Enfin, il parvint à rencontrer au contact de sa pioche une sorte de croûte de béton qui rendit un son creux lorsqu’il l’eut attaquée.
Cette fois, l’homme s’arrêta, et, accroupi sur les détritus qu’il venait d’extraire du sol, il souffla longuement.
— Je n’ai plus, songeait-il, qu’à briser cette croûte d’asphalte, et je suis dans la place.
Une heure après, l’homme faisait comme il l’avait dit, et c’était à ce moment que sa tête surgissait du sol de la cave, que ses yeux, étant accoutumés à l’obscurité, apercevaient Fantômas en train de dérober des milliers de louis d’or…
L’homme avait fini par s’extraire complètement du sol et désormais il se leva, s’avança lentement, longeait les murs et, de ses vêtements déchirés, souillés de boue, absolument informes, il extrayait un revolver, l’arme était chargée.
— Point de quartier ! pensa-t-il. Six balles d’abord dans la peau de Fantômas, puis ensuite on verra !…
Mais il n’avait pas le temps de réaliser son projet, il venait de faire un pas en avant, lorsqu’un cri terrible s’échappa de sa poitrine, cependant qu’une effroyable douleur manquait de le faire défaillir.
Fantômas avait entendu le cri poussé dans le silence de la cave…
En l’espace d’une seconde, le bandit avait deviné qu’on le traquait, qu’on était à ses trousses. Plus vif que l’éclair, il bondit en avant, gagna la porte par laquelle il était entré et s’en alla, la fermant à double tour.
L’homme cependant se mordait les lèvres, serrait les poings pour s’empêcher de crier, encore que la douleur qu’il éprouvât fût presque insurmontable. Il avait l’impression qu’il était immobilisé sur le sol, qu’au moindre mouvement qu’il faisait quelque chose serrait sa cheville, lui déchirait la jambe…
L’homme enfin, parvenant à surmonter sa souffrance, s’éclaira de sa lampe et regarda à ses pieds.
Un nouveau cri d’horreur s’échappa de sa poitrine ; il était pris dans un piège dont le ressort s’était refermé sur lui.
— Eh bien, reconnut-il après son examen, j’aime encore mieux cela ! On se tire d’un piège lorsqu’on a eu la maladresse d’y tomber, mais si, au lieu de percer le sous-sol de cette cave à l’endroit où je l’ai percé, je m’étais avisé de creuser sous ce piège, c’est ma gorge qui désormais serait écrasée entre ses deux mâchoires de fer, et alors…
L’homme, qui était devenu blafard, tant la douleur qu’il éprouvait était violente, parvenait à s’accroupir au prix de mille difficultés, et dès lors, de ses deux mains, nerveusement, il s’efforçât d’écarter les terribles ferrures du piège qui l’immobilisaient là où il venait d’être pris.
— Fantômas, disait-il, s’est aperçu de quelque chose, ce qui ne présage rien de bon ! Tant mieux ! Je ne redoute personne d’autre ! Et, s’il revient, ce qui est certain, eh bien alors ce sera grave !
L’homme, cependant, s’assurait qu’il avait toujours son revolver dans sa poche.
— J’ai six bonnes balles dans un browning… même lorsqu’on est pris au piège, on se défend !
— Avez-vous entendu ?
— Parbleu ! c’est la sonnerie !
Le chef de la surveillance, qui somnolait dans un petit bureau, au deuxième étage de la Monnaie, sursautait. Le tintement grêle d’un grelot d’alarme se faisait entendre en effet.
Le chef de surveillance s’adressait à un gardien de l’hôtel des Monnaies, qui était assis à côté de lui :
— Brigadier ! s’écria-t-il, cela signifie qu’il y a quelqu’un de pincé dans le piège que nous avons disposé dans la cave. Il faut aller voir sans plus tarder !…
Le brigadier devint tout pâle.
— Dites-donc, chef ! Il est sept heures du soir et nous ne sommes plus que tous les deux…
— Eh bien, brigadier ?
— Eh bien, chef, n’avez-vous pas peur ?
— Peur de quoi ?
Le chef de surveillance posait la question, mais son accent troublé démontrait nettement qu’il partageait les appréhensions de son subordonné.
Néanmoins, il ne voulait rien en laisser paraître.
