Ce n’était pas mal raisonné, et cependant la manœuvre ne devait donner aucun résultat. À peine les policiers avaient-ils, en effet, escaladé l’escalier de marbre qui conduisait en haut de la tour, sous la conduite de Backefelder, à peine étaient-ils entrés dans la chambrette où Juve avait pensé mourir, que Backefelder, comme un furieux, sautait à l’ouverture creusée par Juve, s’y penchait, criant de toute son âme :
— Voilà du secours. On arrive !
Mais, en même temps, Backefelder se rejetait en arrière, terrifié, en balbutiant :
— Juve n’est plus là.
Et c’était, hélas, la sinistre vérité. Sur le plateau de l’ascenseur, il n’y avait plus personne, Juve ne se trouvait plus dans la prison où Backefelder l’avait laissé.
— Fouillons le château ! hurla Michel, si Juve n’est plus là, c’est qu’on l’a emporté ailleurs ! Que diable, il faudra bien que nous le découvrions, là où il est.
***
Deux jours auparavant, Backefelder s’était à peine enfui du Château Noir, grâce au dévouement de Juve, que celui-ci, demeuré sur le plateau de l’ascenseur, avait comme à son ordinaire réfléchi le plus sereinement du monde.
— Voyons, s’était dit le policier, quelques instants après être descendu le long du câble de l’ascenseur au moyen d’une périlleuse glissade, voyons, ai-je amélioré ma situation, ou l’ai-je empirée ? Vais-je mourir un peu plus vite, ou un peu plus lentement ?
Juve, à cet instant, pensait bien que Backefelder s’occuperait de rassembler des secours et de venir le tirer de sa fâcheuse situation. Mais Juve, en même temps, songeait que Backefelder, n’était peut-être pas très habile, qu’il pouvait fort bien retomber sous la main de Fantômas, qu’en tout cas, l’arrivée des secours demanderait un certain temps et que le mieux était encore pour lui de tâcher de se tirer d’affaire tout seul.
Juve examina la nouvelle prison dans laquelle il venait de descendre :
— Fâcheux local.
Au-dessus de lui, la cage de l’ascenseur se dressait, haute, étroite, sans fenêtre, sans jour d’aucune sorte. Juve n’y voyait qu’une ouverture, celle qu’il avait creusée dans le mur et qui communiquait avec la chambre où, le matin encore, il était prisonnier.
— S’en aller par en haut, songeait Juve, c’est rigoureusement impossible. Rien à tenter de ce côté-là.
Il n’apparaissait pas qu’il pût être beaucoup plus aisé de s’en aller par en bas.
— Maudit ascenseur, gronda Juve, si seulement je pouvais le faire baisser de deux ou trois mètres, j’arriverais au niveau de la fenêtre et je ficherais le camp, tout comme Backefelder.
Mais, précisément, c’était là chose impossible. En s’accrochant aux câbles, alors que Backefelder était sur la plate-forme, Juve avait obtenu que l’ascenseur descendît. Maintenant que Backefelder était parti, automatiquement l’appareil avait remonté. Rien ne pouvait plus le faire descendre.
— Pas commode, le problème, constatait Juve, et, d’autre part, si jamais Fantômas vient me visiter dans ma prison là-haut, comme il apercevra le trou creusé dans le mur, je peux être certain qu’il s’y penchera, qu’il m’apercevra et qu’il terminera mes aventures d’un fâcheux coup de revolver.
Quand Juve, soudain, eut une inspiration :
— Mais, je suis le dernier des imbéciles ! s’écria-t-il, je n’ai qu’à…
Sans plus attendre, il empoigna le câble qui soutenait l’ascenseur, et, lestement, sans s’occuper des écorchures qui lui meurtrissaient douloureusement les mains, il se hissait vers la chambre qu’il avait occupée précédemment. Si Juve avait pu, de l’ouverture creusée dans le mur, sauter sur le câble, il lui était, en revanche, absolument impossible de sauter du câble à cette ouverture. Il ne pouvait pas prendre d’élan, il n’aurait rien trouvé à quoi s’agripper.
Qu’allait donc faire Juve ?
Parvenu à la hauteur de la petite ouverture, le policier en déchirant autant qu’il le pouvait, son veston pour en former une corde, le jetait vers le trou creusé dans le mur. Il recommença plusieurs fois cette manœuvre, puis enfin, réussit à accrocher son habit à une anfractuosité de la muraille. Juve, alors, à petites saccades, lentement, tira sur son veston. Et c’était quelque chose de fort ingénieux vraiment que Juve avait imaginé là.
