Sans faire le moindre bruit, car assurément il avait des semelles feutrées, il se glissa le long d’un mur obscur, se confondant presque avec la cloison.
Puis, à un moment donné, comme une sorte de monte-charge parvenait à la hauteur d’une ouverture pratiquée dans ce mur, l’homme, avec une extraordinaire agilité, se lança dans ce monte-charge qui ralentissant à peine sa marche, continuait à s’élever au sommet de l’immeuble.
Le mystérieux personnage, au moment où il allait arriver dans les combles de l’hôtel des Monnaies, tout en restant accroupi dans le monte-charge, sortait un revolver de sa poche et l’armait.
— On ne sait jamais qui l’on peut trouver ! grommelait-il sourdement. Malheur à quiconque voudrait m’empêcher de passer !
L’homme, toutefois, ne trouvait aucun obstacle.
Le monte-charge, qu’il avait obligé à monter jusqu’au sommet en actionnant la corde qui le commandait, venait de s’arrêter à l’entrée d’un grand grenier absolument vide.
L’homme sauta prestement hors de son ascenseur improvisé, renvoya le monte-charge à son point de départ, s’élança dans le grenier et, dès lors, inspecta le local dans lequel il se trouvait.
C’était une grande salle vide qui ne présentait rien de particulier, si ce n’était toutefois une petite porte encastrée dans la charpente du toit.
L’homme qui venait de s’introduire dans cette salle sortit de sa poche un trousseau de clés ; il en choisit une qui lui permit d’ouvrir la serrure de cette porte dissimulée sans la moindre difficulté.
Assurément, ce n’était pas première fois qu’il passait par ce chemin !
La porte s’entrebâilla ; elle donnait accès au sommet d’une sorte de petit escalier, excessivement étroit, et qui pivotait comme une vrille autour d’un mât central.
L’homme alors referma la porte prudemment, puis se mit à descendre cet escalier. Il descendit la valeur de deux cent seize marches.
Au fur et à mesure qu’il s’enfonçait, l’obscurité se faisait de plus en plus épaisse. Lorsqu’il parvint au bas de l’escalier, il se heurta encore à une porte qu’il ouvrait au moyen d’une des clés de son trousseau…
Le personnage, dès lors, frissonnant machinalement, releva le col de son vêtement. La température, en effet, était singulièrement fraîche.
L’homme prêta l’oreille ; il n’entendit aucun bruit, sauf celui du pêne qui grinça dans la serrure, lorsqu’il referma la porte sur lui.
Dès lors, le mystérieux individu, sortant de sa poche une petite lampe électrique, appuya sur le commutateur et la lampe s’illumina, éclairant autour d’elle la salle dans laquelle se trouvait l’étrange visiteur.
C’était une cave immense et profonde.
De solides et robustes piliers de pierre en soutenaient les voûtes arrondies comme la crypte de quelque église romane.
Le rayon lumineux de la lampe électrique se reflétait toutefois sur d’énormes blocs de matière jaune et brillante, qui étaient amoncelés dans cette cave. Lorsqu’on considérait ces blocs aux reflets éblouissants, on se rendait compté qu’il s’agissait là, non point de blocs compacts, mais d’innombrables pièces d’or disposées en pile les unes au-dessus des autres et maintenues dans des sortes de cuves en verre !
Cette cave était une des caves de la Monnaie, elle contenait une partie du trésor de l’atelier de fabrication.
Quant au personnage qui venait de s’introduire dans ce local aux collections extraordinaires et précieuses, c’était un être dont la réputation était mondiale, dont la cruauté n’avait d’égale que celle des bêtes féroces, dont l’audace n’avait été approchée par personne.
Le personnage vêtu de noir, armé d’un revolver et porteur d’une lampe électrique, qui s’était adroitement introduit dans ce merveilleux sous-sol, n’était autre que Fantômas !…
XVII
Situation compromettante
Ainsi donc, les suppositions les plus extraordinaires étaient fondées ! Ainsi donc, les pressentiments les plus redoutables étaient justifiés !
