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«Tuez-moi si vous voulez, mais vous ne saurez rien.»

D’Artagnan la releva en lui passant le bras autour de la taille ; mais comme il sentait à son poids qu’elle était sur le point de se trouver mal, il s’empressa de la rassurer par des protestations de dévouement. Ces protestations n’étaient rien pour Mme Bonacieux ; car de pareilles protestations peuvent se faire avec les plus mauvaises intentions du monde ; mais la voix était tout. La jeune femme crut reconnaître le son de cette voix : elle rouvrit les yeux, jeta un regard sur l’homme qui lui avait fait si grand-peur, et, reconnaissant d’Artagnan, elle poussa un cri de joie.

«Oh ! c’est vous, c’est vous ! dit-elle ; merci, mon Dieu !

– Oui, c’est moi, dit d’Artagnan, moi que Dieu a envoyé pour veiller sur vous.

– Était-ce dans cette intention que vous me suiviez ?» demanda avec un sourire plein de coquetterie la jeune femme, dont le caractère un peu railleur reprenait le dessus, et chez laquelle toute crainte avait disparu du moment où elle avait reconnu un ami dans celui qu’elle avait pris pour un ennemi.

«Non, dit d’Artagnan, non, je l’avoue ; c’est le hasard qui m’a mis sur votre route ; j’ai vu une femme frapper à la fenêtre d’un de mes amis…

– D’un de vos amis ? interrompit Mme Bonacieux.

– Sans doute ; Aramis est de mes meilleurs amis.

– Aramis ! qu’est-ce que cela ?

– Allons donc ! allez-vous me dire que vous ne connaissez pas Aramis ?

– C’est la première fois que j’entends prononcer ce nom.

– C’est donc la première fois que vous venez à cette maison ?

– Sans doute.

– Et vous ne saviez pas qu’elle fût habitée par un jeune homme ?

– Non.

– Par un mousquetaire ?

– Nullement.

– Ce n’est donc pas lui que vous veniez chercher ?

– Pas le moins du monde. D’ailleurs, vous l’avez bien vu, la personne à qui j’ai parlé est une femme.

– C’est vrai ; mais cette femme est des amies d’Aramis.

– Je n’en sais rien.

– Puisqu’elle loge chez lui.

– Cela ne me regarde pas.

– Mais qui est-elle ?

– Oh ! cela n’est point mon secret.

– Chère madame Bonacieux, vous êtes charmante ; mais en même temps vous êtes la femme la plus mystérieuse…

– Est-ce que je perds à cela ?

– Non ; vous êtes, au contraire, adorable. Alors, donnez-moi le bras.

– Bien volontiers. Et maintenant ?

– Maintenant, conduisez-moi.

– Où cela ?

– Où je vais.

– Mais où allez-vous ?

– Vous le verrez, puisque vous me laisserez à la porte.

– Faudra-t-il vous attendre ?

– Ce sera inutile.

– Vous reviendrez donc seule ? Peut-être oui, peut-être non.

– Mais la personne qui vous accompagnera ensuite sera-t-elle un homme, sera-t-elle une femme ?

– Je n’en sais rien encore.

– Je le saurai bien, moi !

– Comment cela ?

– Je vous attendrai pour vous voir sortir.

– En ce cas, adieu !

– Comment cela ?

– Je n’ai pas besoin de vous.

– Mais vous aviez réclamé…

– L’aide d’un gentilhomme, et non la surveillance d’un espion.

– Le mot est un peu dur !

– Comment appelle-t-on ceux qui suivent les gens malgré eux ?

– Des indiscrets.

– Le mot est trop doux.

– Allons, madame, je vois bien qu’il faut faire tout ce que vous voulez.

– Pourquoi vous être privé du mérite de le faire tout de suite ?

– N’y en a-t-il donc aucun à se repentir ?

– Et vous repentez-vous réellement ?

– Je n’en sais rien moi-même. Mais ce que je sais, c’est que je vous promets de faire tout ce que vous voudrez si vous me laissez vous accompagner jusqu’où vous allez.

– Et vous me quitterez après ?

– Oui.

– Sans m’épier à ma sortie ?

– Non.

– Parole d’honneur ?

– Foi de gentilhomme !

– Prenez mon bras et marchons alors.»

