«Je suis vivant et nous sommes hier
Par Frédéric Beigbeder
24 janvier 2011. Le monde est né d’une explosion. Les étoiles sont des boules de feu, l’univers a commencé par un big bang. Ca signifie quoi? Que chaque bombe qui pète est le début de la création? Mon cul. L’aéroport de Moscou est jonché de cadavres déchiquetés, une femme rampe pour récupérer sa jambe gauche arrachée, sur le sol elle laisse une large traînée marron comme une limace. Les cris des businessmen défigurés. Une pile de cadavres atrocement brûlés. Se faire sauter au milieu des gens n’a rien de créatif. Small bang. Aucun intérêt. Poussière tu es, poudre tu demeures. J’avais une mission à accomplir: supprimer deux terroristes. Je ne dormirais pas avant d’avoir éliminé le père et le fils Dublin. J’ai enjambé les cadavres, j’avais autre chose à faire, je suis passé au travers de l’attentat, la chance fait partie de mon job. Je suis le lieutenant Podkolyosin, tueur professionnel, et je viens d’atterrir à Moscou. C’est bizarre: partout où je passe, il y a un nuage de fumée.
— Je t’aime, Mashinka, même si tu es trop jeune pour comprendre ce que veut dire ce verbe: aimer. Tu es parfaite, tu seras toujours parfaite. J’embrasse tes petits pieds, on dirait deux colombes.
— Tais-toi Velik, mon père sait tout, ils vont te tuer.
— Je n’ai pas peur du général Krivtsov. Je n’ai rien fait de mal. Depuis quand est-il criminel d’aimer un enfant?
— Ton père a couché avec ma mère!
— Et alors? Gleb aime Nadia, Nadia aime Gleb, et Velik aime Mashinka, quelle merveille, on n’assassine plus les gens pour si peu!
— Tu ne comprends donc pas… J’ai vu ses yeux changer de couleur quand je lui ai répété ce que tu m’avais dit sur lui.
— Que c’est un voleur? It’s all over the net, baby. Je n’ai pas peur de la vérité. C’est le général qui a peur d’elle. S’il doit tuer tous ceux qui savent… Ca fait du monde à supprimer.
Je roule à tombeau ouvert vers Riazan. Aucune neige ne m’arrête. J’y serai ce soir. Je prendrai une chambre dans un hôtel discret. Je dinerai tôt. Je ne boirai pas. Je suis un robot. Je suis un militaire. Je suis la mort. Je sonnerai à sa porte. Le mathématicien Gleb Dublin viendra m’ouvrir en titubant car il sera ivre comme tous les soirs. Il ne sentira rien. J’agis vite. Je suis propre. Je ne laisse pas de traces. Je suis invisible. Ensuite je m’occuperai de son fils. A vos ordres, mon général.
— Tu ne comprends pas, Velik… Peut-être que je t’aime aussi, peut-être que je ne veux pas qu’il t’arrive malheur. Il faut te cacher. Il faut avertir ton père. J’ai envie de vous protéger. Si vous disparaissez, je ne m’en remettrai jamais.
— Tu voudras bien m’épouser plus tard, quand tu seras majeure?
— Oh arrête de rire! C’est très sérieux. Dans l’armée russe, avoir le sens de l’humour est une faute professionnelle. Pourquoi ne m’écoutes-tu pas?
— Regarde… Cette enveloppe a été remise à mon père par l’académicien Leonid Ayzenazer le jour de son assassinat. Je sais de quoi ils sont capables.
— Qu’y a-t-il dans l’enveloppe?
— Notre assurance-vie, ma chérie. Cette enveloppe me protège bien plus que toi. Ta maman ne t’a jamais parlé des travaux de mon père?
Riazan est ensevelie sous deux mètres de glace et d’ennui. Il est vrai qu’un attentat ici créerait un peu d’animation; mais pourquoi se faire exploser ici? Personne n’en parlerait. Le suicide est un des sports préférés des habitants de cette région. Nul ne s’en plaint. La mort est une délivrance, comme je le dis souvent à mes cibles. Je viens vous débarrasser d’un sacré poids: vous-même. Vous devriez me remercier, au lieu de tomber à genoux dans la neige et de supplier en vain. Je me suis garé devant la maison de Gleb Dublin: un gros glaçon carré. La lumière du salon était allumée. Ma mission — et sa vie — étaient sur le point de s’achever, simultanément.
