Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Mais il s’arrêta net. À ce moment précis, un appel strident venait de retentir, quelqu’un cria :

— Sébastien… Bernard !

C’était Rita d’Anrémont.

— Sébastien, dit-elle d’une voix plus douce, comment se fait-il ? Vous avez reçu cet homme, cet ouvrier à cette heure tardive ? Que vous veut-il ? Expliquez-moi. Je suis inquiète.

Mais Bernard coupa la parole à Rita.

— Julie Person, dit-il, et d’abord j’ai tout dit, assez d’équivoques.

— Tu as tout dit ? fit-elle, qu’as-tu pu dire ?

Le terrassier se dégageait :

— J’ai dit ce que j’ai dit, finissons-en.

— Rita, s’écriait Sébastien, cet homme a dit vrai, tout à l’heure, lorsqu’il m’a fait connaître son amour pour toi, ton amour pour lui ? Il a avoué m’avoir vitriolé par jalousie, mais ne l’as-tu pas toi-même encouragé à commettre ce crime ? Je t’en supplie, Rita, dis que ce n’est pas vrai, dis que tu as bien brûlé les traites que je t’avais remises. Dis que tout cela n’est pas.

La demi-mondaine ne disait rien. Elle regardait les deux adversaires en présence : Sébastien, malingre, à demi-mort de névrose et de fatigue, fou de désespoir, aveugle ; et, en face de lui, Bernard, robuste, puissant, épaules noueuses, bras musclés, farouche, le regard chargé de haine. Elle eut peur, soudain de se mettre du côté du plus faible et d’être alors la victime de celui qui, assurément, fou de jalousie, serait le plus fort.

— Et quand ça serait ? hurla-t-elle alors. Oui, quand ça serait ? Que peux-tu dire ? Que peux-tu donc penser ? Tu veux, pauvre misérable Sébastien, que nous mettions bas les masques. Soit. Écoute. Tu as voulu la vérité, la voici. T’aimer, moi ? Allons donc. Ça n’est pas une femme comme moi qui peut s’éprendre d’un être comme toi. Apprends-le donc, je n’en ai jamais voulu qu’à ton argent, et je ne me gêne pas pour le dire, car d’ici peu, tu ne seras guère en état de le répéter. Non, je ne t’aime pas. Je ne t’ai jamais aimé, car il en est un autre que j’aime. Dont je suis folle, qui occupe toute mon âme, tout mon cœur, toute ma pensée, c’est lui, c’est Bernard, mon premier, mon seul, mon unique amour. Bernard, finissons-en.

La misérable elle-même prit dans la poche de l’ouvrier le couteau qui s’y trouvait. Elle ouvrit l’arme, elle la plaça de force dans la main du terrassier :

— Va donc, va donc, murmura-t-elle, anxieuse, il faut en finir. Nous avons été trop loin. Tant pis, advienne que pourra.

Elle se recula, poussa le terrassier par les épaules dans la direction de Sébastien, effondré dans son fauteuil.

— Va donc, ordonnait-elle, frappe.

Mais l’ouvrier n’obéissait pas. Il demeurait immobile, silencieux, le sourcil froncé, le regard hargneux, la lèvre mauvaise.

Soudain Bernard, qui était demeuré atterré, poussa un rugissement sauvage. Ah cette fois, l’homme sortit de sa stupeur, s’arrachant à son immobilité. Son bras se leva, terrible :

— Bravo Bernard, dit Rita, frappe, tue-le.

Mais elle s’interrompit. Bernard avait crié :

— Misérable.

C’était à Rita d’Anrémont qu’il s’adressait, c’était vers elle qu’il tournait son arme meurtrière. Et plus vif que la pensée, plus rapide que l’éclair, il plongea le couteau jusqu’à la garde, dans la poitrine de Rita d’Anrémont.

Un flot de sang jaillit de la blessure.

— Grâce, hurla Rita d’Anrémont qui, dans un effort surhumain, se redressa, arracha l’arme et, de ses deux mains, comprimait la plaie béante. Elle fit deux pas, puis chancela, s’abattit. Sa tête, lourdement, vint tomber sur les genoux de Sébastien.

L’aveugle avait entendu un dernier appel :

— Au secours, Sébastien, murmuraient les lèvres déjà presque inertes de sa maîtresse.

