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Ainsi accoutrés, Nalorgne et Pérouzin allaient chercher au Dépôt Mon-Gnasse et la Puce. Ceux-ci, à la vue de leurs nouveaux geôliers, ne cachaient pas leur satisfaction.

— Ah ! mince alors ! clamait Mon-Gnasse. V’là que c’est l’mardi gras à c’t’heure ! Et comment qu’ils dégotent, les frères !…

La Puce avait battu des mains.

— Vrai, déclarait-elle en examinant Nalorgne qui s’efforçât d’avoir l’air à l’aise et paraissait emprunté au possible. Vrai, mon fiston, si t’étais réellement un costaud, c’est pas encore toi que j’prendrais pour m’aider à faire le truc !

Là n’était pas la question. Nalorgne et Pérouzin rappelaient les prisonniers au respect des convenances.

— Taisez-vous, disait Nalorgne. On n’est pas là, mon collègue et moi, pour que vous vous payiez notre portrait !

À quoi la Puce répondait immédiatement :

— D’abord, y aurait rien d’fait, j’en voudrais pas !…

— On est là, continuait Nalorgne en roulant de gros yeux et visant à prendre un air terrible, on est là pour faire son devoir et pour vous forcer à réfléchir ! Il s’agit de nous conduire, paraît-il, au Cochon-Gras, et là, vous nous débinerez tous les trucs que vous connaissez.

— Bon, bon ! ça colle ! fit Mon-Gnasse.

— Seulement, continuait Pérouzin, on est là aussi avec des pleins pouvoirs. Si jamais vous tentez de faire les méchants, on vous mettrait proprement un pruneau dans la figure.

Et Pérouzin agitait un browning formidable qu’il avait acquis la veille même, car il avait le culte des armes et prétendait être toujours armé jusqu’aux dents.

Mon-Gnasse ne fut nullement impressionné par le browning de l’agent.

— Allons, l’enflé ! faisait-il familièrement en tapant sur le ventre de Nalorgne. C’est pas la peine de faire le croquemitaine, on s’ra sage !… Seul’ment, n’est-ce pas, si jamais les copains vous reconnaissaient et se fâchaient un peu, on déclare qu’on n’en est pas responsable !… Dame ! la rousse, au Cochon-Gras,n’est peut-être pas très bien vue !

C’était bien ce que pensaient Nalorgne et Pérouzin, et c’était bien ce qui les empêchait de se réjouir de la périlleuse mission qui venait de leur être confiée.

Ils étaient tout juste à demi rassurés, ils n’avaient peut-être pas tort.

Les deux agents cependant et leurs deux prisonniers sortaient bientôt des cellules du Dépôt, arrêtaient un fiacre et se faisaient conduire rue de Flandre.

Le Cochon-Gras, un cabaret d’assez proprette apparence, vu de la rue, un bouge ignoble pour ceux qui le connaissaient réellement, se trouvait tout à côté de la barrière, à quelque distance des abattoirs, ainsi que l’avait dit M. Havard.

C’étaient surtout les bouchers, les conducteurs de bestiaux qui fréquentaient l’endroit, mais à ces honnêtes travailleurs se mêlaient souvent quelques-uns des rôdeurs de barrière qui, on ne sait pourquoi, semblent affectionner le quartier.

Il y avait surtout une salle basse se trouvant derrière le mastroquet proprement dit, où le plus souvent, pendant la journée, dormaient, jouaient ou se disputaient toute une bande d’individus peu recommandables.

Nalorgne et Pérouzin ne l’ignoraient pas. Ils prirent ou voulurent prendre leurs dispositions en conséquence.

— Comment qu’on va faire ? demandait Nalorgne.

Pérouzin, tout aussi embarrassé, retourna la question à Mon-Gnasse.

— Allons, fripouille, demandait-il, comment penses-tu qu’il faut agir ?

C’était là une question si extraordinaire que Mon-Gnasse pensa rêver.

— Sûr qu’y sont piqués ! estima l’apache, glissant un coup d’œil à la Puce pour attirer son attention. V’là maint’nant qu’c’est les roussins qui m’demandent des conseils !… Oh ! mais alors, y a du bon !

Mon-Gnasse prit son air le plus innocent, il répondit, faisant assaut de politesse :

— M’sieur l’agent, ce s’ra juste au juste tout comme ça vous bottera !

