L’intervention de l’OTAN en ex-Yougoslavie en 1999, hors de tout mandat des Nations unies, fait prendre à la Russie la mesure de sa relégation stratégique. L’Alliance atlantique, dont elle est exclue, lui apparaît alors comme le bras armé d’un camp vainqueur, tellement assuré de sa force qu’il entend l’imposer, y compris en dehors de sa zone. “Le bombardement de Belgrade par l’OTAN [en 1999] a suscité une très grave déception pour ceux qui, comme moi, croyaient dans le projet de la maison commune européenne”, nous confie Youri Roubinski, premier conseiller politique à l’Ambassade de Russie à Paris entre 1987 et 1997. “L’élan vers l’Europe impulsé par Gorbatchev a cependant continué d’exercer sa force d’inertie positive de nombreuses années”.
Il est généralement admis que l’arrivée d’un ancien agent des services secrets russes à la tête de l’État russe en 2000 marque une rupture par rapport aux années Eltsine, présentées comme plus ouvertes sur l’Occident et plus démocratiques. C’est oublier que le premier mandat de M. Poutine commence sur une initiative très europhile. En 2001, depuis la tribune du Bundestag, il appelle l’Europe à “unir ses capacités au potentiel humain, territorial, naturel, économique, culturel et militaire de la Russie”. La même année, après les attentats du 11 septembre, la Russie propose une coalition contre le terrorisme, inspirée de celle qui a vaincu les nazis durant la seconde guerre mondiale. Mais en décembre de la même année, les États-Unis de nouveau en quête de supériorité militaire annoncent qu’ils sortent du traité sur les missiles antimissiles (ABM) signé par Brejnev et Nixon en 1972.
En février 2007 à Munich, M. Poutine fustige l’unilatéralisme américain: “On veut nous infliger de nouvelles lignes de démarcation et de nouveaux murs”. En 2008, il lance ses troupes pour bloquer l’offensive du président géorgien contre l’Ossétie du Sud et contrecarrer indirectement une extension de l’Otan dans le Caucase. Mais il ne renonce pas au dialogue et propose même en novembre 2009 un traité de sécurité en Europe. La proposition est ignorée.
Rejetée aux marges de l’Europe, la Russie poursuit, de son côté, son projet d’intégration économique régionale avec d’anciennes républiques soviétiques centre-asiatiques et caucasiennes (Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan puis Arménie) et la Biélorussie. Mais là encore, Moscou ne cherche pas à tourner le dos à l’Europe, son premier partenaire commercial et principale destination de ses exportations de gaz. Grâce à ce projet, la Russie pense au contraire pouvoir négocier en meilleure posture un partenariat avec l’UE… à condition d’intégrer l’Ukraine, pièce maîtresse de son édifice. Moscou accuse aujourd’hui l’Union européenne de l’avoir exclu des discussions portant sur l’accord d’association avec l’Ukraine, qui a mis le feu aux poudres en 2013–2014. Alors qu’à Moscou, on estime qu’en vertu des liens historiques et économiques avec Kiev, Bruxelles aurait dű associer Moscou aux discussions, règne en Europe la conviction diamétralement opposée. “L’idée même de sphère d’influence pour la Russie est considérée comme illégitime, analyse le politiste britannique Richard Sakwa, alors que le champ de ses intérêts légitimes [de la Russie] et comment Moscou a le droit de les exprimer reste flou”19.