Et dès lors, ivre de fureur à son tour, l’infirme se précipita au hasard devant lui, fonçant dans les ténèbres, hurlant comme une bête blessée, hurlant lui aussi à la mort. Après avoir trébuché dans le cadavre de la demi-mondaine, Sébastien, absolument fou, se heurta au terrassier. Celui-ci, à genoux sur le tapis de la pièce, demeurait hagard, hypnotisé, comprenant à peine ce qu’il venait de faire. Mais soudain le robuste ouvrier reçut un choc en pleine poitrine, cependant qu’il tombait en arrière.

Sébastien, de tout son poids, était tombé sur le terrassier, et ses mains nerveuses et fines se serraient autour du cou de l’homme, l’emprisonnèrent comme dans un étau. L’infortuné jeune homme n’avait rien d’un athlète, mais la rage et le désespoir centuplaient son énergie. Il était fou, incapable de se rendre compte de ce qu’il faisait. Un homme qu’il ne connaissait pas venait, tout à coup, de lui apprendre qu’il était épris de sa maîtresse à lui, il venait lui raconter brutalement, lâchement, que cette femme était indigne de cet amour, il le prouvait. Puis cet homme assassinait l’infortunée Rita.

Et, cependant que le terrassier se débattait, gémissait, faisait des bonds affreux, l’étreinte de Sébastien ne se desserrait pas. L’homme s’était relevé, essayant de se secouer, de faire lâcher prise aux mains nerveuses qui l’étranglaient. En vain. Sébastien ne lâchait pas. Ses doigts s’incrustaient dans la chair, crevaient la peau, pénétraient dans la gorge. Brusquement, le corps de Bernard retomba lourdement inerte. La tête du misérable résonna sur le plancher.

— Il est mort, murmura l’aveugle, Rita, où es-tu ?

Horreur, le corps était presque froid. Rita était morte, bien morte.

— Au secours, au secours ! hurla Sébastien en proie au délire. Au secours !

Il se précipita sans savoir, au hasard de la pièce, se heurtant à tous les murs. Soudain, sa main tremblante rencontra une poignée que, machinalement, il fit tourner, c’était l’issue. Une bouffée d’air froid le frappa au visage. Il aspira profondément, emplissant ses poumons, et se précipita en avant sur ce qu’il imaginait être le palier de la maison dont les moindres détails lui étaient connus. Un obstacle, soudain, l’arrêta dans sa course. Sébastien se heurta à une sorte de barre qui lui venait à mi-corps et, entraîné par son élan, il bascula, la tête en avant, par-dessus cette barre. Le malheureux avait pris la fenêtre pour la porte, tombant par dessus le balcon. Il s’effondra sur les dalles du perron et se brisa le crâne en arrivant au sol.

20 – FACE À FACE

Dans les jardins du Trocadéro, une ombre se profilait, souple et silencieuse. Cette ombre en suivait une autre.

Ils se rejoignirent. Et la femme aussitôt, une femme grande et svelte, à l’allure élégante, s’adressa à son mystérieux compagnon :

— Vous êtes venu. Je vous vois enfin. Dieu soit loué. Mais pourquoi m’avoir fait attendre ainsi ?

— Pardonnez-moi, lady Beltham, je commence à respirer. C’est après avoir triomphé des plus terribles dangers.

— Fantômas, murmura lady Beltham, je comprends ce que vous voulez dire. Les crimes que vous avez médités se sont réalisés et la liste de vos forfaits s’allonge encore.

— Venez, ne restons pas là. Ce jardin, quoique désert, peut être surveillé et par suite, il est redoutable aussi bien pour moi que pour vous.

— Hélas, murmura la grande dame, il est vrai que désormais je dois être poursuivie, traquée, chassée, par tout le monde. C’est vous, qui m’avez encore replongée dans cette affreuse situation. Pourquoi l’avez-vous fait, Fantômas ?

— Je suis tout prêt à vous fournir les explications qui vous paraissent nécessaires, déclara le bandit. Mais auparavant, quittons ces lieux.

Fantômas, précédant lady Beltham, descendit jusqu’au bord du quai de Passy. Une automobile stationnait là, superbe voiture aux phares étincelants. Fantômas, galamment, tendit la main à lady Beltham, la fit monter dans le véhicule, et, donnant des instructions au mécanicien, il vint ensuite s’asseoir à l’intérieur de la voiture, à côté de sa maîtresse. L’automobile démarra lentement, avec un doux ronronnement.

— Oui, dit lady Beltham, Fantômas, pourquoi êtes-vous intervenu, vous êtes-vous occupé de moi au moment où, sous l’état-civil de M me Gauthier, je commençais à me réhabiliter ?

45
{"b":"176529","o":1}