Le policier s’était brusquement rappelé qu’au moment où il creusait le trou qui devait lui permettre d’entrer en communication avec Backefelder, il avait à moitié ébranlé un énorme moellon.
— Si je peux renverser ce moellon sur l’ascenseur, s’était dit Juve, le poids de la pierre le fera peut-être baisser un peu.
Juve, longtemps, précautionneusement, tira sur son veston qui lui avait tout simplement servi de grappin. Or, il arrivait, grâce à une chance inouïe, à obtenir le résultat qu’il désirait. D’abord, il vit que la pierre bougeait un tout petit peu, puis elle se désencastra, puis elle oscilla véritablement. Juve tira un coup sec. La pierre tomba.
Malheureusement, Juve n’avait pas prévu que la pierre était beaucoup plus lourde qu’il ne le semblait au premier abord. Avec stupeur, il s’aperçut que, dégringolant de haut, elle rebondit plusieurs fois puis, défonçant la plate-forme, elle passa au travers pour aller se perdre dans les soubassements.
— Pas de veine, remarqua Juve, le poids de cette pierre aurait pu me sauver et maintenant je n’ai plus rien à jeter, absolument rien.
Il n’y avait pas, en effet, d’autre moellon que Juve pût précipiter. Force était donc au policier de redescendre sur la plate-forme de sa prison.
Juve, pourtant, au moment où il reprenait pied sur l’ascenseur, ne semblait nullement découragé.
— Renseignons-nous, murmura-t-il, il faut toujours se renseigner quand on le peut. Est-ce que la tour est encore très profonde sous la cabine ? murmurait-il, à quelle hauteur puis-je être arrêté ?
Il ne pouvait pas voir, car, sous lui, l’obscurité était complète.
— Servons-nous d’une sonde.
Juve ramassa les quelques boîtes de conserves vides qu’avait laissées Backefelder. L’une après l’autre, il les jeta dans le vide, et, quelques instants plus tard, Juve se redressait, l’air fort satisfait.
— À en juger par le temps que ces objets mettent à tomber, monologuait le policier, mon ascenseur est arrêté à moins de trois mètres du sol… hé, hé, je n’ai peut-être pas perdu mon temps.
Juve, alors, avec un parfait sang-froid, tira de sa poche son canif et, avec ce mince instrument, patiemment, lentement, entreprit de scier le câble qui soutenait l’appareil.
— Je ne risque pas grand-chose, se disait le policier, si mes calculs sont justes, je vais tomber de trois mètres, je ne me tuerai pas et, si mes calculs sont faux, je me tuerai, précisément, ce qui, ma foi, coupera court à tous mes ennuis.
Juve continua longuement de scier le câble. Il s’agissait d’un gros filin de chanvre qui résistait. Pourtant, il finit par l’entamer, par le scier à moitié et, soudain, au moment où il s’y attendait le moins, la corde céda, l’ascenseur dégringola dans le vide.
Cinq minutes plus tard, Juve était debout, sur la plate-forme à moitié brisée de l’appareil.
— Aucune égratignure, constatait-il, les jambes et les bras intacts. Décidément, j’ai de la veine.
Il s’en persuada bien davantage, lorsque, levant la tête, il aperçut, à moins de deux mètres au-dessus de lui, la bienheureuse petite fenêtre par laquelle Backefelder s’était enfui, par laquelle il allait s’enfuir, à son tour. S’aidant des pieds et des mains, il réussit, profitant des anfractuosités de la muraille, à se hisser jusqu’au niveau de l’ouverture.
La fenêtre donnait sur le parc, qu’elle surplombait un peu, Juve prit son élan une fois encore, sauta.
Il était libre.
Mais à peine Juve était-il libre, à peine s’apprêtait-il à s’enfuir loin du Château Noir, loin de la tombe que Fantômas avait voulu lui assigner, qu’il arrêta brusquement sa fuite, fronçant les sourcils :
— Et puis non, déclarait Juve, je ne ficherai pas le camp comme ça. À coup sûr Fantômas va venir, quand ça ne serait que pour savoir si j’ai glissé un papier sous la porte de ma prison. Je vais l’attendre. Je vais lui sauter à la gorge. Il faut en finir, coûte que coûte.