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— Lady Beltham, vous aviez, comme trésorière de l’Œuvre des Loyers, accumulé une petite fortune. Il se trouve que, pauvre à ce moment, sans ressource, traqué par la police, j’ai eu besoin de cet argent, je vous l’ai pris. Ou pour mieux dire, emprunté. Une de ces nécessités comme il s’en trouve dans la vie. M’en tiendrez-vous rigueur ?

— Je ne sais plus haïr, murmura lady Beltham, et c’est à peine si je me crois capable encore d’aimer. L’existence me pèse. Elle me devient de plus en plus insupportable. Je vous assure, Fantômas, que d’ici peu vous n’aurez plus à subir ni la tendresse de lady Beltham, ni ses regrets, ni ses reproches.

— Je vous en prie, fit le bandit, ne parlez pas ainsi. Il y aura encore de belles heures.

— En dépouillant l’Œuvre des Loyers, vous avez commis un acte odieux, lâche, inqualifiable. Ce sont des malheureux que vous avez jetés dans le désarroi le plus complet. Et par-dessus le marché, c’est moi que vous avez forcée de fuir, marquée de la plus ignominieuse des accusations.

— Vos pauvres ne sont que des apaches, et vous saviez que vous retrouveriez toujours un ami en moi. Pourquoi n’êtes-vous pas venue ?

— Parce que je ne le veux plus. Parce que je préfère tout, désormais, à la honte de revivre l’existence de la femme qui aime Fantômas. Écoutez. Il me restait encore quelques bijoux, quelques biens sauvés de la tempête. J’en ai tant bien que mal fait argent et j’ai remboursé la dette que j’avais contractée envers l’Œuvre des Loyers. Je puis désormais reparaître devant mes collaboratrices. Dites, Fantômas, consentez à ce que je redevienne M me Gauthier ?

— Vous êtes folle, dit le bandit. Vous ignorez donc que depuis longtemps Juve et Fandor vous ont démasquée. Ils n’attendent que votre retour pour s’emparer de vous.

— C’est vrai ? Que faire ? que devenir ?

— Je vous ai ouvert un asile. Vous y êtes venue, d’ailleurs. Pourquoi n’y resteriez-vous pas ?

— C’est un repaire de bandits. Ah, je souffre trop de mes fautes passées pour consentir à y demeurer plus longtemps. C’est pour cela que j’ai voulu vous voir ici, ce soir.

— Vous y reviendrez pourtant, lady Beltham. Quarante-huit heures encore. Il le faut. Je le veux. J’ai besoin de vous et mon associée ne m’abandonnera pas, j’aime à le croire.

Déjà subjuguée par la fascination de son formidable amant, lady Beltham courbait la tête :

— Il sera fait selon votre désir, Fantômas. Puissiez-vous dire vrai. Si seulement j’osais espérer que d’ici quelques jours une existence nouvelle commencera pour vous.

Le bandit se frottait les mains :

— Vous savez ce qui s’est passé Villa Saïd ?

— Je ne sais qu’une chose, le drame affreux la nuit dernière.

Fantômas l’interrompit brutalement :

— Dénouement en tous points utile et opportun.

— C’est vous, n’est-ce pas, qui avez martyrisé cet infortuné jeune homme ?

— Non, c’est une histoire compliquée, bizarre, originale même, qui s’est achevée par le vitriolage en règle de l’infortuné Sébastien auquel je n’en voulais d’ailleurs en aucune façon. J’étais venu pour voler de l’argent et des bijoux chez Rita d’Anrémont. Il y a des heures, lady Beltham, où Fantômas a faim comme tout le monde, où il faut qu’il se procure coûte que coûte de quoi subvenir à ses besoins. Je traversais une de ces périodes lorsque s’offrit à moi l’occasion de faire main basse sur les valeurs que contenait l’hôtel de Rita d’Anrémont. J’y pénètre. Je suis en train d’y opérer, paisiblement, lorsque soudain j’entends qu’on vient. Un bruit de voix dans les couloirs. J’éteins, j’écoute. Rita d’Anrémont pénètre dans la pièce où je me trouve et je la mets hors d’état de nuire. Rita d’Anrémont que je transporte aussitôt dans la cave, est désormais inoffensive. Et quand je remonte dans les appartements du premier étage, un spectacle inattendu se déroule devant moi. J’en suis le seul témoin. Un homme, un ouvrier, un certain François Bernard, qui s’était introduit dans la maison, venait de vitrioler l’amant de Rita d’Anrémont, il venait de couvrir de corrosif le visage de Sébastien. Ah, je me suis bien gardé d’intervenir. L’affaire s’arrangeait pour le mieux. Il n’y avait pas de doute, cet individu maladroit et brutal ne tarderait certainement pas à être pris et arrêté, il assumerait à la fois la responsabilité de son crime et celle du vol que je venais de commettre.

