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Vendredi 28 Juin. Ah! quelle journée décousue et accidentée – que celle d’aujourd’hui! Ce matin, après la promenade lorsque j’entrai dans le salon, je vis chez maman Fredro et Jean Rumine (ce dernier venu de Péterhof). On causa, on discuta des plans pour la surprise, que l’imagination du c[om]te Fredro produisit en abondance jusqu’au moment du déjeuner. Après, toute la sociéte se réunit de nouveau chez nous. On délibéra au milieu des rires et des saillies spirituelles du c[om]te Fredro, et le résultat fut le choix de trois mots qui doivent être présentés à dîner à la grande-duchesse. Première charade: Art-mai339, 2-de: Vers-vers340, 3-e: Vol-terre341. Ce plan à peu près fixé, on alla faire une promenade en deux calèches du coté de Венки. La première, celle de la grande-duchesse, contenait Hélène et moi dans le fond et le p[rin]ce Mestchersky avec Fredro sur le devant. Dans la seconde, la nôtre, il у avait maman342, Sacha et Rumine. La promenade fut très gaie. En rentrant, nous vimes arriver Boris343 inopinément du camp. Nous avons été engagés à dîner chez la grande-duchesse, mais maman, pour rester avec Boris, parvint à se dégager et m’y envoya seule. On parla de nouveau des charades, puis la grande-duchesse m’invita à rouler avec elle dans son ponney-chaise. Nous fimes une charmante promenade autour du lac, avant de rejoindre le reste de la société, qui s’était transportée pour le thé à la Катальная. Après le thé on écrivit une lettre collective en vers à la p[rince]sse Odoevsky. C’est Fredro, qui en a été le rédacteur. Pendant qu’elle se composait nous jouions aux syllabes, m-lle Strandman, Boris, m-r Numers et nous deux. Lorsque la lettre fut achevée la grande-duchesse nous appela pour en entendre la lecture. Les derniers vers en étaient:

Et nous allons dater cette épitre amicale
Des sommets fortunés de la Гора Katale.

Nous apposâmes tous notre signature à cette missive, et on se sépara bientôt. La grande-duchesse me ramena en ponney-chaise. Le reste de la compagnie rentra à pied. Le duc arrive après-demain et nos charades sont pour samedi.

Samedi 29 Juin. Aujourd’hui, jour de la Saint Pierre, nous avons eu la messe. Après le déjeuner, délibération chez nous. Fredro a admirablement lu des scènes de Molière. Puis, arrangements de nos costumes, avec m-lle Strandman. Ce n’est pas une petite affaire que d’improviser trois jolis costumes pompadour avec les éléments que nous avons à notre disposition. Nous dînâmes tous et Boris aussi chez la grande-duchesse. Après le dîner on se réunit dans une promenade en ligne. J’étais placée à côté de Fredro et sa conversation m’a surprise. Lui, si gai, si en train toujours, me parlait avec tristesse du poids des souvenirs, de l’amertume de la vie présente, dont on suit le cours au milieu des tombeaux de tant de personnes qui nous furent chères, lui parlait-on d’un autre côté, il ripostait vivement par une saillie remplie de verve pétillante, semblable à une fusée qui s’allume soudainement sur un ciel couvert de nuages. Cet esprit brillant, cette gaieté intarissable, ne sont-ils donc qu’un masque, au moyen duquel il dissimule la tristesse qui remplit son coeur? S’il en est ainsi, il est fort à plaindre. Nous prîmes le thé au palais. Boris, nous deux, Hélène et Jorry344, nous étions assis á la table des fruits et du laitage. Boris se mit à parler de mes soi-disant dispositions poétiques, et malgré tous mes efforts récita le malheureux: “Heureux jour de mon âge” qui fait mon tourment depuis l’âge de sept ans que je l’ai composé. Sacha amplifia et assura que je composais des vers jusqu’a présent, que j’en avais une masse. Hélène dit qu’elle le savait et elle et Jorry ajoutèrent qu’ils me les feraient réciter a la Кавалерская345. Par exemple! C’est bien compter sans leur hôte.

Dimanche 30 Juin, Fredro me persécuta pour que je lui dise mes vers. Je refusai carrément. Le duc est arrivé. La surprise aura lieu demain.

