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Ce n’était plus une voiture neuve, mais elle était en bon état de conservation. Sans utiliser la méthode de Rampa, toutefois, où un souhait suffisait à éliminer les bosses ; si cette voiture avait un tel aspect, c’est que son propriétaire, on le comprenait instinctivement, avait passé tous ses week-ends pendant vingt ans à faire tout ce que le manuel du propriétaire conseillait de faire chaque week-end. Avant chaque voyage, il en faisait le tour, vérifiait les phares et comptait les roues. Des messieurs sérieux, avec une pipe et des moustaches, avaient rédigé des instructions sérieuses disant ce qu’il fallait faire, et il l’avait fait, parce que c’était un monsieur sérieux, avec une pipe et une moustache, qu’il ne prenait pas ce genre de conseils à la légère, parce que sinon, où allait-on ? Il était assuré exactement comme il le faut. Il conduisait à cinq kilomètres-heure en dessous de la limitation, ou à quatre-vingt-dix, selon la vitesse qui était la plus basse des deux. Il portait cravate, même le samedi.

Archimède a prétendu qu’avec un levier assez long et un point d’appui assez solide, il pourrait soulever le monde.

Il aurait pu s’appuyer sur M r Young.

La portière s’ouvrit et M rYoung descendit de voiture.

« Qu’est-ce qu’il se passe, ici ? demanda-t-il. Adam ? Adam ! »

Mais les Eux filaient en direction du portail.

M r Young regarda l’assemblée stupéfaite. Il restait heureusement assez de présence d’esprit à Rampa et à Aziraphale pour affaler leurs ailes.

« Qu’est-ce qu’il a encore inventé ? soupira M r Young sans vraiment attendre de réponse. Où ce gamin s’est-il encore fourré ? Adam ! Reviens ici tout de suite ! »

Adam obéissait rarement à son père.

Le sergent Thomas A. Deisenburger ouvrit les yeux. Le plus étrange dans le décor qui l’entourait, c’était sa totale familiarité. Sa photographie de lycée était accrochée au mur, sa petite bannière étoilée était fichée dans son verre à dents, juste à côté de la brosse à dents, et même son nounours en peluche portait encore son petit uniforme. Un début d’après-midi se déversait dans sa chambre par la fenêtre ouverte.

Il sentit un fumet de tarte aux pommes. C’était ce qui lui avait le plus manqué lorsqu’il passait ses samedis soir loin de chez lui.

Il descendit l’escalier.

Sa mère était dans la cuisine, et sortait du four une énorme tarte aux pommes pour la faire refroidir.

« Salut, Tommy, dit-elle. Je te croyais en Angleterre.

— Oui, M’man, normativement, j’y suis, M’man, pour protéger le démocratisme, M’man, à vos ordres, dit le sergent Thomas A. Deisenburger.

— C'est très bien, mon chéri, répondit-elle. Ton papa est dans le grand champ, avec Chester et Ted. Ils vont être contents de te voir. »

Le sergent Thomas A. Deisenburger opina.

Il retira son casque militaire et sa veste militaire, et remonta les manches de sa chemise militaire. L’espace d’un instant, il parut plus pensif qu’il ne l’avait jamais été de sa vie. La tarte aux pommes monopolisait une partie de ses méditations.

« M’man, si un individu quelconque tente d’initier une prise de contact avec le sergent Thomas A. Deisenburger par l’entremise de la voie téléphonique, M’man, le susnommé serac

— Tu disais, Tommy ? »

Tom Deisenburger accrocha son arme au mur, au-dessus de la carabine bosselée de son père.

« Je disais : si quelqu’un appelle, M’man, je suis dans le grand champ, avec P’pa, Chester et Ted. »

La camionnette approcha lentement des portes de la base aérienne. Elle s’arrêta. La sentinelle en faction durant le quart de minuit jeta un coup d’œil par la fenêtre, vérifia les accréditations du conducteur et lui fit signe de passer.

La camionnette erra sur le béton.

Elle se gara sur le tarmac désert de l’ancienne piste, près de deux hommes assis qui partageaient une bouteille. L’un d’eux portait des lunettes noires. Bizarrement, personne d’autre ne semblait leur accorder la moindre attention.

