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— Venez, madame, il faut que nous causions.

Au nez des trois domestiques, Juve referma les portes derrière lui. Il était seul avec M me Marquet-Monnier :

— D’abord, commençait le policier, rassurez-vous, je vous en prie, dans tout ce qui paraît mystérieux croyez bien que le mystère n’est en réalité qu’apparent. Tout est toujours très simple au contraire.

— Très simple, monsieur ? Dieu vous entende. Mais enfin, l’homme qui marchait sur l’eau ?

— L’homme qui marchait sur l’eau, madame, marchait avec des échasses et c’était votre mari.

— Mon mari ?

— Écoutez, rien ne sert de vouloir nier l’évidence. L’homme qui marchait sur l’eau était votre mari, et ce ne pouvait être que lui. Il fuyait.

— Il fuyait ? de quel terme vous servez-vous ? il fuyait ? devant qui ? pourquoi ?

— Pas si vite. Vous songez bien, madame, à ce qui s’est passé, n’est-ce pas ? Votre mari est entré ici par cette porte, cette unique porte. Quand nous l’avons franchie nous-mêmes, nous n’avons plus trouvé personne. En revanche, cette fenêtre était ouverte. Cette fenêtre donne sur la rivière et sur la rivière nous avons vu, vous avez vu un homme qui s’en allait en marchant sur l’eau. Comment voulez-vous que ce ne soit pas votre mari ?

— Peut-être, monsieur. Admettons que c’était mon mari, mais pour qu’il eût agi ainsi, il faudrait évidemment un motif. Rappelez-vous les faits, vous aussi : Nathaniel est passé dans ce cabinet pour serrer dans ce coffre-fort les traites que vous veniez de lui restituer. Pourquoi voulez-vous qu’à ce moment il se soit, comme vous dites, enfui par la fenêtre ?

— Je n’en suis pas encore à vous donner l’explication du départ de M. Marquet-Monnier, je constate les faits. Voilà tout. D’abord, il conviendrait de savoir si M. Nathaniel Marquet-Monnier est parti avant ou après avoir serré les traites dans son coffre-fort. Vous avez les clés, sans doute, madame ?

— D’ordinaire je ne les ai pas, mais tout à l’heure, pendant que vous n’étiez pas là, j’ai retrouvé le trousseau de Nathaniel traînant sur le sol. Ouvrez ce coffre-fort vous-même, monsieur, si cela peut vous aider.

Juve n’avait pas attendu la permission. S’emparant du trousseau de clés que lui tendait M me Marquet-Monnier, il s’était approché du coffre-fort. Il fit jouer les rouages des serrures compliquées puis appela M me Marquet-Monnier :

— Voulez-vous venir à côté de moi, madame ? je désire que vous m’assistiez dans la perquisition à laquelle je vais procéder.

Juve ouvrit le battant aux triples épaisseurs de tôle. À peine l’eut-il ouvert que M me Marquet-Monnier et lui poussèrent un cri de stupeur. Dans l’énorme casier du bas, accroupi en une position incommode, un homme était là, lié, bâillonné : Nathaniel Marquet-Monnier.

***

— Enfin, demandait Juve, que vous est-il donc arrivé ?

— C’est abominable, dit le banquier, tremblant. Au moment précis où j’entrais dans la pièce, vous laissant avec ma femme au salon, au moment où je me retournais pour fermer la porte, j’ai entendu un petit bruit. Surpris, j’ai posé ma lampe sur le bureau et je me suis dirigé vers la fenêtre qui était entr’ouverte, et j’ai regardé. Naturellement, monsieur Juve, j’ai cru m’être trompé. J’étais venu pour serrer ces traites, je continuais à vouloir les mettre en sûreté, vous causiez avec ma femme, je vous entendais. Je suis allé vers mon coffre-fort, je l’ai ouvert.

— Et alors ?

— Alors, tandis que j’étais penché vers le casier du bas, j’ai entendu quelque chose comme un glissement très léger. J’ai voulu me retourner. Trop tard. Un bâillon m’avait été jeté sur la bouche, des cordes me paralysaient les bras et les jambes.

— Mais qui vous a attaqué ?

