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– Qu’est-ce que j’ai dit?

– Vous ne m’aimez donc pas du tout, pas du tout, pour penser ? me marier avec une autre?

– Mais c’est au contraire parce que je vous aime, que je serais heureuse de faire ce qui pourrait vous rendre heureux.

– Alors, si c’est vrai…

– Non, non, n’y revenez pas! Je vous dis que ce serait votre malheur…

– Ne vous inqui?tez pas de moi. Je jure d’?tre heureux! Mais dites la v?rit?: vous croyez que vous, vous seriez malheureuse avec moi?

– Oh! malheureuse? mon ami, non. Je vous estime et je vous admire trop, pour ?tre jamais malheureuse avec vous… Et puis, je vous dirai: je crois bien que rien ne pourrait me rendre tout ? fait malheureuse, ? pr?sent. J’ai vu trop de choses, je suis devenue philosophe… Mais ? parler franchement – (n’est-ce pas? vous me le demandez, vous ne vous f?cherez pas?) – eh bien, je connais ma faiblesse, je serais peut-?tre assez sotte, au bout de quelques mois, pour n’?tre pas tout ? fait heureuse avec vous; et cela, je ne le veux pas, justement parce que j’ai pour vous la plus sainte affection; et je ne veux pas que rien au monde puisse la ternir.

Lui, tristement:

– Oui, vous dites ainsi, pour m’adoucir la pilule. Je vous d?plais. Il y a des choses, en moi, qui vous sont odieuses.

– Mais non, je vous assure! N’ayez pas l’air si penaud. Vous ?tes un bon et cher homme.

– Alors, je ne comprends plus. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous convenir?

– Parce que nous sommes trop diff?rents, d’un caract?re trop accus?, tous deux, trop personnels.

– C’est pour cela que je vous aime.

– Moi aussi. Mais c’est aussi pour cela que nous nous trouverions en conflit.

– Mais non!

– Mais si! Ou bien, comme je sais que vous valez plus que moi, je me reprocherais de vous g?ner, avec ma petite personnalit?; et alors, je l’?toufferais, je me tairais, et je souffrirais.

Les larmes viennent aux yeux de Christophe.

– Oh! cela, je ne veux point. Jamais! J’aime mieux tous les malheurs, plut?t que vous souffriez par ma faute, pour moi.

– Mon ami, ne vous affectez pas… Vous savez, je dis ainsi, je me flatte peut-?tre… Peut-?tre que je ne serais pas assez bonne pour me sacrifier ? vous.

– Tant mieux!

– Mais alors, c’est vous que je sacrifierais, et c’est moi qui me tourmenterais, ? mon tour… Vous voyez bien, c’est insoluble, d’un c?t? comme de l’autre. Restons comme nous sommes. Est-ce qu’il y a quelque chose de meilleur que notre amiti??

Il hoche la t?te, en souriant avec un peu d’amertume.

– Oui, tout cela, c’est qu’au fond vous n’aimez pas assez.

Elle sourit aussi, gentiment, un peu m?lancolique. Elle dit avec un soupir:

– Peut-?tre. Vous avez raison. Je ne suis plus toute jeune, mon ami. Je suis lasse. La vie use, quand on n’est pas tr?s fort, comme vous… Oh! vous, il y a des moments, quand je vous regarde, vous avez l’air d’un gamin de dix-huit ans.

– H?las! avec cette vieille t?te, ces rides, ce teint fl?tri!

– Je sais bien que vous avez souffert, autant que moi, peut-?tre plus. Je le vois. Mais vous me regardez quelquefois, avec des yeux d’adolescent; et je sens sourdre de vous un flot de vie toute fra?che. Moi, je me suis ?teinte. Quand je pense, h?las! ? mon ardeur d’autrefois! Comme dit l’autre, c’?tait le bon temps, j’?tais bien malheureuse! ? pr?sent, je n’ai plus assez de force pour l’?tre. Je n’ai qu’un filet de vie. Je ne serais plus assez t?m?raire pour oser l’?preuve du mariage. Ah! autrefois, autrefois!… Si quelqu’un que je connais m’avait fait signe!…

– Eh bien, eh bien, dites…

– Non, ce n’est pas la peine…

– Ainsi, autrefois, si j’avais… Oh! mon Dieu!

– Quoi! si vous aviez? Je n’ai rien dit.

– J’ai compris. Vous ?tes cruelle.

– Eh bien, autrefois, j’?tais folle, voil? tout.

– Ce que vous dites l? est encore pis.

– Pauvre Christophe! Je ne puis dire un mot qui ne lui fasse du mal. Je ne dirai donc plus rien.

– Mais si! Dites-moi… Dites quelque chose!…

– Quoi?

– Quelque chose de bon.

Elle rit.

– Ne riez pas.

– Et vous, ne soyez pas triste.

– Comment voulez-vous que je ne le sois pas?

– Vous n’en avez pas de raison, je vous assure.