« Est-ce que tu essaies de me dire qu’il avait tout prévu ? Depuis le début ? »

Aziraphale essuya consciencieusement le goulot de la bouteille et la lui rendit.

« Il aurait pu, Il aurait pu. On peut toujours Lui demander, je suppose.

— Si je me souviens bien », répondit Rampa, pensif, « – et nous n’avons jamais été vraiment assez proches pour discuter ensemble –, Il n’a jamais été du genre à répondre sans détour. En faitc en fiait, Il ne répondait jamais. Il se contentait de sourire, comme s’il savait quelque chose que tu ignorais.

— Et c’est bien entendu le cas, répondit l’ange. Quel intérêt, sinon ? »

Il y eut un silence et les deux êtres contemplèrent pensivement les lointains, comme s’ils se remémoraient des choses auxquelles ils n’avaient plus pensé depuis longtemps.

Le chauffeur de la camionnette en descendit, muni d’une boîte en carton et d’une paire de pincettes.

Une couronne de métal terni et une balance gisaient sur le tarmac. L’homme les saisit avec ses pincettes et les plaça dans le carton.

Puis il s’approcha du duo autour de la bouteille.

« ’Scusez-moi, messieurs, y aurait dû y avoir une épée quelque part par là. Enfin, du moins, c’est ce qui est marqué là, et je me demandaisc »

Aziraphale parut embarrassé. Il regarda autour de lui, vaguement perplexe, puis se leva, pour découvrir qu’il était assis sur l’épée depuis bientôt une demi-heure. Il se baissa et la ramassa. « Désolé », dit-il et il rangea l’épée dans le carton.

Le conducteur de la camionnette, qui portait une casquette marquée International Express,lui dit que ce n’était pas grave, et que c’était vraiment une bénédiction de les trouver là tous les deux comme ça, parce qu’il avait un bordereau à faire signer pour confirmer qu’il avait bien récupéré ce qu’on l’avait envoyé chercher, et que la journée avait vraiment été mémorable, non ?

Aziraphale et Rampa acquiescèrent avec lui sur ce point. Aziraphale signa le bordereau que lui tendait le chauffeur de la camionnette, attestant qu’une couronne, une balance et une épée avaient bel et bien été perçues, et qu’il fallait les livrer à une adresse délavée, et débiter la facture à un numéro de compte illisible.

L’homme se dirigea vers sa camionnette. Puis il s’arrêta et se retourna.

« Si je devais raconter à ma femme ce qui m’est arrivé aujourd’hui, leur confia-t-il avec un peu de tristesse, elle ne me croirait pas. Et je pourrais pas le lui reprocher, parce que j’y crois pas non plus. » Puis il grimpa dans sa camionnette et s’en fut.

Rampa se leva, les jambes légèrement flageolantes. Il tendit la main à Aziraphale.

« Allons-y, dit-il. On rentre à Londres. C'est moi qui conduis. »

Il prit une jeep. Personne ne l’en empêcha.

Elle était munie d’un lecteur de cassettes. Ce n’est pas un équipement militaire très courant, même sur les véhicules de l’armée américaine, mais Rampa partait inconsciemment du principe que tous les véhicules qu’il conduisait seraient équipés d’un lecteur de cassettes. Celui-ci en posséda donc un, quelques secondes après que Rampa fut monté à bord.

La cassette qu’il y introduisit en conduisant était libellée Haendel : Water Music,et resta la Water Musicde Haendel pendant tout le trajet.

Dimanche

(Le premier jour du reste de leur vie)

Vers dix heures et demie, le livreur de journaux apporta les éditions du dimanche au cottage des Jasmins. Il dut faire trois voyages.

La série de bruits sourds qu’elles firent en s’écrasant sur le paillasson réveilla Newton Pulsifer.

Il laissa dormir Anathème. La pauvre petite était vraiment traumatisée. Quand il l’avait mise au lit, elle était presque incohérente. Elle avait conduit sa vie selon les Prophéties, et il n’y avait plus de Prophéties, désormais. Elle devait avoir l’impression d’être un train qui doit continuer sa route après avoir atteint le terminus.

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