Les chances pour l’avenir
“La ligne paneuropéenne s’est brisée sur la Crimée”, reconnaît M. Roubinski. Moscou n’a guère d’illusion sur la possibilité de relancer une relation privilégiée avec l’Europe, la Russie juge celle-ci alignée sur la politique hostile des États-Unis. Si elle devait l’être, ce serait à une condition: se voir reconnu un statut d’égal. “Ce qu’on a offert à la Russie n’est pas le Grand Occident (Greater West), mais l’adhésion à l’Occident dans son acception historique, et à une position subalterne”, résume Sakwa. C’est précisément ce que Moscou ne souhaite plus: “Nous ne supplierons personne [de lever les sanctions économiques qui frappe la Russie depuis 2014]” a prévenu le ministre russe des affaires étrangères, M. Lavrov, lors d’une conférence de presse commune avec son homologue belge, le 13 février dernier. Ce partenariat, s’il devait être relancé, s’inscrirait désormais dans une vision qui n’a plus rien à voir avec la vision gorbatchévienne d’un retour à l’Europe. “Le monde a changé. L’époque des blocs et des alliancesfermées estfinie”, s’agace , presque M. Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue Russia in Global affairs, lorsqu’on l’interroge sur l’avenir de l’idée paneuropéenne.
“Quand les Européens reviendront à la raison, nous sommes toujours prêts à construire cette Grande Europe, ajoute M. Samarine. Nous visons l’intégration des intégrations c’est-à-dire un rapprochement et une harmonisation de l’Union européenne et de l’Union eurasiatique”.
La Russie voit désormais l’Europe comme un partenaire important, mais plus comme un destin historique. Tout en affirmant que la culture russe constitue une “branche de la civilisation européenne”, M. Lavrov affirme qu’il est “impossible de développer des relations entre la Russie et avec l’Union européenne comme au temps de la guerre froide, lorsqu’ils étaient au centre des affaires mondiales. Nous devons prendre acte des puissants processus en cours en Asie pacifique, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine”20. Moscou prétend pouvoir incarner un des pôles actifs d’un monde multipolaire. La crise de la zone euro puis le Brexit ont fait perdre à l’Union européenne son attractivité aux yeux des Russes, qui se réjouissent des menaces de découplage entre l’Europe et les États-Unis portés par Donald Trump. “Personne ne veut rejoindre un bateau qui coule” nous assure, dans son bureau parisien, M. Gilles Rémy, directeur d’une société de conseil et d’accompagnement pour investisseurs français en ex-URSS. “Les Russes sont passés de lafascination à la compassion”, poursuit cet observateur chevronné des élites soviétiques puis russes. À entendre M. Vladislav Sourkov, proche conseiller de M. Poutine, l’annexion de la Crimée aurait représenté “l’achèvement du voyage épique de la Russie vers l’Ouest, le terme de ses nombreuses tentatives infructueuses d’être incorporée dans la civilisation occidentale, de s’apparenter avec la “bonne famille” des peuples européens”. Désormais, Moscou assume sa “solitude géopolitique”.
Россия и Европа
Санкции, пошлины, контрмеры… Что дальше?
Джахан Реджеповна Поллыева
кандидат юридических наук, докторант ИЕ РАН, вице-президент Объединённой судостроительной корпорации
Санкционная политика Запада, главная цель которой – получение односторонних выгод, меняет векторы, расширяет географию распространения и приобретает новые формы. Борьба за исключительное место в экономике даётся всё трудней. Переместившись на время в сферу таможенных тарифов, она частично достигла своих целей. В статье рассматриваются следующие вопросы: прекратилась ли торговая война; почему «война пошлин» – одно из следствий политики санкций; во что она может перейти и как связана с нынешним состоянием евроатлантических отношений и интересами военно-промышленных лобби?
Чем дольше продолжается санкционная сага, тем чётче просматриваются контуры торговой и в целом экономической войны. Её не сдерживают ни крепкие союзнические отношения, ни тесное партнёрство в НАТО, ни даже совместное применение рестрикций против третьих стран. Всё отступает перед желанием получить видимые преимущества перед конкурентом. И если год назад в США приняли закон, позволяющий в том числе использовать санкции против европейских компаний, участвующих в строительстве экспортных трубопроводов России, то в июне 2018 года государства – члены Евросоюза (впервые за долгое время) были поставлены перед угрозой платить взвинченную пошлину за экспорт в Америку стали и алюминия.