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            Le cerveau humain…

            Le projet de l’établissement de neuroscience était clair : regrouper certains des plus grands chercheurs de la planète pour faire avancer la connaissance des maladies du système nerveux (Alzheimer, schizophrénie, maladie de Parkinson…).

            – Lieutenant, si vous voulez bien me suivre.

            Emma emboîta le pas à la réceptionniste.

            Un ascenseur silencieux en forme de capsule vitrée les conduisit jusqu’au dernier étage de la tour. Au bout d’un couloir de verre se trouvait un espace tout en transparence : le lieu de travail de Joyce Wilkinson.

            La scientifique leva les yeux de son ordinateur portable lorsque Emma franchit la porte de son bureau.

            – Entrez donc, lieutenant. Je vous en prie, dit-elle en désignant de la main le siège devant elle.

            Comme les photos le laissaient deviner, Joyce Wilkinson était d’origine indienne. Sa peau mate et ses cheveux de jais coupés court contrastaient avec le regard clair et rieur qui luisait derrière ses fines lunettes à monture translucide.

            Emma lui montra sa carte sans ciller.

            – Je vous remercie de m’accorder quelques minutes de votre temps, professeur.

            Joyce hocha la tête. Sous sa blouse ouverte, elle était vêtue simplement d’un pantalon de toile kaki et d’un pull à grosses mailles qui lui donnait l’allure presque enfantine d’un garçon manqué. Son visage carré et juvénile attirait la sympathie.

            Avant de s’asseoir, Emma jeta un regard circulaire à la pièce. Les murs étaient tapissés d’écrans plats sur lesquels s’étalaient des dizaines de plans de coupe de cerveaux humains.

            – On dirait des toiles d’Andy Warhol, remarqua-t-elle en faisant référence aux couleurs vives des marqueurs d’activité cérébrale qui rendaient les clichés « vivants », presque gais.

            Joyce expliqua :

            – Il s’agit d’une étude médicale réalisée en Amérique du Sud sur plusieurs milliers de personnes d’une famille élargie dont les membres ont une prédisposition héréditaire à développer la maladie d’Alzheimer.

            – Et quelles sont ses conclusions ?

            – Elle montre que les signes précurseurs de la maladie apparaissent plus de vingt ans avant les premiers symptômes.

            Emma approcha très près d’un des clichés. Elle eut une pensée pour son père, en phase terminale de la maladie, hospitalisé dans une institution du New Hampshire. Comme en écho à ses réflexions, Joyce lui confia :

            – Mon père adoptif a développé une forme précoce de la maladie. Ça a bousillé mon enfance, mais ça a aussi déterminé ma vocation.

            La « flic » poursuivit l’échange :

            – Le cerveau… Tout se passe là-dedans, n’est-ce pas ? fit-elle en désignant son crâne. Des signaux électriques, des connexions entre groupes de neurones…

            – Oui, répondit Joyce en souriant. Le cerveau gouverne nos décisions et détermine nos comportements et nos jugements. Il établit la conscience que nous avons de notre entourage et de nous-mêmes et va jusqu’à régler notre façon de tomber amoureux !

            Elle avait une voix chaude, légèrement rauque. Un charme puissant. Le médecin hocha la tête en se balançant dans son fauteuil.

            – C’est un sujet passionnant, mais ce n’est pas pour discuter de ça que vous êtes venue me voir, n’est-ce pas, lieutenant ?

            – En effet. Je suis ici car la BPD mène actuellement une investigation dans laquelle apparaît le nom de Kate Shapiro.

            Joyce marqua une vraie surprise.

            – Kate ? Que lui reprochez-vous ?

            – Sans doute rien de grave, assura Emma. Kate n’est pas la personne principale visée par notre enquête. Je ne peux vous en dire plus pour l’instant, mais je vous remercie pour votre collaboration.

            – Comment puis-je vous aider ?

            – En répondant à quelques questions. Quand avez-vous rencontré Kate pour la première fois ?

            – Eh bien, c’était en… en 1993, affirma-t-elle en comptant sur ses doigts. Nous étions toutes les deux élèves en première année du JMP.

            – Le JMP ?

            – Le Joint Medical Programde l’université de Berkeley. Il s’agit d’un cursus médical de cinq ans parmi les plus sélectifs du pays. Trois ans de master en sciences sur le campus suivis de deux ans de stage dans différents hôpitaux de Californie.

            – À l’université, vous étiez sa meilleure amie, n’est-ce pas ?

            Joyce plissa les yeux en silence, laissant les souvenirs remonter lentement du passé.

            – Oui, c’est certain. Nous avons partagé la même chambre pendant trois ans à Berkeley avant de louer un petit appartement à San Francisco pendant deux ans. Ensuite, nous avons déménagé à Baltimore pour y débuter notre résidanat.

            – Comment était Kate à l’époque ?

            La neurologue haussa les épaules.

            – Comme aujourd’hui, j’imagine : belle, ambitieuse, intelligente, dotée d’une volonté de fer… Vraiment très douée. Je n’ai jamais vu quelqu’un capable de travailler aussi vite et aussi longtemps. Je me souviens qu’elle dormait très peu et avait une capacité de concentration incroyable. C’était sans doute la meilleure élève de notre promotion.

            – D’où venait-elle ?

            – D’un petit lycée catholique du Maine dont j’ai oublié le nom. Avant Kate, jamais personne de cet établissement n’avait été admis au JMP. Je me souviens que son score au test d’intégration de l’école avait été le plus élevé depuis la mise en place de l’examen. Et je suis prête à parier que personne ne l’a battu aujourd’hui.

            – Comment êtes-vous devenues amies ?

            Joyce écarta les mains.

            – J’imagine que la maladie de nos parents nous a rapprochées. Kate avait perdu sa mère des suites d’une sclérose en plaques. Nous étions toutes les deux décidées à consacrer notre vie à lutter contre les maladies neurodégénératives.

            Emma fronça les sourcils.

            – C’est bien ce que vous avez fait vous, mais pas Kate. Elle est devenue chirurgienne cardiaque.

            – Oui, elle a changé brutalement de voie en 1999, au milieu de notre deuxième année à Baltimore.

            – Vous voulez dire qu’elle a arrêté son résidanat de neurologie en deuxième année pour se réorienter en chirurgie ?

            – C’est ça : comme c’était une très bonne élève, John-Hopkins4 a accepté de la transférer en cours d’année pour intégrer le résidanat de chirurgie.

            – Quelle était la raison de ce changement ?

            – Aujourd’hui encore, je serais incapable de vous le dire. C’est d’ailleurs à partir de cette date que nos chemins ont pris des directions différentes et que nos relations se sont distendues.

            Emma insista.

            – En réfléchissant, vous ne voyez vraiment pas ce qui a pu déclencher cette décision ?

            – C’était il y a plus de dix ans. Nous n’avions que vingt-quatre ans à l’époque. Et puis, en médecine, il n’est pas rare que les étudiants changent d’orientation en cours de route.

            – Tout de même, il s’agissait ici de l’engagement d’une vie. Vous disiez que Kate était déterminée à faire une carrière en neurologie.

            – Je sais bien, acta Joyce. Quelque chose d’important s’est manifestement passé dans sa vie cette année-là, mais je ne saurais pas vous dire quoi.

            Emma s’empara d’un stylo qui traînait sur le bureau et marqua la date « 1999 » sur son avant-bras suivie de la question : « quel événement dans la vie de Kate ? »

            – Vous voulez un papier, lieutenant ?

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