En fait, il le savait…
Et si quelqu’un s’était avisé de surveiller les abords de la Seine, à la hauteur du Pont-Neuf, on aurait remarqué qu’à maintes reprises, notamment à la tombée de la nuit, une barque montée de deux pêcheurs venait s’amarrer à un anneau du quai de la rive gauche.
Les pêcheurs jetaient leur ligne patiemment, attendaient un poisson qui ne se faisait jamais prendre, et, tandis qu’ils avaient l’air de se livrer à ce sport pacifique, en réalité, avec une sorte de herse, ils raclaient le fond de la Seine.
Les branches arrondies de leur crampon finissaient par rencontrer l’anneau d’une solide caisse qu’ils attiraient à eux.
Or, c’était dans cette caisse que venait aboutir le tuyau communiquant avec la cave de la Monnaie, dans lequel Fantômas passait des heures à introduire des louis d’or deux par deux !
Fantômas, ce jour-là, agissait avec une fébrile activité.
Il avait découvert non plus des pièces de monnaie qui ne seraient pas mises en circulation avant longtemps, mais tout un lot de louis qui allaient, le mois prochain, être répandus dans le public.
Le bandit avait été rendu sage par l’alerte donnée dans sa bande par la saisie des louis n’ayant pas cours dont il avait été involontairement cause.
Mais, cette fois, il se réjouissait, car une fois les pièces qu’il dérobait mises en circulation, nul ne pourrait reprocher aux porteurs de les posséder sur eux !
Ce travail, toutefois, auquel se livrait le bandit, était fatigant. De grosses gouttes de sueur perlaient à son front, mais Fantômas était si absorbé qu’il dédaignait la fatigue et ne tenait point compte du temps qui passait.
Lui-même l’ignorait, et il était si attentif qu’il n’entendit point un léger bruit se produire, alors qu’il achevait de vider la grande cuve de verre dans laquelle il avait puisé sans discontinuer depuis son arrivée.
Un léger bruit, en effet, s’était produit, et il était dû à une chose singulière…
Sur le sol s’agitait une silhouette humaine, un corps d’homme qui paraissait surgir des profondeurs de la terre battue à cet endroit, où une croûte de ciment léger avait craqué.
Cet homme était d’une saleté sordide, couvert de gravats, de sable et de boue.
Ce personnage risquait tout d’abord le haut de la tête seulement au-dessus de la terre dont il venait d’émerger. Il regarda autour de lui. Tout d’abord, il ne vit rien, mais il entendit parfaitement le bruit cristallin du métal que maniait Fantômas avec tant de désinvolture.
Le visage de cet homme prit une expression de joie satisfaite, et, dès lors, au front et aux yeux succéda le reste du visage.
Quiconque aurait vu à ce moment cette apparition aurait certainement été terrifié !
On aurait dit le corps d’un homme enterré, surgissant de tombe, et venant demander aux vivants compte de ce qu’ils faisaient.
L’extraordinaire enseveli semblait peu disposé à se dépêcher à sortir ainsi de la terre.
Toutefois, ses yeux s’étant accoutumés à l’obscurité, il aperçut à l’autre extrémité de la cave le sinistre bandit en train de commettre son vol.
— Cette fois, songea-t-il presque à mi-voix, je crois bien que je le tiens !
Lentement, avec des précautions extraordinaires pour ne point faire de bruit et s’efforçant de ne point attirer l’attention, l’homme surgissait peu à peu du sol.
Comment était-il arrivé là ?
Et quel était l’extraordinaire phénomène qui faisait que la terre de la cave vomissait pour ainsi dire un être vivant ?
Si les louis lancés par Fantômas dans le tuyau de fer s’en allaient jusqu’à la Seine, l’homme qui désormais apparaissait dans la cave où agissait le bandit, avait en réalité pris un semblable chemin et fait le trajet en sens inverse.
À quelques heures de là, au cours de la nuit précédente, cet homme, qui rôdait sur les bords de la Seine, avait soudainement plongé dans les eaux noires du fleuve, à l’entrée de la bouche d’un égout, et si des gens l’avaient vu disparaître, ils auraient pu croire à une noyade, à un suicide, car l’homme n’avait point reparu à la surface des eaux.