D’Artagnan offrit son bras à Mme Bonacieux, qui s’y suspendit, moitié rieuse, moitié tremblante, et tous deux gagnèrent le haut de la rue de La Harpe. Arrivée là, la jeune femme parut hésiter, comme elle avait déjà fait dans la rue de Vaugirard. Cependant, à de certains signes, elle sembla reconnaître une porte ; et s’approchant de cette porte :

«Et maintenant, monsieur, dit-elle, c’est ici que j’ai affaire ; mille fois merci de votre honorable compagnie, qui m’a sauvée de tous les dangers auxquels, seule, j’eusse été exposée. Mais le moment est venu de tenir votre parole : je suis arrivée à ma destination.

– Et vous n’aurez plus rien à craindre en revenant ?

– Je n’aurai à craindre que les voleurs.

– N’est-ce donc rien ?

– Que pourraient-ils me prendre ? je n’ai pas un denier sur moi.

– Vous oubliez ce beau mouchoir brodé, armorié.

– Lequel ?

– Celui que j’ai trouvé à vos pieds et que j’ai remis dans votre poche.

– Taisez-vous, taisez-vous, malheureux ! s’écria la jeune femme, voulez-vous me perdre ?

– Vous voyez bien qu’il y a encore du danger pour vous, puisqu’un seul mot vous fait trembler, et que vous avouez que, si on entendait ce mot, vous seriez perdue. Ah ! tenez, madame, s’écria d’Artagnan en lui saisissant la main et la couvrant d’un ardent regard, tenez ! soyez plus généreuse, confiez-vous à moi ; n’avez-vous donc pas lu dans mes yeux qu’il n’y a que dévouement et sympathie dans mon coeur ?

– Si fait, répondit Mme Bonacieux ; aussi demandez-moi mes secrets, et je vous les dirai ; mais ceux des autres, c’est autre chose.

– C’est bien, dit d’Artagnan, je les découvrirai ; puisque ces secrets peuvent avoir une influence sur votre vie, il faut que ces secrets deviennent les miens.

– Gardez-vous-en bien, s’écria la jeune femme avec un sérieux qui fit frissonner d’Artagnan malgré lui. Oh ! ne vous mêlez en rien de ce qui me regarde, ne cherchez point à m’aider dans ce que j’accomplis ; et cela, je vous le demande au nom de l’intérêt que je vous inspire, au nom du service que vous m’avez rendu ! et que je n’oublierai de ma vie. Croyez bien plutôt à ce que je vous dis. Ne vous occupez plus de moi, je n’existe plus pour vous, que ce soit comme si vous ne m’aviez jamais vue.

– Aramis doit-il en faire autant que moi, madame ? dit d’Artagnan piqué.

– Voilà deux ou trois fois que vous avez prononcé ce nom, monsieur, et cependant je vous ai dit que je ne le connaissais pas.

– Vous ne connaissez pas l’homme au volet duquel vous avez été frapper. Allons donc, madame ! vous me croyez par trop crédule, aussi !

– Avouez que c’est pour me faire parler que vous inventez cette histoire, et que vous créez ce personnage.

– Je n’invente rien, madame, je ne crée rien, je dis l’exacte vérité.

– Et vous dites qu’un de vos amis demeure dans cette maison ?

– Je le dis et je le répète pour la troisième fois, cette maison est celle qu’habite mon ami, et cet ami est Aramis.

– Tout cela s’éclaircira plus tard, murmura la jeune femme : maintenant, monsieur, taisez-vous.

– Si vous pouviez voir mon coeur tout à découvert, dit d’Artagnan, vous y liriez tant de curiosité, que vous auriez pitié de moi, et tant d’amour, que vous satisferiez à l’instant même ma curiosité. On n’a rien à craindre de ceux qui vous aiment.

– Vous parlez bien vite d’amour, monsieur ! dit la jeune femme en secouant la tête.

– C’est que l’amour m’est venu vite et pour la première fois, et que je n’ai pas vingt ans.»

La jeune femme le regarda à la dérobée.

«Écoutez, je suis déjà sur la trace, dit d’Artagnan. Il y a trois mois, j’ai manqué avoir un duel avec Aramis pour un mouchoir pareil à celui que vous avez montré à cette femme qui était chez lui, pour un mouchoir marqué de la même manière, j’en suis sûr.

– Monsieur, dit la jeune femme, vous me fatiguez fort, je vous le jure, avec ces questions.

– Mais vous, si prudente, madame, songez-y, si vous étiez arrêtée avec ce mouchoir, et que ce mouchoir fût saisi, ne seriez-vous pas compromise ?

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