Les colonnes étaient en douves de tonneau, les voûtes étaient en volige, les bas-reliefs étaient en mastic, les entablements étaient en sapin, les statues étaient en plâtre, les marbres étaient en peinture, les murailles étaient en toile, et dans ce provisoire la France a fait de l’éternel.

Les murailles de la salle du Manège, quand la Convention vint y tenir séance, étaient toutes couvertes des affiches qui avaient pullulé dans Paris à l’époque du retour de Varennes. On lisait sur l’une: – Le roi rentre. Bâtonner qui l’applaudira, pendre qui l’insultera. – Sur une autre: – Paix là. Chapeaux sur la tête. Il va parler devant ses juges. – Sur une autre: – Le roi a couché la nation en joue. Il a fait long feu, à la nation de tirer maintenant. – Sur une autre: – La Loi ! la Loi! Ce fut entre ces murs-là que la Convention jugea Louis XVI.

Aux Tuileries, où la Convention vint siéger le 10 mai 1793, et qui s’appelèrent le Palais-National, la salle des séances occupait tout l’intervalle entre le pavillon de l’Horloge appelé pavillon-Unité et le pavillon Marsan appelé pavillon-Liberté. Le pavillon de Flore s’appelait pavillon-Égalité. C’est par le grand escalier de Jean Bullant qu’on montait à la salle des séances. Sous le premier étage occupé par l’assemblée, tout le rez-de-chaussée du palais était une sorte de longue salle des gardes encombrée des faisceaux et des lits de camp des troupes de toutes armes qui veillaient autour de la Convention. L ’assemblée avait une garde d’honneur qu’on appelait «les grenadiers de la Convention».

Un ruban tricolore séparait le château où était l’assemblée du jardin où le peuple allait et venait.

III

Ce qu’était la salle des séances, achevons de le dire. Tout intéresse de ce lieu terrible.

Ce qui, en entrant, frappait d’abord le regard, c’était entre deux larges fenêtres une haute statue de la Liberté.

Quarante-deux mètres de longueur, dix mètres de largeur, onze mètres de hauteur, telles étaient les dimensions de ce qui avait été le théâtre du roi et de ce qui devint le théâtre de la révolution. L’élégante et magnifique salle bâtie par Vigarani pour les courtisans disparut sous la sauvage charpente qui en 93 dut subir le poids du peuple. Cette charpente, sur laquelle s’échafaudaient les tribunes publiques, avait, détail qui vaut la peine d’être noté, pour point d’appui unique un poteau. Ce poteau était d’un seul morceau, et avait dix mètres de portée. Peu de cariatides ont travaillé comme ce poteau; il a soutenu pendant des années la rude poussée de la révolution. Il a porté l’acclamation, l’enthousiasme, l’injure, le bruit, le tumulte, l’immense chaos des colères, l’émeute. Il n’a pas fléchi. Après la Convention, il a vu le conseil des Anciens. Le 18 brumaire l’a relayé.

Percier alors remplaça le pilier de bois par des colonnes de marbre, qui ont moins duré.

L’idéal des architectes est parfois singulier; l’architecte de la rue de Rivoli a eu pour idéal la trajectoire d’un boulet de canon, l’architecte de Carlsruhe a eu pour idéal un éventail; un gigantesque tiroir de commode, tel semble avoir été l’idéal de l’architecte qui construisit la salle où la Convention vint siéger le 10 mai 1793; c’était long, haut et plat. À l’un des grands côtés du parallélogramme était adossé un vaste demi-cirque, c’était l’amphithéâtre des bancs des représentants, sans tables ni pupitres; Garan-Coulon, qui écrivait beaucoup, écrivait sur son genou; en face des bancs, la tribune; devant la tribune, le buste de Lepelletier – Saint-Fargeau; derrière la tribune, le fauteuil du président.

La tête du buste dépassait un peu le rebord de la tribune; ce qui fit que, plus tard, on l’ôta de là.

L’amphithéâtre se composait de dix-neuf bancs demi-circulaires, étagés les uns derrière les autres; des tronçons de bancs prolongeaient cet amphithéâtre dans les deux encoignures.