– Pourquoi?

– Parce que vous avez une amie qui vous aime bien.

– C’est vrai?

– Si je vous le dis, ne le croyez-vous pas?

– Dites-le encore!

– Vous ne serez plus triste, alors? Vous ne serez plus insatiable? Vous saurez vous contenter de notre ch?re amiti??

– Il le faut bien!

– Ingrat! ingrat! Et vous dites que vous m’aimez! Au fond, je crois que je vous aime plus que vous m’aimez.

– Ah! si cela se pouvait!

Il dit cela, d’un tel ?lan d’?go?sme amoureux qu’elle rit. Lui aussi. Il insistait:

– Dites!…

Un instant, elle se tut, le regarda, puis soudain approcha son visage de celui de Christophe, et l’embrassa. Cela fut si inattendu! Il en fut boulevers? d’?motion. Il voulut la serrer dans ses bras. D?j?, elle s’?tait d?gag?e. ? la porte du salon, elle le regarda, un doigt sur ses l?vres, faisant: «Chut!» – et disparut.

*

? partir de ce jour, il ne lui reparla plus de son amour, et il fut moins g?n? dans ses relations avec elle. ? des alternatives de silence guind? et de violences mal comprim?es succ?da une intimit? simple et recueillie. C’est le bienfait de la franchise en amiti?. Plus de sous-entendus, plus d’illusions ni de craintes. Ils connaissaient, chacun, le fond de la pens?e de l’autre. Lorsque Christophe se retrouvait avec Grazia dans la soci?t? des indiff?rents qui l’irritaient, quand l’impatience le reprenait d’entendre son amie ?changer avec eux de ces choses un peu niaises, qui sont l’ordinaire des salons, elle s’en apercevait, le regardait, souriait. C’?tait assez, il savait qu’ils ?taient ensemble; et la paix redescendait en lui.

La pr?sence de ce qu’on aime arrache ? l’imagination son dard envenim?; la fi?vre du d?sir tombe; l’?me s’absorbe dans la chaste possession de la pr?sence aim?e. – Grazia rayonnait d’ailleurs sur ceux qui l’entouraient le charme silencieux de son harmonieuse nature. Toute exag?ration, m?me involontaire, d’un geste ou d’un accent, la blessait, comme quelque chose qui n’?tait pas simple et qui n’?tait pas beau. Par l?, elle agit ? la longue sur Christophe. Apr?s avoir rong? le frein mis ? ses emportements, il y gagna peu ? peu une ma?trise de soi, une force d’autant plus grande qu’elle ne se d?pensait plus en vaines violences.

Leurs ?mes se m?laient. Le demi-sommeil de Grazia, souriante en son abandon ? la douceur de vivre, se r?veillait au contact de l’?nergie morale de Christophe. Elle se prit, pour les choses de l’esprit, d’un int?r?t plus direct et moins passif. Elle, qui ne lisait gu?re, qui relisait plut?t ind?finiment les m?mes vieux livres avec une affection paresseuse, elle commen?a d’?prouver la curiosit? d’autres pens?es et bient?t leur attrait. La richesse du monde d’id?es modernes, qu’elle n’ignorait pas, mais o? elle n’avait aucun go?t ? s’aventurer seule, ne l’intimidait plus, maintenant qu’elle avait, pour l’y guider, un compagnon. Insensiblement, elle se laissait amener, tout en s’en d?fendant, ? comprendre cette jeune Italie, dont les ardeurs iconoclastes lui avaient longtemps d?plu.

Mais le bienfait de cette mutuelle p?n?tration des ?mes ?tait surtout pour Christophe. On a souvent observ? qu’en amour, le plus faible des deux est celui qui donne le plus: non que l’autre aime moins; mais plus fort, il faut qu’il prenne davantage. Ainsi, Christophe s’?tait enrichi d?j? de l’esprit d’Olivier. Mais son nouveau mariage mystique ?tait bien plus f?cond: car Grazia lui apportait en dot le tr?sor le plus rare, que jamais Olivier n’avait poss?d?: la joie. La joie de l’?me et des yeux. La lumi?re. Le sourire de ce ciel latin, qui baigne la laideur des plus humbles choses, qui fleurit les pierres des vieux murs, et communique ? la tristesse m?me son calme rayonnement.

Elle avait pour alli? le printemps renaissant. Le r?ve de la vie nouvelle couvait dans la ti?deur de l’air engourdi. La jeune verdure se mariait aux oliviers gris d’argent. Sous les arcades rouge sombre des aqueducs ruin?s, fleurissaient des amandiers blancs. Dans la campagne r?veill?e ondulaient les flots d’herbe et les flammes des pavots triomphants. Sur les pelouses des villas coulaient des ruisseaux d’an?mones et des nappes de violettes. Les glycines grimpaient autour des pins parasols; et le vent qui passait sur la ville apportait le parfum des roses du Palatin.

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