— Il avait découvert quelque chose ce vieux savant?
— Eh bien…C’est difficile à expliquer à une fillette de neuf ans.
— Essaie toujours.
— L’hyper-espace, ça évoque quelque chose pour toi?
— Euh… Dans «Star wars», les vaisseaux spatiaux qui volent à la vitesse de la lumière?
— Au contraire. Ca n’a rien à voir. L’hyperspace est une autre dimension. L’idée n’est pas de téléporter la matière mais de la dématérialiser. Par exemple, ça permet de remonter dans le temps. Ou d’être immortel. Mais en restant au même endroit. Et ailleurs en même temps. Tu piges?
— Rien du tout.
— Ah, tu vois. La physique quantique, ma fille, c’est compliqué. Nous sommes constitués d’atomes. Tu as entendu parlé de la bombe atomique?
— Ouais.
— Eh bien nous sommes tous des bombes atomiques en puissance. Il suffirait de nous secouer un peu et nous dégagerions assez d’énergie pour détruire la planète…ou la sauver.
— Ton père expliquerait mieux.
— Sûrement.
— S’il est toujours en vie.
— Très drôle.
Quand j’ai sonné à la porte, la lumière du salon est devenue blanche. Je me suis dit que Dublin regardait la télévision ou qu’il prenait des photos avec un flash. Je ne pouvais pas imaginer… J’ai gazé à travers les bouches d’aération, envoyé le Fentanyl à haute dose pressurisée par toutes les ouvertures: conduits d’évacuation, serrures, air conditionné, chauffage, et même par les chiottes. Ensuite j’ai enfilé mon masque à gaz et enfoncé la porte. Il n’y avait personne. La suite… Je sais que personne ne me croira. J’ai prêté serment sur la Bible, pourtant. J’aimerais y comprendre quelque chose, mon général. Une minute après l’éclair blanc, je me suis retrouvé à l’aéroport de Moscou, le 24 janvier, juste avant l’explosion. Je vous jure que c’est la vérité. Je cours vers les arrivées. J’ai toujours mon masque à gaz, un tchétchène crie qu’il a une bombe, je ne sais même pas ce que je dis, les gens paniquent autour de moi, je le plaque au sol. Et la bombe n’explose pas. L’attentat n’a pas eu lieu. Je suis vivant, et nous sommes hier.
— Waooooow. Comment a-t-il fait?
— C’est simple: il suffit de croire.
— Croire quoi?
— Croire au pouvoir de la fiction. Il est fort possible que tu ne sois qu’un personnage né dans l’imagination d’un fou. Ca ne t’empêche pas d’exister.
— Quel charabia…
— Toute notre histoire est peut-être inventée.
— N’importe quoi.
— Ne te vexe pas pour si peu. La réalité est surnaturelle. Parce que nous sommes Russes, nous sommes différents des autres: nous rêvons davantage. Nous avons inventé cette arme de destruction massive: le roman. Tu comprendras plus tard. Cela n’enlève rien à l’éternité de notre amour, ni à l’immortelle beauté de tes yeux, qui sont profonds comme le lac Baïkal.
FB»
— Это кто? Кокто? — поинтересовался Дублин, назвав единственное вспомнившееся галльское литературное имя.
— Но, месье, — обиделась француженка («Француженка?» — подумал Дублин) и пояснила почти по-пилатски: — Се — Бегбедер!
— Какой на хер Бегбедер? Он разве играл? Не помню такого, — невпопад отозвался собутыльник лысого. — Я ж тебе говорю, штрафной Павич бил, а если бы не этому дураку бить доверили, а тому же Кутзее, то барсы точно выиграли бы…
— Ну не пизди, братан, это не я про Бегбедера сказал, — уткнулся ему в макушку лысый. — А Кутзее твой такое же хуйло, не пизди… Челси чемпион, Челси, братан…
— Да в этом твоём Челси, кроме Честертона, все тюфяки безногие. Это им Абрамович кубок купил, все знают, у арабов купил… — всему самолёту поведал братан.
— Не пизди, братан. Сам знаешь, кроме Честертона, у них Кэролл, Уайльд и этот, как его, третий номер…
— Джойс что ли? Да он не ихний, не родной. Купил его им Абрамович, у арабов купил…