— Effroyable, murmura lady Beltham, cependant que Fantômas ajoutait :

— C’est-à-dire que tout s’est arrangé au mieux de mes intérêts. C’est ainsi, lady Beltham, qu’après cette première opération j’ai pu désintéresser dans une certaine mesure des créanciers fort exigeants. Savez-vous que les membres de la bande des Ténébreux se sont permis de me poser des conditions ? Il m’a bien fallu passer sous les fourches caudines. Bien entendu, si j’ai courbé le front, je ne tarderai pas à redresser la tête et alors, on verra ce qu’on verra.

— Ces criminels, cette bande des Ténébreux, reprit lady Beltham, que vous paraissez considérer comme des adversaires, des ennemis, vous vous en servez, cependant. Vous les utilisez, ce sont vos complices.

— Qu’en savez-vous ?

— Je le sais, reprit la grande dame, parce que j’ai vu, compris, deviné, lorsque je suis venue sur vos ordres là où vous savez. Et c’est beaucoup pour cela que je n’y suis pas restée.

— Femme susceptible, vraiment trop délicate. Vous n’étiez pas ainsi autrefois, lady Beltham. Serait-ce qu’au fur et à mesure que votre passion pour moi s’émousse, vos nerfs deviennent plus sensibles et votre conscience plus tatillonne.

— Ah, ne raillez pas, ne raillez pas. Si vous saviez ce que je souffre, vous seriez touché. Pour être criminel comme vous l’êtes, pour vivre comme vous vivez en dépit de tout ce que vous avez fait, il faut avoir un cœur de fauve.

— Assez. Je n’aime pas les questions, mais il me déplaît encore plus d’entendre des reproches.

Puis, se penchant affectueusement vers la grande dame, l’Insaisissable reprit plus doucement :

— Songez aussi, lady Beltham, songez que ce cœur de fauve, s’il est tel qu’il est, n’en est pas responsable. Songez que Fantômas est isolé dans la vie, dans le monde, dans l’humanité, et songez que moi aussi pourtant j’aime et que je souffre également. L’être auquel j’ai donné en même temps qu’à vous mon cœur s’écarte avec horreur de moi, perpétuellement, rigoureusement. Oui, je vous jure, lady Beltham, que si, fréquemment, mon cœur d’amant souffre de vos reproches, mon cœur de père saigne à l’idée de la répulsion que j’inspire à ma fille.

— Ah, si seulement tout ça pouvait finir. Si, comme je l’ai toujours rêvé, une vie calme, simple, tranquille pouvait être la nôtre.

— Ne désespérez pas lady Beltham. Ainsi que je vous l’ai toujours dit, seuls deux êtres au monde, par leur acharnement à nous poursuivre, s’opposent à notre bonheur. Juve et Fandor se sont jurés de me prendre, ils ont fait l’impossible. Jusqu’à présent ils n’ont pas réussi. Le jour où vous voudrez être ma collaboratrice effective, assidue, je sais tout un plan que nous pourrons mettre à exécution et qui nous livrera ces deux hommes pieds et poings liés. Juve, je le tuerai comme un chien. Fandor, quelque chose de sacré m’empêche de le traiter comme je le voudrais.

— Quoi donc ?

— J’aime deux êtres au monde, autant que je déteste Juve et Fandor. Vous, lady Beltham, et Hélène, ma fille.

L’automobile ralentissait. Le véhicule avait amené ses clients au milieu du Bois de Boulogne. La mécanicien se pencha vers l’intérieur de la limousine.

— Où faut-il aller ? demanda-t-il après avoir frappé au carreau.

— À Neuilly, répondit Fantômas.

Le véhicule repartit. Lady Beltham questionna, inquiète :

— À Neuilly ? fit-elle, vous voulez donc que je retourne ?

— Je veux, dit Fantômas, que vous obéissiez. En outre, je médite quelque chose et j’ai besoin de vous.

— Grâce. Épargnez-moi, ne me mêlez pas à un crime.

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