En bas, dans le fer à cheval au pied de la tribune, se tenaient les huissiers.

D’un autre côté de la tribune, dans un cadre de bois noir, était appliquée au mur une pancarte de neuf pieds de haut, portant sur deux pages séparées par une sorte de sceptre la Déclaration des droits de l’homme; de l’autre côté il y avait une place vide qui plus tard fut occupée par un cadre pareil contenant la Constitution de l’an II, dont les deux pages étaient séparées par un glaive. Au-dessus de la tribune, au-dessus de la tête de l’orateur, frissonnaient, sortant d’une profonde loge à deux compartiments pleine de peuple, trois immenses drapeaux tricolores, presque horizontaux, appuyés à un autel sur lequel on lisait ce mot: LA LOI. Derrière Cet autel se dressait, comme la sentinelle de la parole libre, un énorme faisceau romain, haut comme une colonne. Des statues colossales, droites contre le mur, faisaient face aux représentants. Le président avait à sa droite Lycurgue et à sa gauche Solon; au-dessus de la Montagne il y avait Platon.

Ces statues avaient pour piédestaux de simples dés, posés sur une longue corniche saillante qui faisait le tour de la salle et séparait le peuple de l’assemblée. Les spectateurs s’accoudaient à cette corniche.

Le cadre de bois noir du placard des Droits de l’Homme montait jusqu’à la corniche et entamait le dessin de l’entablement, effraction de la ligne droite qui faisait murmurer Chabot. – C’est laid , disait-il à Vadier.

Sur les têtes des statues, alternaient des couronnes de chêne et de laurier.

Une draperie verte, où étaient peintes en vert plus foncé les mêmes couronnes, descendait à gros plis droits de la corniche de pourtour et tapissait tout le rez-de-chaussée de la salle occupée par l’assemblée. Au-dessus de cette draperie la muraille était blanche et froide. Dans cette muraille se creusaient, coupés comme à l’emporte-pièce, sans moulure ni rinceau, deux étages de tribunes publiques, les carrées en bas, les rondes en haut; selon la règle, car Vitruve n’était pas détrôné, les archivoltes étaient superposées aux architraves. Il y avait dix tribunes sur chacun des grands côtés de la salle, et à chacune des deux extrémités deux loges démesurées; en tout vingt-quatre. Là s’entassaient les foules.

Les spectateurs des tribunes inférieures débordaient sur tous les plats-bords et se groupaient sur tous les reliefs de l’architecture. Une longue barre de fer, solidement scellée à hauteur d’appui, servait de garde-fou aux tribunes hautes, et garantissait les spectateurs contre la pression des cohues montant les escaliers. Une fois pourtant un homme fut précipité dans l’Assemblée, il tomba un peu sur Massieu, évêque de Beauvais, ne se tua pas, et dit: Tiens! c’est donc bon à quelque chose, un évêque!

La salle de la Convention pouvait contenir deux mille personnes, et, les jours d’insurrection, trois mille.

La Convention avait deux séances, une du jour, une du soir.

Le dossier du président était rond, à clous dorés. Sa table était contrebutée par quatre monstres ailés à un seul pied, qu’on eût dit sortis de l’Apocalypse pour assister à la révolution. Ils semblaient avoir été dételés du char d’Ézéchiel pour venir traîner le tombereau de Sanson.

Sur la table du président il y avait une grosse sonnette, presque une cloche, un large encrier de cuivre, et un in-folio relié en parchemin qui était le livre des procès-verbaux.

Des têtes coupées, portées au bout d’une pique, se sont égouttées sur cette table.

On montait à la tribune par un degré de neuf marches. Ces marches étaient hautes, roides et assez difficiles; elles firent un jour trébucher Gensonné qui les gravissait. C’est un escalier d’échafaud! dit-il. – Fais ton apprentissage , lui cria Carrier.

Là où le mur avait paru trop nu, dans les angles de la salle, l’architecte avait appliqué pour ornements des faisceaux, la hache en dehors.

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