Fantômas, comme certains l’avaient craint, était réellement dans la place, et c’était évidemment lui qui dérobait dans les sous-sols de la Monnaie l’or dont la disparition stupéfiait tellement le personnel du contrôle et de la trésorerie.
Il avait eu beau martyriser cruellement les deux apaches auxquels il avait donné de cet or en paiement pour les empêcher d’avouer l’origine de ces louis qu’ils possédaient, on avait réussi, sans grande difficulté, à se rendre compte que cet or provenait de la Monnaie et, comme cela coïncidait avec des disparitions de fonds, la filière était établie.
Toutefois, il restait à trouver le coupable, l’auteur de ces vols audacieux, et nul n’y parvenait.
Fantômas, à maintes reprises, s’était introduit dans l’hôtel des Monnaies, si rigoureusement gardé cependant, et avait réussi à déjouer toutes les surveillances.
Or, ce jour, le lendemain même de l’effroyable mutilation qu’il avait fait subir à la Puce et à Mon-Gnasse, Fantômas avait pénétré dans l’intérieur de l’hôtel en se mêlant tout simplement à la foule des touristes étrangers qu’un guide amenait visiter le palais de l’or.
Fantômas, toutefois, avait été obligé d’aviser soudainement de la conduite à tenir.
Un ordre était survenu au cours de la visite habituelle, ordre inattendu, inopiné, qui obligeait les touristes à rebrousser chemin et les empêchait d’achever leur visite, de donner le coup d’œil que l’on faisait jeter d’ordinaire sur les caves dans lesquelles étaient enfermées des quantités incommensurables de pièces de toutes sortes pour des valeurs inappréciables.
Mais Fantômas ne manquait jamais de présence d’esprit, pas plus qu’il était à court d’audace !
C’est pourquoi il s’était dissimulé sous un tréteau, dans l’atelier même de la frappe des pièces d’or, lorsqu’on l’avait fait évacuer par les visiteurs.
Le sinistre bandit s’était tout d’abord rendu, par le moyen du monte-charge, dans les combles du grand immeuble ; après quoi il était descendu par un escalier secret jusqu’à la cave où il opérait, depuis quelque temps déjà, ses mystérieux et productifs larcins.
Comment était-il au courant des dispositions du palais de la Monnaie ?
Comment possédait-il les clés qui ouvraient les serrures les plus secrètes ?
C’était là le secret de Fantômas, et aussi le résultat de la plus extraordinaire et la plus audacieuse machination qui avait jamais été ourdie jusqu’alors par le bandit lui-même, et encore moins par ses imitateurs.
Fantômas savait qu’il ne s’agissait point de chercher à faire sortir de ce sous-sol l’or qu’il pouvait y dérober par le moyen habituel que l’on emploie pour sortir d’un immeuble, c’est-à-dire par la porte ou par les fenêtres.
Le bandit n’ignorait pas que, depuis le directeur lui-même jusqu’au plus modeste des employés, chaque personne était minutieusement examinée, fouillée même, lorsqu’elle se disposait à quitter l’hôtel, surtout lorsqu’elle appartenait à un service par suite duquel on était appelé à toucher de près ou de loin aux réserves des trésors, qu’il s’agisse de pièces monnayées ou encore de lingots d’or ou d’argent.
Fantômas avait trouvé mieux pour extraire de l’or des profondeurs de l’hôtel des Monnaies.
Sans doute le bandit avait dû travailler de longue date le dispositif dont il se servait !
À l’extrémité de cette cave dans laquelle il se trouvait, passait un tuyau métallique qui s’enfonçait dans les profondeurs de la terre et vraisemblablement allait rejoindre un égout se déversant dans la Seine.
Fantômas avait opéré dans ce tuyau une très légère ouverture par laquelle il pouvait introduire à l’intérieur du tube au maximum deux louis d’or à la fois.
Fantômas ne se lassait pas de déverser, dans cette étrange tirelire, le plus de louis qu’il pouvait sans se soucier, en apparence, de l’endroit où cet or allait sortir du tuyau.