Puis après une petite pause, et sans laisser aux inspecteurs le temps d’émettre une proposition, Mon-Gnasse commença :

— Une idée comme ça qui m’vient. Faudrait p’t’ête pas qu’on radine ensemble dans la tôle, histoire de pas s’faire remarquer ? La Puce et moi, s’pas, on entrerait comme des braves bourgeois tranquilles qui veulent s’caler les mâchoires… Vous, vous resteriez d’vant la porte. Une seconde après, naturellement, vous pourriez rappliquer à vot’tour…

Nalorgne hochait la tête, il questionna :

— Ouais ! mon garçon, tu nous crois trop bêtes !… Et si tu t’débinais, hein ?

Mais Mon-Gnasse avait une figure d’innocence absolue.

— Comment que j’me débinerais, murmurait-il, puisque vous seriez d’vant la porte et qu’il n’y a qu’une entrée !

Nalorgne, cette fois, ne répondit pas. Il ignorait à vrai dire si le bouge comportait plusieurs entrées. Il ne voulait pas convenir de son ignorance, et pourtant il tremblait à la pensée que Mon-Gnasse et la Puce pouvaient disparaître et s’évader.

À la fin, une réflexion décida Nalorgne.

— Parbleu ! songea-t-il, si Mon-Gnasse me dit qu’il n’y a qu’une entrée, c’est que c’est la vérité, il n’oserait pas me mentir ainsi !

Nalorgne était peut-être bien confiant, pourtant il se décida.

— Supposons que l’on fasse ainsi, dit-il. Après qu’est-ce qui se passera ?

La Puce répondit à son tour :

— Dame, on s’coll’ra à licher…

Et Mon-Gnasse complétait l’explication :

— Bien sûr, on aura pas l’air d’se connaître !… Puis, comme ça, quand c’est qu’viendra l’mec qui nous a r’filé les pièces d’or, la Puce et moi, on vous f’ra signe.

Pérouzin trouvait cela très bien. Il le déclara nettement.

— Affaire entendue ! disait-il. Nous allons procéder ainsi.

Et, pour se concilier les bonnes grâces des apaches, Pérouzin, qui était généreux à ses heures, décida sans hésiter :

— Vous pourrez boire d’ailleurs tant que vous voudrez, c’est Nalorgne et moi qui paierons les tournées.

Le petit groupe arrivait à ce moment devant le Cochon-Gras. Il était temps de se séparer.

Très fiers, ayant l’air parfaitement innocents, Mon-Gnasse et la Puce quittèrent les deux agents et entrèrent dans le cabaret. À ce moment, Nalorgne claquait des dents.

— Pourvu qu’ils ne s’enfuient pas ! murmurait-il.

Mais Pérouzin riait d’un grand rire de confiance.

— Ils n’oseraient pas ! répétait-il, ils n’oseraient pas !…

Et les deux inspecteurs, quelques instants plus tard, pénétraient à leur tour dans le bouge.

Quelle que fût d’ailleurs leur confiance dans Mon-Gnasse et la Puce, ils poussaient un véritable soupir de soulagement en constatant que les deux misérables étaient toujours là. Le gibier n’avait pas fui, il était encore à portée de leur main.

— Là ! vous voyez bien, Nalorgne ! souffla Pérouzin.

Pérouzin hochait la tête, cependant qu’il commandait d’autorité deux mominettes et de quoi écrire.

Les deux mominettes s’expliquaient assez bien. Pour être inspecteurs de la Sûreté on n’en est pas moins hommes, et Nalorgne et Pérouzin depuis quelque temps, à force de fréquenter les apaches, à force d’enquêter dans les bars, avaient fini par contracter la déplorable habitude de l’absinthe.

Si, d’autre part, ils demandaient en plus de leur consommation de quoi écrire, c’est que Juve leur avait appris récemment un truc policier qui les ravissait.

— Quand vous faites une enquête ensemble, avait dit Juve, et que, vous trouvant dans un milieu suspect, vous désirez vous communiquer des choses que personne ne doit entendre, vous n’avez qu’à les écrire, Nalorgne, par exemple, tracera quelques mots, passera la feuille à Pérouzin. Celui-ci, ayant l’air d’examiner le brouillon d’une lettre, lira le plus naturellement du monde ce que son collègue a écrit et, faisant mine de raturer, répondra tout ce qu’il voudra…

Nalorgne et Pérouzin, en possession de ce qu’il fallait pour écrire, commencèrent immédiatement à correspondre.

— Fichue clientèle ! écrivit Nalorgne.

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