— Qu’est-ce que cela peut faire ! dit-il. Nous n’avons rien à risquer. Cette sonnerie nous prévient que le piège que l’on a posé dans la cave vient de se refermer et que, par conséquent, le coupable que l’on recherche depuis si longtemps a enfin fini par se laisser prendre…
— Chef, articula le brigadier, je ne peux pas croire cela ! Le piège que l’on a disposé est un moyen grossier, et comme, dans la maison, tout le monde est au courant de son existence, le voleur a dû certainement savoir ce que nous avons préparé et a pris ses dispositions pour éviter de tomber dans le traquenard que nous lui avons tendu… Car, ajoutait le brigadier, je ne puis admettre que le mystérieux bandit qui circule si librement dans l’hôtel des Monnaies ne soit pas quelqu’un de la maison très au courant de la disposition des lieux, quelqu’un qui peut-être nous coudoie tous les jours, que nous connaissons aussi bien qu’il nous connaît et que nous voyons comme je vous vois !…
Le chef de la surveillance paraissait très ébranlé par les propos que lui tenait le gardien.
— Mais alors, demanda-t-il, comment se fait-il que la sonnette ait été agitée, que le grelot tinte toujours ?
— C’est bien simple, articula le brigadier. On veut nous attirer dans ce sous-sol… L’homme a fait se refermer le piège et agir la sonnette pour nous surprendre, nous attaquer dans un véritable guet-apens. Méfiez-vous !… Monsieur le chef, méfions-nous !…
À ce moment, un coup violent était frappé à la porte de la pièce qu’occupaient les deux hommes.
— Mon Dieu ! dit le chef en sursautant, qu’est-ce qu’il y a encore ? Que veut-on ?
Et il devenait livide.
Le brigadier se précipitait pour ouvrir, mais quelqu’un, qui n’avait pas attendu l’autorisation d’entrer, se présentait devant les deux hommes.
Ceux-ci demeurèrent stupéfaits, abasourdis.
Ils avaient en face d’eux un personnage modestement vêtu de noir, au col relevé, au chapeau de feutre mou abaissé sur le nez.
Il n’enleva pas son chapeau, il ne salua même pas. Il demeurait immobile devant le chef et le brigadier et, à brûle-pourpoint, interrogea :
— Léon Drapier n’est donc pas avec vous ?
Léon Drapier !…
Cet homme parlait de M. le directeur avec une déconcertante familiarité.
Le chef de la surveillance était si troublé qu’il ne trouvait rien à rétorquer, mais le brigadier articula :
— M. le directeur quitte le bureau généralement entre cinq heures et demie et six heures ; or, il est six heures passées…
L’homme reprit sèchement :
— Léon Drapier n’a pas quitté la Monnaie ce soir !
— Qu’en savez-vous ? fit le chef de la surveillance.
L’homme, plus sèchement encore, répliqua :
— Je le sais, cela suffit ! Mais je vous répète ma question : savez-vous ce qu’il est devenu ?
— Ah ça ! commença le brigadier, mais d’abord qui êtes-vous ? À qui avons-nous l’honneur de parler, et comment vous êtes-vous introduit vous-même dans l’hôtel des Monnaies ?
Un léger sourire erra sur les lèvres du personnage, qui murmura entre ses dents :
— Je suis comme chez moi à la Monnaie, je m’appelle M. Mix !
Ce nom ne disait rien au brigadier, mais le chef de la surveillance salua légèrement en l’entendant prononcer ce nom.
— Ah ! pardon ! dit-il, j’ignorais… Je ne vous connaissais pas… ou plutôt je ne vous reconnaissais pas, monsieur, car lorsque je vous ai vu dans le cabinet de M. le directeur, vous aviez, il me semble, une grande barbe blonde…
M. Mix, car c’était bien lui, sourit encore :
— Alors, c’était un vendredi !… Généralement, le vendredi, je mets ma barbe blonde. Je réserve ma barbe blanche pour les dimanches, les jours où l’on s’habille, car c’est plus salissant… Il m’arrive parfois d’être borgne aussi et d’avoir un grand bandeau sur l’œil… Quelquefois, je mendie armé de béquilles, mais c’est irrégulier… entre onze heures et midi toutefois. Enfin, monsieur, je suis détective et, par ce fait, cela n’a rien d’étonnant à ce que vous ne m’ayez pas reconnu !