— Un homme vêtu de noir, portant un maillot collant, un homme dont le visage était invisible à cause d’une longue cagoule noire : Fantômas.

M me Marquet-Monnier laissa échapper un gémissement.

— Continuez, dit le policier.

— L’homme me tenait. J’étais d’ailleurs si surpris, que je n’ai guère pu faire la moindre résistance. Il m’a pris par les épaules, m’a enfourné de force dans le coffre-fort. Le bruit que vous avez entendu était évidemment causé par sa précipitation à rabattre la porte. L’homme qui a fui en marchant sur l’eau, c’était le bandit.

— Et les traites ?

— Il les a volées.

Juve, pendant toute la nuit, causa avec Nathaniel Marquet-Monnier. Le policier enquêta minutieusement dans la villa même où il se convainquit que, non seulement les traites avaient été volées, mais que Fantômas avait encore fait main basse sur de nombreuses valeurs enfermées dans le coffre-fort. Il enquêta encore à Valmondois, mais il ne retrouva nulle trace du passage de l’insaisissable criminel.

Au petit jour, Juve reprit le train dans la direction de Paris. L’aube se dessinait, rougeâtre. Mais tandis que Juve fixait des yeux les nuages flamboyants, il croyait voir se profiler sur eux, dominant tout, commandant a tous, impérieuse et maléfique, une silhouette noire, la silhouette d’un homme au visage caché derrière une cagoule noire.

17 – FRÈRES ENNEMIS

Les équipages venant des quartiers élégants, de l’Étoile, du Parc Monceau affluaient autour des Acacias. C’étaient des automobiles somptueuses, quelques victorias aux modèles déjà surannés mais bien attelées de chevaux irréprochables, par des cochers tirés à quatre épingles et dont la mise, d’une élégance vieillotte, contrastait avec la livrée modern-style des mécaniciens.

Sous les ombrages passaient des cavaliers, cependant que les hommes lorgnaient du coin de l’œil les formes des femmes moulées dans leur amazone. Les piétons étaient plus nombreux et c’est à peine, par moments, si l’on pouvait circuler sans encombre dans ces Acacias où des groupes se formaient, animés perpétuellement, en conversation joyeuse, alors que d’autres, réduits à deux : l’homme et la femme, échangeaient des propos, sans nul doute très tendres.

Un homme qui paraissait dépaysé au milieu de tous ces oisifs, c’était bien le policier Juve.

À onze heures précises, avec l’exactitude d’un être actif et qui a de nombreuses occupations, l’inspecteur de la Sûreté était arrivé à l’entrée du Bois, sortant modestement de la station de métro « Dauphine ». De son grand pas souple et cadencé, Juve était allé jusqu’aux Acacias et dès lors, arpentant l’avenue avec une impatience non dissimulée, il fouilla du regard les groupes des passants, interrogeait de l’œil le contenu des voitures. Visiblement, Juve attendait quelqu’un et ce quelqu’un était en retard.

Le policier ne négligeait pas sa surveillance et assurément, si la personne qui l’attendait passait à proximité de lui, il ne manquerait pas de la voir. Néanmoins, tout en prêtant une minutieuse attention à ce qui se passait autour de lui, le policier ruminait de profondes pensées.

Depuis quelques jours les événements s’étaient déroulés autour de lui, tragiques, nombreux, presque sans interruption. Ils affectaient tous un même caractère, celui du mystérieux, de l’incompréhensible.

Tandis que le policier arpentait l’avenue des Acacias, quelqu’un faisait le même chemin dans le sens inverse.

Les deux hommes n’allaient pas tarder à se rencontrer. Le retardataire n’était autre que Nathaniel Marquet-Monnier. À peine remis de son émotion, le banquier de la rue Laffitte, pris dans l’engrenage des affaires, avait dû retourner au bureau. Il avait éprouvé en arrivant à Paris une extrême satisfaction en s’apercevant que nul dans son entourage n’était au courant de ce qui s’était passé. Il avait supplié Juve de ne rien faire savoir à la Sûreté qui, selon lui, commet très souvent des indiscrétions auprès des journalistes. Il avait très suffisamment confiance dans le policier et comptait que celui-ci éclaircirait le mystère, retrouverait les billets signés par son frère sans que la police eût à intervenir officiellement.

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