Mardi 2 Juillet. D’abord nous eûmes la répétition à 2 heures. On se rendit à la salle des Muses et Fredro commenca à nous grouper. La grande-duchesse représentant la peinture se tenait devant un chevalet. Hélène sculptait le buste de m-me Weymarn qui posait d’un air inspiré. Sacha et moi, nous étions en pose de menuet et le p[rin]ce Mestchersky avec sa pochette représentalt notre maître de danse. Dans un coin, m-r Jorry, Boris et Rumine, ayant l’air de déclamer devant un livre posaient pour la poésie. M-lle Harder, excellente pianiste et élève de Chopin, exécutait pendant la durée du tableau une pièce courte et brillante à laquelle devait succéder l’air du menuet de Don Juan346 chanté par m-me Kochétof (Sokolof), son frére347 et sa soeur348. En même temps les groupes s’animent et on danse un menuet à quatre paires. La grande-duchesse, qui le savait seule commença à nous l’apprendre. Les danseurs étaient: la grande-duchesse avec Jorry, le p[rin]ce Mestchersky avec m-me Weymarn, Boris et moi – Hélène avec Jean Rumine. A la fin du menuet on passa dans la chambre voisine transformée en un délicieux jardin au moyen d’une multitude de plantes de serre chaude posée sur une élévation simmulant une colline, et un Watteau langoureux rappellant le Décaméron de Boccace, et formé par les personnages de la première syllabe, viеnt у figurer le mois de Mai. – Le tout fut représenté par le Wallenstein’s lager, organisé sur les pelouses avoisinant le palais Chinois. Une tente fut dressée, des faisceaux d’armes, des soldats revêtus d’armures du moyen âge, des feux et une scène de la tragédie de Schiller349, récitée par Jorry, Sokoloff et Numers. La seconde charade fut Ververt. D’abord une scène du Misanthrope350 recitée par Fredro, le p[rin]ce Mestchersky et Jean Rumine, puis une scène de Zaïre351 declamée par la grande-duchesse et maman devant le p[rin]ce Mestchersky, représentant Voltaire et le tout fut un tableau représentant la stupéfaction des Nonnes rassemblées autour de la cage de Ververt. C’est Numers qui représentait la mère Abbesse, et il m’avait emprunté ma jupe d’Amazone pour remplir ce rôle. Tout réussit à merveille, il у eut beaucoup de gaieté et la soirée fut charmante. A la fin des charades, la grande-duchesse organisa une ronde qu’on dansa autour de Fredro et à la fin de laquelle elle lui posa une couronne sur la tête. On alla souper et tout le monde se sépara enchanté de sa soirée. Fredro est parti aujourd’hui promettant de revenir dans quelques jours. Nous devons avoir un bal ces jours-ci à la Катальная et c’est maman qui invitera et recevra.

Jeudi 4 Juillet. Nous avons fait une longue promenade à pied avec Hélène – pendant le retour en calèche. Maman m’a dit de réciter à Hélène mes vers sur le bal, que j’ai faits ce printemps. Je m’en défendis d’abord, mais force me fut de céder et de les accompagner du Myosotis et de l’Hirondelle. Je crois qu’ils plurent à Hélène.

Samedi 6 Juillet. Demain le bal! Toutes nos têtes sont pleines de cette idée, on compte et recompte les invités – on lit avec satisfaction les billets, qui acceptent, avec dépit ceux qui refusent. On va voir la Гора Katale ornée d’une multitude de fleurs. Entre les mille distractions de ces jours j’ai trouvé quelques moments à consacrer … à la Muse! Voici ce qui l’a provoqué. Hier la grande-duchesse me ramena du mont Katale. La soirée était magnifique et je ne résistai pas à la tentation de m’établir pour quelques instants sur le balcon pour у attendre le reste de la sociéte, qui revenait à pied. L’air était pur et embaumé des parfums du soir, le ciel serein, la température vivifiante et douce, le silence troublé seulement par les échos des voix de la societé attardée, tout concourait pour pénétrer mon âme d’un sentiment piein de douceur, je levai les yeux vers la voute céleste si calme, si majestueuse de son harmonie grandiose. Je sentis, que si j’étais née poète, ce moment m’aurait inspiré mes plus beaux chants, et je plongeai dans l’intérieur de mon âme, pour en tirer les expressions qui devaient rendre les sentiments que j’éprouvais. Cette nuit encore, j’y rêvai, et ce matin, je mis en ordre mes idées et j’ecrivis:

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339

По-французски art – искусство, mai – май, вместе armée – армия, войско, которое обозначал лагерь Валленштейна.

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340

Правильнее: «Ver-vert» («Вер-Вер»), что по-французски означает «зеленый змий» или «зеленый червяк» (ver – змей, червяк, vert – зеленый). Это название шутливой поэмы Луи Грессе, в которой описываются приключения попугая, воспитанного в женском монастыре. Поэма долгое время была популярна и в Европе (на ее сюжет в 1869 г. написал комическую оперу Жак Оффенбах), и в России, о чем свидетельствует (помимо упоминаний о ней А.С. Пушкина и перевода на русский язык, сделанного В. Курочкиным и опубликованного в «Отечественных записках» в 1875 г.), например, следующий факт: перевод ее, выполненный В.А. Небольсиной, в 1914 г. обсуждался во Всероссийском литературном обществе, о чем Небольсина сообщала А.Ф. Кони: «Я перевела стихами поэму Грессе “Вер-Вер”. Перевод мой был 24 января прочитан на заседании Всероссийского литературного общества. После чтения Ф.Д. Батюшков заметил, что поэма французского автора XVIII века для нас, русских, представляет тем больший интерес, что ее фабула о попугае Вер-Вере, получившем воспитание в женском монастыре, но затем огрубевшем в обществе матросов, проникла в наш русский народный эпос и послужила темой для одного неизданного рассказа Горбунова» (ГАРФ. Ф. 564. Оп. 1. Д. 2666. Л. 1).

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341

По-французски vol – полет, terre – земля; вместе они составляют имя Вольтер.

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342

Ю.Ф. Куракина, мать Е.А. Нарышкиной.

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343

Старший брат Е.А. Нарышкиной Борис.

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344

Имеется в виду Е.Е. Мельников.

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345

Имеется в виду Кавалерский корпус в Ораниенбауме.

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346

Имеется в виду опера Моцарта «Дон Жуан» (1787).

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347

Д.Д. Соколов.

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348

Сестра певицы Соколовой (Кочетовой).

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349

Имеется в виду трагедия Ф. Шиллера «Лагерь Валленштейна» – первая часть трилогии, посвященной судьбе немецкого полководца времен Тридцатилетней войны Альбрехта Валленштейна.

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350

«Мизантроп» (1666) – комедия Мольера.

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351

«Заира» (1732) – трагедия Вольтера.

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