Excellent nageur et se guidant au sein de l’onde glauque avec une lampe électrique d’une puissance extrême, cet homme s’était engagé dans l’égout. Il avait remonté juste au moment où, la voûte étant plus élevée que le niveau de l’eau, il avait pu sortir la tête et respirer.
L’homme avait empli ses poumons de l’atmosphère âcre et fétide qui régnait dans l’égout et n’avait point semblé y prêter la moindre attention tant le but qu’il poursuivait paraissait lui tenir au cœur.
Au fur et à mesure qu’il s’avançait, le niveau de l’eau baissait dans l’égout.
Et, dès lors, l’homme finissait par marcher à pied sec dans le cloaque immonde.
Ce n’était certes pas la première fois qu’il y venait, et il semblait fort bien connaître ce chemin, car à un moment donné, sans la moindre hésitation, à un carrefour où deux égouts venaient se joindre au premier, il s’engagea dans celui de gauche, non sans avoir pris au préalable, à côté d’un mur, une pioche et une marteau qui se trouvaient là.
Sans doute les avait-il apportés préalablement dans ce lieu ?
L’homme, désormais, s’engageait dans l’égout de gauche dont le diamètre était juste suffisant pour livrer passage à son corps et à ses robustes épaules.
Il s’enfonçait alors dans le trou sombre, se glissant péniblement, manquant d’air à chaque instant, pris à la gorge par les odeurs méphitiques qui s’exhalaient en maints endroits.
À deux ou trois reprises, il était obligé de livrer de véritables batailles à d’énormes rats d’égout qui, loin de fuir à son approche, semblaient vouloir s’opposer à sa marche en avant.
La pioche et le marteau faisaient leur œuvre et, sur son chemin, l’homme laissait quelques cadavres de ces bêtes répugnantes.
À un moment donné, l’homme s’arrêta, se coucha sur le dos, et, après avoir pris quelques minutes de repos car il était exténué, avec son marteau d’abord et sa pioche ensuite, il attaqua la voûte de l’égout !
Les coups qu’il portait à la muraille se répercutaient sourdement au lointain.
Pour ménager sa lumière sans doute, l’homme travaillait dans l’obscurité. À deux ou trois reprises cependant, il allumait sa lampe électrique, consultait un plan qu’il sortait de sa poche.
— Je suis bien au-dessous de la cave, reconnaissait-il, je dois continuer à creuser !
Il creusait toujours.
L’excavation s’agrandissait. À un moment donné, l’extraordinaire travailleur poussa un cri d’épouvante.
Un jet d’eau puissant venait de jaillir et menaçait de remplir l’égout, d’étouffer l’homme qui s’y trouvait.
Celui-ci, dans un malencontreux coup de pioche, avait en effet perforé une conduite d’eau…
Il se rendit compte que l’eau montait toujours – il en avait désormais jusqu’à la ceinture – et qu’elle ne tarderait pas à arriver jusqu’à ses épaules, car l’égout dans lequel elle tombait était si étroit qu’elle menaçait de le remplir complètement. Le premier instant de terreur passé cependant, l’homme reprit courage.
— Il faut que je creuse, se disait-il, que je creuse suffisamment pour arriver à réserver un orifice au-dessus du niveau de l’endroit où j’ai crevé le tuyau d’eau.
Et c’était désormais une lutte de rapidité entre la redoutable cascade et le travail de perforation auquel se livrait cet audacieux individu.
Enfin il atteignit son but !
Dès lors, constatant qu’il était sauf, il continua malgré la fatigue. Les moellons s’effritaient, les blocs de pierre tombaient autour de lui, puis ce fut, au-dessus de sa tête, une chute de terre meuble et de sable fin qui faillit l’aveugler et l’étouffer à la fois.
Mais, en dépit de ces difficultés, l’homme ne perdait pas courage, bien au contraire. Assurément, il devait se rendre compte que plus il creusait, plus il approchait du but qu’il poursuivait si ardemment.